LA CONQUE (partie 2)

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Car les autorités de la ville ne pouvaient rester longtemps insensibles aux charmes d'un tel trésor. Et les autorités de la ville, averties, firent rapidement venir grues et bulldozers pour extraire des sables vaseux de la plage cette perle rare. Un impérieux cordon de sécurité se tressa en une heure autour de la Conque qui fut pour ainsi dire bouclée : la fillette et ses ouvriers de fortune furent priés de débarrasser le plancher, et de laisser faire les adultes qui, eux, savaient s'y prendre.

Les travaux d'excavation, toutefois, prirent plusieurs jours et ne se firent pas sans peine, la Conque étant plus profonde et plus âprement ancrée dans le sable qu'il ne semblait de prime abord. Et tout en contemplant les lents travaux de dégagement de la Conque, les autorités de la ville, et plus particulièrement le Maire, se prirent à rêver. En effet, les autorités de la ville, et plus particulièrement le Maire, souhaitaient de longue date attirer davantage de touristes qu'un temps « inhospitalier », selon les termes du Maire (« dégueulasse » selon d'autres), tenait depuis trop longtemps éloignés de la plage de Contrempoint. Les projets que fomentait le Maire de Contrempoint allaient même plus loin qu'une simple relance du tourisme local : il projetait en effet, et n'en faisait pas mystère, la construction prochaine d'un musée de la ville, contenant tout ce qui pourrait bien se rapporter à l'histoire et au folklore de Contrempoint (le concours annuel de pêche à la crevette, par exemple), ainsi que, pourquoi pas, demandait-il, un buste à l'effigie du Maire.

Ainsi rêvait le Maire devant cette découverte aussi fabuleuse qu'inattendue, et une fois que la Conque fut transportée dans un entrepôt de la municipalité et mise sous clé, il remit sur la table son projet fétiche devant le Conseil Municipal. Le Conseil Municipal avait toujours montré des réticences, voire de sérieux doutes à l'égard de ce projet particulier du Maire (peut-être y soupçonnaient-ils quelque gloriole naissante), mais le Maire se battit d'arrache-pied pour faire valoir ses idées, qui ne manqueraient pas, selon lui, d'attirer du beau monde et de nouveaux commerces dans cette brave et bonne ville de Contrempoint (où il était lui-même né, d'ailleurs). Le musée en question intègrerait bien entendu la Conque, qui en constituerait la principale attraction – le Maire voyait déjà les titres des journaux et les publicités à la télévision : « Venez donc visiter la fameuse Conque de Contrempoint ! »

Le financement du chantier serait bien sûr un peu difficile, mais ne tarderait pas à être remboursé par les copieux bénéfices de l'aventure. Incommodé par tant d'insistance, le Conseil Municipal hésitait, se râclait la gorge, se grattait les cheveux : c'est que la Conque n'était pas la corne d'abondance, ou, du moins, ce n'était pas encore prouvé. Certes, l'enthousiasme de Monsieur le Maire était compréhensible et honorable, mais de là à déclencher un chantier ! Sûrement, la Conque était exploitable par d'autres moyens, moins coûteux peut-être... Mais le Maire lutta furieusement, trépignant sur les tapis déjà usés par ses talons de la salle du Conseil, et allant même, à un certain moment, jusqu'à jeter son chapeau par terre et ingérer partiellement sa cravate. Le Conseil Municipal finit par céder : le Maire eut gain de cause. Le chantier démarrerait au printemps suivant.

Le chantier démarra donc au printemps suivant. Les ouvriers, hilares, arrivaient au travail en gambadant, le cœur léger, et les Conseillers Municipaux, euphoriques, contemplaient chaque jour leur travail en leur apportant même, quelquefois, du café et des sandwiches. Contrempoint allait revivre, finies les années grises où l'économie locale se morfondait et vivait sur ses réserves, quelque chose venait d'émerger qui allait redorer le blason de la ville et lui créer une légende, lui donner un symbole, comme c'est le cas dans toutes les vraies grandes villes. Tout le monde se presserait pour venir admirer la mystérieuse Conque de Contrempoint et ses reflets d'argent, tout le monde se demanderait qui l'avait trouvée et comment, et ce qu'elle faisait là, et ce qu'elle signifiait, et le buste du Maire, juste derrière elle (ou plutôt devant), s'érigerait en réponse à toutes ces pertinentes questions.

Mais les travaux n'avançaient pas vite : plusieurs contretemps fâcheux survinrent qui ralentirent la procédure, et de plus l'argent municipal, comme l'avait prévu le Conseil, s'épuisait rapidement. Déjà dans une situation délicate qui lui interdisait de faire un emprunt, la Mairie dut empiéter sur le budget de l'école et sur celui des réparations de l'église, ce qui ne manqua pas de faire rugir bon nombre des braves concitoyens de Contrempoint. Arriva le jour fatal (et tant redouté par le Maire) où la Municipalité n'eut plus le sou. Pour comble de malheur, ce jour funeste survint quelques jours avant les élections municipales, et coûta au Maire son trône tant aimé. L'équipe qui lui succéda dut prendre, pour rattraper le désastre financier de la construction du musée, et éponger les lourdes dettes de la Municipalité, plusieurs décisions dramatiques, parmi lesquelles la vente au plus offrant de la fameuse Conque (au grand regret de l'ex-Maire).

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