J'ai acheté un journal à l'entrée du bâtiment, et vais m'installer sur un siège à l'entrée du couloir. Je le déploie devant moi, avec l'impression d'être dans un film à suspense, mes yeux glissant des œillades par-dessus le papier. C'est peut-être ridicule. Laeticia peut très bien m'appeler dans dix minutes pour dire qu'une amie avait menti en cachant Amélie dans sa chambre. Mais l'adrénaline en moi me dit que ma théorie n'est pas insensée. Treize heures trente... quatorze heures... rien. Je me lève et, soudain, une petite silhouette encapuchonnée sous un gros gilet apparait dans mon champ de vision. Suspect, avec une tête qui dévie, on devine l'envie d'être discret et rapide, les regards qui fuient et... la robe qui dépasse sous le survêtement. Plus de doute ! Alors qu'elle s'encourt vers le battant du bon couloir, je me jette en travers de son chemin et agrippe son bras. Bon sang, il faut qu'elle comprenne la gravité de ses actes ! C'est fou, toute ma peur pour elle devient une terrible colère, surtout quand sa capuche tombe et que son identité se révèle.
— Lâchez-moi !
— Amélie ! Amélie, arrête ! Tu as perdu la tête, enfin !
Elle rouvre les yeux et cesse de se débattre. Choquée, sûrement honteuse aussi, elle perd en force...
— Corinne ?
... et moi, j'en gagne chaque seconde, jusqu'à exploser.
— Mais qu'est-ce qui t'a pris ? On te cherche partout, ta mère est allée à la police, tes amis ont été contactés en pleine fête de famille, ta tante fait des kilomètres sur les routes en espérant t'y voir !
— Laisse-moi, je vais voir mon père ! Sinon je le verrai jamais !
— Tu ne peux pas ! Surtout pas dans cet état. On est dans un hôpital, pas une cour de récré. Tu vas d'abord t'expliquer, et dehors. Viens !
Je suis presque obligée de la tirer dans mon sillon, sous les yeux ébahis des passants. Suis-je trop dure ? Elle est désespérée pour en venir à de tels extrêmes, mais je suis tellement à vif. Je n'ai pas l'habitude de telles émotions. Nous nous installons sur un banc près du parking. Il fait sec et froid. Je n'ose pas la lâcher sans promesse.
— Tu ne t'enfuiras pas ? Juré ?
Elle grogne son « oui », la mine maussade. Les questions se bousculent, mais la première qui surgit est évidemment « Comment es-tu arrivée ici ? »
— Ben, le bus. J'ai pas encore douze ans, c'est gratuit. Et j'ai regardé le trajet avant mon départ.
— Donc, ce n'était pas sur un coup de tête. Bravo.
Mon cynisme lui fait courber l'échine et mon regard noir amenuise sa voix.
— Je pensais revenir après avoir vu papa. Et que Tante Anne-Lise et toi, vous me défendriez. Tu... tu penses comme maman, c'est ça ?
Au fond, je la comprends, mais sur la forme, je suis presque agacée par son dépit, tant elle en fait un mauvais usage.
— Ah non, tu n'as juste pas le droit de te mettre en danger comme ça et d'effrayer ceux qui t'aiment ! Est-ce que tu réalises toutes les choses graves qui auraient pu t'arriver en chemin et qu'on avait aucune idée d'où tu étais ? Ta mère a versé toutes les larmes de son corps, alors non, je ne défendrai pas ta décision, et Anne-Lise non plus, tu aurais dû nous en parler ! Je vais envoyer un message à ta mère avant qu'elle ne finisse dans un plus mauvais état.
Alors que je pianote sur mon smartphone, des reniflements et gémissements jaillissent.
— Je voulais voir papaaaa....
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Mon regard sur toi
RomantizmCorinne Leclerq a 30 ans et mène une vie... Enfin, elle mène une vie. Elle travaille, rentre, dort. Un couple, un crédit hypothécaire ? Il n'en est rien. Corinne a sa chatte Cristie, un studio, point. C'est ainsi, quand personne ne nous remarque, sa...