L'ALLÉE DES ROIS (partie 7)

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Parfois lorsqu'il fermait les yeux un instant le prince entendait dans le noir les avertissements de ceux qui l'aimaient, et il se reprenait alors, car il ne voulait pas mourir écrasé dans un éboulement entre ces falaises traîtresses après être arrivé si loin. Il dut malgré tout s'endormir une ou deux fois, car il lui arrivait de rouvrir les yeux sans très bien se rappeler depuis combien de temps il les avait fermés. Arriva finalement un endroit où les parois se rejoignaient complètement, et le prince se retrouva dans une impasse : c'était la fin de l'Allée.

Tombant de fatigue, il palpa longtemps la roche devant lui, sans parvenir à se rendre à l'évidence : il était arrivé dans un cul-de-sac, et l'Allée s'était refermée sur lui. Où étaient donc passés les anciens rois? Avait-il trébuché sur leurs os dans le noir sans s'en rendre compte ? Pourquoi l'Allée l'avait-elle sauvé, pourquoi lui avait-elle redonné vie en le nourrissant de ses pierres, si ce n'était que pour le conduire dans une impasse ? Épuisé par son long voyage, le prince sentit qu'il n'avait plus la force de lutter : s'appuyant contre la paroi, prêt à se laisser basculer dans le sommeil, il laissa encore flotter ses mains quelques instants dans la pénombre. Et quelque part devant lui, il sentit tout-à-coup une sorte de vide, de faille invisible dans la roche. Les yeux lourds, il parvint encore à s'y glisser avant de sombrer dans un sommeil sans lune et sans rêves.

À son réveil, alors que l'aube teintait déjà l'horizon de rubis, il eut la surprise de se retrouver face à une immense plaine sans bornes visibles. La terre était la même que dans l'Allée, mais il n'y avait plus de falaises, plus de limites, pas même de montagnes au loin, rien qu'une vaste étendue de terre sèche d'où émergeaient çà et là quelques roches clairsemées. Jetant un œil derrière lui, Adil Jahid ne trouva qu'une haute paroi rocheuse, qui s'étendait à perte de vue d'un côté comme de l'autre. Intrigué, il longea la paroi quelque temps, la tâtant pour y retrouver une ouverture, sans succès : le passage secret qu'il avait emprunté cette nuit même avait disparu. Où était l'Allée ? Voici qu'il se retrouvait seul au beau milieu du désert, sans chemin, sans indications, sans la moindre idée de la direction à suivre. Ce n'était pas le premier tour que lui jouait l'Allée, aussi décida-t-il de continuer de la même manière qu'auparavant, c'est-à-dire en marchant droit devant lui, car si les anciens rois étaient arrivés jusqu'ici, ils avaient dû faire de même.

Adil Jahid traversa ainsi de vastes steppes sous un soleil cuisant, marchant du matin au soir sans s'arrêter, ramassant de temps à autre une pierre de soufre ou un galet luisant, se demandant parfois si l'Allée ne l'avait pas simplement jugé indigne et rejeté au loin, quelque part dans le désert, où il ne parviendrait jamais à destination. Mais il n'y avait pas de pierres comestibles dans le désert, donc tant qu'il en trouvait sur son chemin, il pouvait se considérer comme étant encore dans l'Allée. Quand la nuit tomba il fut heureux de retrouver la lune, et avant de s'endormir sous les étoiles marqua d'une flèche au sol la direction dans laquelle il allait, afin de ne pas changer de trajectoire quand il reprendrait sa route au matin.

Comme il se couchait au sol l'idée lui vint que la disparition des falaises n'était pas une mauvaise chose : elles étaient devenues gênantes, oppressantes, déjà bien avant de se resserrer autour de lui. Elles étaient condamnées à disparaître tôt ou tard, pensa-t-il, car l'Allée des Rois, la véritable Allée des Rois ne pouvait être contenue entre deux misérables falaises. L'Allée des Rois, songeait le prince, est simplement le chemin que suivent les rois, et même s'il existe au départ des falaises à leurs côtés pour les guider, ils finissent toujours par trouver leur voie seuls. C'étaient les rois eux-mêmes qui traçaient l'Allée : ils ne la suivaient pas, ils l'ouvraient devant eux à mesure qu'ils avançaient. Il suffisait donc d'aller tout droit, mais jusqu'où ? Si chaque roi bâtissait son Allée en chemin, où pouvait-elle bien s'arrêter ? Où s'était-elle arrêtée pour les anciens rois, et où s'arrêterait-elle pour lui ?

Il suivit l'Allée invisible pendant encore trois jours, gardant confiance en son chemin, car il portait en lui ceux qui l'aimaient, Mahdia, Walida, Khalil et tout son peuple, et il portait aussi quelque part en lui son père, qu'il retrouverait un jour s'il marchait assez loin. Pendant trois jours il ne vit rien que la terre sèche et ses roches éparses, sans aucune trace de montagnes, de collines ou de quelque autre relief. Le monde était devenu plat, plus plat encore que le désert ordinaire. Pourtant Adil Jahid ne se découragea pas : il avança encore et encore sur le plateau brûlant, dormant à la belle étoile, et songeant à ceux qu'il aimait, et qu'il avait laissés loin, loin derrière lui. Il mangeait et buvait des pierres, guettant l'horizon à la recherche d'un rongeur, d'un oiseau, mais nulle part il ne trouva trace de vie. Et au bout du quatrième jour, alors que le soleil au sommet de sa course s'apprêtait à redescendre, il aperçut au loin ce qui ressemblait à une montagne. Était-ce la fin ? Adil Jahid pressa le pas, impatient de savoir ce qui se cachait derrière cette masse rocheuse si imprévue.

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