Il recula de quelques pas, manqua de tomber, et ancra ses deux pieds solidement dans la terre. Par deux fois déjà, l'Allée avait manifesté ses miracles quand il ne les attendait plus ; par deux fois, elle lui avait envoyé des signes quand il perdait foi en sa quête. Par deux fois elle avait de ses merveilles refondu le métal dont il était fait, et lui avait permis de continuer. Voyant cela, Adil Jahid se dit que si cette voix surnaturelle choisissait ce moment pour lui parler, c'était qu'il y avait encore quelque chose à trouver derrière cette paroi.
Il se remit en marche vers la paroi et, alors qu'il s'apprêtait à l'escalader, la voix retentit à nouveau :
Prends garde, Adil Jahid, toi qui t'efforces de discerner ce qui est juste !
Si tu avances encore, tu périras comme tes pères avant toi.
Celui qui s'attarde en cette vallée ne perce pas son secret.
« Mais je ne compte pas m'y attarder ! », répondit le prince qui avait déjà commencé à gravir le flanc de la montagne.
Grimpant avec agilité, il parvint rapidement sur une petite corniche en hauteur, depuis laquelle il jeta un œil en contrebas. Les squelettes gisaient au soleil, rêvant peut-être à leur gloire passée, ignorant tout de la tentative périlleuse qu'il était en train de faire. Qu'ils dorment, se dit le prince : ils l'ont bien mérité après leur longue marche, et je la continuerai pour eux. Il voulut s'agripper à un rebord pour reprendre son ascension, mais quelque chose dans la montagne gronda et il entendit rouler vers lui de puissants blocs de pierre aussi larges que des murs. Le prince plongea dans une anfractuosité où il se terra à genoux, et devant lui il vit pleuvoir des rochers affreusement grands, comme si tout un pan de la montagne s'était soudain mis à glisser vers lui pour s'effondrer dans la vallée. Le grondement dura longtemps . Quand le silence fut revenu, Adil Jahid attendit encore quelque temps, puis sortit de sa cachette et reprit son ascension.
De temps à autre de légers éboulements se produisaient encore et il devait essuyer des chutes de pierre ou des nuages de poussière, mais après une longue escalade il parvint au sommet. Il se retourna et vit, derrière lui, la vallée et toute la plaine qu'il avait traversée s'assombrir dans le crépuscule ; devant lui, l'Allée entre les falaises reprenait comme si elle ne s'était jamais interrompue, comme si la petite vallée lugubre et ses squelettes, et sa voix si impérieuse, n'avaient été qu'un mauvais rêve.
À sa gauche, Adil Jahid vit un bloc de pierre monumental, et il décida de s'y abriter pour passer la nuit. Il s'en approcha et, en le contournant, s'aperçut qu'il cachait un étrange appareil, une sorte de corne géante fixée dans la roche au moyen de sangles et de leviers de bois. Intrigué, il se plaça derrière la corne et y appliqua sa bouche. Il murmura quelques mots dans l'ouverture, et sa voix retentit comme le tonnerre sur les montagnes.
Allongé sous la lune et ses étoiles, le prince se demandait qui avait bien pu lui parler pendant qu'il était dans la vallée. Car il était clair que quelqu'un s'était caché au sommet de la montagne, et avait utilisé cette corne pour s'adresser à lui. On avait cherché à lui faire peur, mais qui, et qu'est-ce que cela pouvait bien cacher ? Il savait qu'il avait bien fait d'escalader la montagne, et que l'Allée n'avait pas fini de lui livrer ses secrets. Mais il était maintenant troublé par autre chose : celui qui s'était adressé à lui à travers la corne pour l'effrayer n'était pas un génie, ni un esprit des montagnes. Ce n'était qu'un homme.
Étaient-ce donc des hommes qui avaient tué les anciens rois ? Étaient-ils aussi responsables de la magie des pierres comestibles ? Comment les responsables d'un artifice aussi grossier que cette corne auraient-ils pu concevoir ces pierres merveilleuses ? Il y avait là quelque chose qui ne tenait pas debout. Magie ou supercherie ? Le prince avait la sensation d'être la victime d'une sinistre farce. On avait cherché à le tuer en faisant tomber sur lui ces pierres : il devait donc y avoir un secret dans l'Allée, un secret important, puisqu'il était si bien gardé. Un secret pour lequel on avait tué son père, et ses ancêtres. Ceux qui avaient fait cela avaient fui en le voyant escalader la montagne, c'est donc qu'ils étaient lâches. Adil Jahid se dit qu'il les retrouverait, et qu'il les ferait payer.
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Châteaux en Espagne
Short StoryUne série d'histoires sur des lieux étranges, mystérieux, mythiques ou légendaires, qui n'existent parfois que dans l'imagination de l'auteur.