Partie 1 : ÉPISTOLAIRE - Chapitre 1 : porte close, fenêtres ouvertes !

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Corinne :

Je suis déé-chii-rééée !

J'en veux à mort à Nadia de m'avoir prévu tout ça pour ma pendaison de crémaillère ! Jeu de bouteille et strip poker, moi qui tiens mal l'alcool, non mais quelle garce ! Et elle est contente, en plus !

— Ouiiii, on a réussi à décoincer Corinne, wouh ! Wouh ! Je kiffe trop ta culotte à pois, chérie.

Elle aussi, elle a enfilé les verres à force de perdre ses jetons et ses habits au fil des manches. Heureusement que le seul mec présent est mon petit frère de vingt-sept ans qui se fiche bien de ma silhouette difforme ! Il n'est là que parce qu'il sort avec ma meilleure amie et a tout manigancé avec elle, le traître ! Tous deux se sont mis en tête de me faire bouger de mon train-train quotidien, de gré ou de force, persuadés que je « mérite mieux ». Ils ont sauté sur l'occasion de mon déménagement pour lancer les opérations. Je suis sûre qu'ils ont une liste de coups fourrés à me faire subir cette année. J'ai beau être saoule, mourir de chaud au point d'ouvrir toutes les fenêtres, je ne risque pas d'oublier ce guet-apens ! Tout le monde gueule et rigole, surtout quand il faut abattre ses dernières cartes.

— Brelan ! s'écrie Jules. Je vous ai toutes baisées !

Ma jalouse de copine imbibée lui lance un regard noir, alors il balbutie :

— Non mais c'est une image, hein, ma souris en sucre.

Nouvel élan d'hilarité générale. Mal à l'aise, mon frère aux cheveux de paille, joliment placés en pétard, dévie la conversation et déporte la gêne... sur moi. Évidemment. Je sens venir le truc rien qu'à son regard malicieux...

— Eh mais t'as encore perdu, on dirait, Corinne !

— Ta gueule.

— Tu sais ce que ça veut dire ?

— La ferme !

— À POIL ! À POIL ! scande-t-il.

Les nénettes le suivent, Nadia en première ligne, trop ravie de ne bientôt plus être la seule les seins à l'air. Non mais ils sont marteaux, je n'exhibe pas mes poires pourries à tout le monde ! Oui, le surnom de mes seins correspond bien, ils pointent, mais... au bas d'une chute digne des cascades américaines, le tout dans des tons brunâtres.

— Bouclez-la ! Pas besoin d'ameuter les voisins !

— Hannn miss prout prout est devenue vulgaire, raille Nadia.

— De quels voisins tu parles ? demande Juliette, ma cousine et amie d'enfance. On est en juillet dans un quartier blindé d'étudiants, y a personne !

— Ouais, ta seule voisine directe encore là, c'est moi, ajoute Nora, et je suis d'accord pour que tu ameutes tous les loups du quartier que tu veux.

Ah ça lui va bien de dire ça ! Elle au moins a le droit de se retrancher derrière sa religion pour ne rien dévoiler de plus de son corps ! Je crois que je vais finir par me convertir à l'islam juste pour que personne ne m'oblige à...

— Allez, t'es pas cool, on s'en fout de tes nichons, frangine !

— Est-ce que je te demande de foutre ta bite à l'air, moi ?

Mon rugissement fait mouche et l'ambiance se tasse un peu. En bonne animatrice de soirée, Nadia nous sort un compromis de derrière les fagots.

— OK OK c'est ta fête, on va te faire une fleur : si tu danses durant tout un morceau sur ton canapé, on te laissera garder le soutif !

Mon cri de lionne emplit la pièce, sous les ricanements de la troupe de complices.

— COUUUU-AAHHH ? Et si je passe par-dessus la porte-fenêtre ? Que je me casse la tronche ? Je danse comme une moule !

— Si tu veux, Corinne, je t'accompagne, promet Juliette.

Son sourire compatissant me rassure, même si elle me fiche des complexes avec les yeux bleus espiègles qu'elle cache sous ses lunettes et son chemisier à carreaux qui retient sa superbe paire de boobs. J'ai compris : je n'aurai pas de meilleure offre... Dans un soupir, je me lève et titube en grommelant, suivie de Juliette. Merci la chaleur de juillet, je ne grelotte pas. Pour l'instant, on n'entend que des successions de bruits électroniques sourds, je ne sais même pas sur quoi nous allons nous déhancher. Pour ma part, parlons plutôt de mouvements raides répétés.

Je me hisse pendant qu'un mec chante en anglais... ça me dit quelque chose... À peine nos pieds nus posés sur le moelleux canapé d'angle, le chanteur s'emballe, la musique aussi, je comprends enfin ce qui va passer et ça me fait lever les yeux en l'air. Le mix de David Guetta et Akon résonne, volume à fond, explosant ses « sexy bitches » de tous les côtés. Du Jules et Nadia tout craché ! La honte...

— Allez, Coco, lâche-toi ! gueule mon frère comme un fan en bord de scène.

Je lui adresse un majeur qui vient ensuite se glisser sous ma gorge, promesse des pires vengeances. Mais Juliette se lance, alors je la suis, en bien moins gracieuse. Il faut dire que ma mémoire est pleine de « Vas-y bouge ton gros cul ! » qui m'ont plutôt coupé tout envie de le faire. En vrai, mon cul n'est pas tellement gros je pense, c'est ma taille qui est toute fine. Alors ma poitrine a l'air plus imposante... mais je me paye des cuisses de dinde dans n'importe quel pantalon. Et avec mon cou décharné, on dirait que j'ai une tête sortie d'un dessin animé. Betty Boop, qu'on me surnommait en secondaire, même si j'ai des cheveux châtains et pas de bonnet D. Je crois que je vais aplatir ma tignasse qui crolle* jusqu'à ma nuque. Ce serait peut-être moche, mais ça affinerait mes traits. Je ne suis pas Super Laideronne non plus, j'ai quand même une peau de bébé et des yeux qui font mouche, cependant, j'attire peu l'attention et m'y suis habituée. Contrairement à mon entourage sot qui me pousse vers ces défis débiles !

Ah, ça fait du bien de digresser, ainsi je supporte mieux ce calvaire musical. Juliette pose ses mains sur mes hanches creuses pour que je force davantage mes basculements du bassin. Puis elle tourne le dos aux amis qui nous sifflent, la tête vers la rue presque plongée dans le noir. La lueur des lampadaires ricoche sur sa peau depuis notre deuxième étage. Je l'imite, enchantée de ne plus voir leurs sourires goguenards, et me détends soudain à la vue du paysage nocturne. Quelques arbres sur une placette transformée en plage factice durant tout le mois, envahie de parasol et de jeux, des immeubles avec plein de petites fenêtres... c'est chez moi, maintenant. Et j'aime déjà cet endroit.

Je constate plusieurs d'entre elles allumées et la place encore pleine de monde. Pas de voisins en juillet, hein ? Faut croire que je ne suis pas la seule ici à venir baigner dans les marées d'étudiants, sans plus fréquenter une seule classe !



* Crolles/croller : ce sont des boucles, ou « boucler », termes d'origine bruxelloise.

Mon regard sur toiOù les histoires vivent. Découvrez maintenant