L'ALLÉE DES ROIS (partie 3)

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Au bout de trois jours le prince fut libéré. Les gardes qui lui enlevèrent ses chaînes craignaient d'être frappés, mais Adil Jahid était redevenu étrangement calme. Le lendemain, il se leva avec le soleil et poussa la porte de la salle du trône où, devant ses conseillers, il prit la couronne sur la table aux cartes avec ses anges de bois sculptés. Après trois jours de suspension angoissée, la vie au palais reprit : l'ordre du jour était maintenant au mariage du roi Adil Jahid avec sa bien-aimée, la princesse Mahdia, qui deviendrait bientôt reine à ses côtés.

La princesse arriva au palais et les préparatifs commencèrent dans la joie, mais Walida savait dans son cœur que son fils n'avait pas renoncé à son projet. Sachant combien il aimait et respectait Mahdia, elle demanda à la princesse de le raisonner:

« Adil, mon aimé, demandait Mahdia, je t'en prie, ne m'abandonne pas, je ne veux pas être reine sans toi.

-- Ainsi ma volonté n'est plus un secret, Mahdia. Mais tu ne dois pas t'inquiéter, je serai bientôt de retour, je ne serai parti que quelques jours.

-- Si tu pars, tu ne reviendras pas. Personne, jamais, n'est revenu, tu le sais comme moi.

-- Si je ne reviens pas, tu seras reine et trouveras un nouvel époux qui sera ton roi. Je sais que tu feras le bon choix, Mahdia, car tu es bonne et juste, bien plus juste que moi. Tu ne formes pas, comme moi, de projets insensés.

-- Alors renonce, Adil, ne nous laisse pas seuls! On dit que les montagnes s'écroulent sur ceux qui vont trop loin. On dit que des génies cruels se cachent dans les rochers et tuent les hommes qui s'aventurent entre les falaises.

-- S'ils ont besoin de se cacher, c'est qu'ils sont lâches, et s'ils sont lâches ils ne réussiront pas à me tuer.

-- Tu ne les as pas entendus, la nuit, quand ils hurlent au pied des montagnes?

-- Ce n'est que le vent, Mahdia, tu le sais comme moi. »

Ainsi les proches du prince surent qu'il n'avait pas renoncé, et qu'il comptait toujours aller s'aventurer dans l'Allée des Rois. Il portait la couronne et feignait de s'intéresser aux affaires de l'état, mais Mahdia et Walida savaient qu'il n'avait qu'une idée en tête. Désespérées, elles envoyèrent chercher Khalil, ami d'enfance du prince avec qui il s'entretenait souvent, et le firent amener au palais.

« Ami, dis-moi ce qui te fait si peur, dit-il au prince Adil dans la salle du trône.

-- Je n'ai pas peur, répondit le prince.

-- Tu fais très peur à tout le monde. Tous ceux qui t'aiment s'inquiètent pour toi. Ils pensent que tu vas les abandonner.

-- Ceux qui m'aiment savent ce qui va se passer. Ce n'est pas moi qui les ai abandonnés, crois-moi. J'essaie simplement de réparer les choses. Je serai bientôt de retour.

-- On dit que des oiseaux géants vivent dans certaines régions de l'Allée. On dit qu'ils fondent sur les hommes plus vite que l'éclair, qu'ils les emportent dans le ciel pour les fracasser sur les rochers, ou les dévorer. On dit que tous les mercenaires qui se sont risqués entre les falaises ont péri dans leurs griffes.

-- Les mercenaires ne vivent que pour l'or. Toute leur vie ils recherchent le métal, car ils ne l'ont pas en eux. C'est pour cela qu'ils ont échoué.

-- Mais les anciens rois n'en sont pas revenus, eux non plus. De quel métal étaient-ils faits?

-- Cela, je ne le sais pas, ami. C'est peut-être pour le découvrir que je pars. »

Plusieurs fois Khalil tenta encore de discuter avec son vieil ami et de le dissuader de partir, mais Adil Jahid était déterminé. Jour après jour la rumeur se répandit dans le palais que le nouveau roi comptait bientôt déserter son peuple, mais Walida ordonna que ces bruits ne franchissent pas les murailles du palais.

Ainsi, tandis que les habitants de la ville ignoraient tout du projet de leur roi, tout le palais s'affairait secrètement à empêcher le départ d'Adil Jahid : Walida donna des consignes aux gardes en vue d'arrêter le prince s'il tentait de quitter le palais pendant la nuit, pendant que Mahdia et Khalil le surveillaient à son insu. Mahdia l'épiait quand il allait se promener dans les couloirs du palais le soir, et Khalil entrait souvent à l'improviste dans les pièces où il se trouvait, pour vérifier qu'il ne tentait pas de s'échapper; cependant ils savaient bien que le prince s'apercevait de leurs manœuvres, et que s'il tentait vraiment de s'évader il ne leur laisserait pas la moindre chance de le suivre ou de le retrouver.

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