Partie 3 INTIME - Chapitre 17 « Un tandem passe... » (1)

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Il se repose toujours. J'ai été déroutée de sentir sa respiration s'approfondir une fois écartée de sa peau. Avec un anonyme, j'aurais même pris ça très mal, mais je suis conscient que Mike a repoussé des limites, aujourd'hui. Les limites de quoi, telle est la question. Je ne doute plus d'un secret présent et bien gardé, il y a un souci de santé là-dessous. J'espère juste qu'il m'estimera un jour digne de savoir de quoi il retourne. En attendant, je ne peux que céder à ses vœux sincères. Ses mots ont résonné sur les parois de mon cœur scellé. « Contre moi, ce midi et dans ma vie ». Je ne peux pas jurer de parvenir au troisième souhait, mais être ici ce soir est de l'ordre du possible. Machinalement, je fais sa petite vaisselle, mais m'arrête soudain.

—Oh merde, sa sœur ! soufflé-je.

Je sors le smartphone du pantalon de Mike et tente de me souvenir de son geste pour le débloquer... une sorte de zigzag qui ne descend pas jusqu'en bas... Ouf ! Trouvé ! Je déniche un vieux sms de sa part et tente d'y répondre quelque chose de simple.

« Salut, désolé... Corinne a dû me ramener plus tôt, j'ai fait un petit malaise. Là je suis arrivé chez moi. Bise. »

Soulagée, je remets le téléphone sur la table basse et entreprends de redonner de la décence à cet homme endormi après la baise. Je parviens à remonter son boxer avec précaution, puis vais chercher un drap dans la chambre de sa fille. Et voilà, une couette New York sur le beau au bois dormant. Je finis la vaisselle, avant d'inspecter le frigo pour imaginer le futur repas de midi. Je culpabilise un peu de son état, je ne voudrais pas qu'il s'épuise davantage aujourd'hui. Soudain, alors que je glisse mon gratin dans le four préchauffé, la sonnerie retentit. Je jette un œil au parlophone d'un format différent du mien et, dès que j'appuie sur le bon bouton, une voix perçante envahit la pièce :

—BORDEL, MIKE, TU TE FOUS DE MA GUEULE ? « UN PETIT MALAISE » ? ET TU POUVAIS PAS LE DIRE PLUS TOT ? VA FALLOIR QU'ON CAUSE !

Hm ! C'est très gênant. Je ne constate pas de réactions du côté du canapé, alors j'émets une voix timide.

—Euh... Il... il dort.

Un silence s'installe, puis la femme récupère un ton normal teinté de surprise.

—Vous êtes Corinne ?

—Oui, je... je n'ai pas osé repartir, vu son état, bredouillé-je.

—Ah. OK. Hm ! Appuyez sur le dernier bouton en bas pour m'ouvrir. Je vous rejoins.

Ça me rassure, elle semble aussi embarrassée que moi après sa gueulante. Je me dépêche de replier son pantalon et de ranger tout autour de lui les preuves de notre vague de désir inattendue. Je l'entends ouvrir la porte et reviens innocemment pour l'accueillir. Elle me contemple des pieds à la tête et je rougis : cette femme est si belle et si mince, elle doit se demander quand je compte me remettre au sport. Je n'aime pas sentir son regard, il me faut couper le silence.

—Enchantée, Anne-Lise.

—Oh, il vous a parlé de moi, je vois ! Si jamais vous deviez repartir chez vous, je peux prendre le relai.

—À vrai dire, j'étais occupée à préparer le dîner, pour l'aider. Moi j'ai toute ma journée.

Elle lève les sourcils, exactement comme son frère le fait, jette un œil aux patates que je finissais de peler, puis soupire :

—D'accord, je vois. Il t'a dit quoi quand il a eu son « malaise » ?

Elle articule ce mot avec une grimace agacée et me fixe intensément. Ses yeux sont bruns, mais bon sang, ils en imposent autant que les siens. Même quand elle va se servir un verre d'eau, elle ne me lâche pas.

—Qu'il avait des crampes après avoir batifoler trop longtemps dans de l'eau trop froide. Pourquoi, il aurait dû me dire autre chose ?

Je glisse mes patates coupées dans l'eau, mine de rien, mais la question m'a échappée à la vue de sa moue perplexe. Ses lèvres se pincent plus fort, ses yeux s'étrécissent, elle cingle un « Pas spécialement » et file vers Mike. Oho... Ça va chauffer, on dirait. Je vais m'en tenir à mes patates. Du coin de l'œil, je la vois balancer le reste de son verre sur le canapé. Aussitôt, un cri masculin emplit la pièce une fraction de seconde et je pouffe dans mon coin.

—Ça va pas ? Anne-Lise !

—Ah bien, tu te souviens de mon existence, parfait ! Je me le suis demandé quand cela faisait vingt minutes que je poireautais au Blocry.

—Vingt minutes que tu... ? Hein ?

Il semble retrouver ses esprits dans un grognement, découvre le lieu rangé et la couette, puis regarde autour de lui d'un air anxieux, jusqu'à m'apercevoir. Il m'adresse un petit sourire, que je lui rends, avant de continuer la préparation de ma purée. Anne-Lise ne se joint pas à notre petite joie et ça se comprend.

—Qu'est-ce que t'as foutu, Mike ? Je t'ai dit que c'était pas un bon plan pour toi de nager plusieurs heures. Je te l'ai dit ou pas ?

—Ouais ouais.
—Et maintenant voilà que ta pote doit venir te border en plein temps de midi ! Mais tout va bien hein, rien qu'un petit malaise !

—J'avoue que j'ai un peu abusé sur le sport, aujourd'hui.

Je profite du tintamarre des casseroles et de mon invisibilité devant les armoires pour ricaner : du sport, oui... surtout celui de chambre !

—Mike, faut qu'on cause tous les deux. Corinne, on revient !
Lorsque je me redresse, stupéfaite, je la vois entraîner mon amant dans sa chambre sans lâcher son poignet. OK. C'est officiel, Mike me cache des trucs pas nets. Je fais glisser les pommes de terre dans la casserole et me concentre sur la tâche suivante dans un silence soudain. Enfin, presque. Les voix assourdies laissent à penser que ça s'engueule ferme dans la fratrie.


A l'origine, dans la langue française, on déjeune le matin, dîne à midi et soupe au soir. Si une partie de la France ne l'emploie plus, ce n'est pas le cas du Nord, de la Suisse, de la Belgique ou du Québec, qui le disent toujours. 

Mon regard sur toiOù les histoires vivent. Découvrez maintenant