Partie 3 INTIME -Ch. 22 :"Point d'observation" (1)

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Corinne :

L'après-midi a été placée sous le signe de la détente, après ça. J'ai fait découvrir une série Netflix à Amélie, une fois ses devoirs achevés, et Mike est parti faire une sieste pendant que les épisodes s'enchainaient. « Tu m'as trop épuisé hier soir » m'avait murmuré cet idiot.

Maintenant, il me faut faire face au premier obstacle à notre relation particulière : madame ex-Renard. Laeticia Crupet, de son vrai nom. Trente-sept ans, laborantine à Bruxelles, vivant à Genval... Mike me fait le topo, en chemin vers la ferme du Bériaux. Laeticia arrive par le boulevard qui contourne la ville et se gare sur un des nombreux parkings du coin. Tout est réglé comme une horloge. Et voilà que je viens encrasser le mécanisme.

Lorsque la voiture rouge est entrée en scène, Mike l'a suivie d'un regard chargé d'appréhension. Il m'explique qu'ils alternent entre déposer Amélie chez elle, via Anne-Lise, et l'amener à sa mère qui la récupère ici, selon qu'elle travaille ou non le dimanche. C'est une bosseuse, elle n'a pas voulu d'autres enfants pour garder ses projets en cours, d'après lui. Et ce dimanche, ça tombe bien ! Elle était disponible.

Je ne sais pas à qui j'ai affaire, mais la dame de sept ans mon aînée m'en donne un bel aperçu. Elle se redresse en rangeant ses clés rapidement dans un manteau rouge cintré. Le chignon lui va bien et son visage ovale mat est à peine ridé. Elle a une jolie silhouette, avec des seins bien ronds et des hanches moins larges que les miennes. Ses yeux bleus en amande me fixent, puis semblent chercher quelqu'un, sans s'y attarder. Peut-être qu'Anne-Lise l'accompagne parfois. Elle exprime une perplexité froide, mais qui se réchauffe en un sourire lorsqu'elle aperçoit sa fille.

— Salut 'man !

— Coucou ma puce. Que me vaut ce comité exceptionnel ?

J'échange un regard avec Mike, qui se racle la gorge et gratte évidemment sa nuque.

— Eh bien, Laeti, j'ai pensé que tu aurais peut-être envie de rencontrer...

Il me montre de la main, cherchant dans un timide sourire les mots pourtant si simples.

— ... ma nouvelle compagne.

À moi d'enchainer, il s'agit de ne pas se louper. À défaut de savoir si elle préférerait la bise ou la poignée de main, je lève la paume et agite mes doigts de loin, sourire aux lèvres.

— Bonjour ! Corinne Leclercq, enchantée de faire votre connaissance.

Je n'ose pas dire grand-chose de plus, le temps qu'elle digère la nouvelle, plutôt surprise. Ni vraiment heureuse ni clairement hostile. Mais je n'oublie pas pourquoi nous devions nous voir si vite et... Amélie non plus.

— Tu verras, maman, elle est sympa. D'ailleurs, faut qu'elle te propose un truc.

J'entends le soupir de Mike derrière nous.

— Un truc ? Amé, tu as l'art d'être imprécise.

OK, elle n'a d'yeux que pour sa miss, je dois rappeler ma présence.

— Madame, Amélie m'a parlé du problème d'organisation et de vos inquiétudes pour qu'elle puisse être sur Louvain-la-Neuve durant les vingt-quatre heures vélo.

Elle se remet droite après avoir pris le bagage d'Amélie, pour m'accorder une attention... aride, disons.

— Vous êtes au courant des soucis de Mikaël, n'est-ce pas ?

— Bien sûr !

— Dans ce cas, je ne vois pas ce qu'il y a à discuter, la sécurité d'Amé n'est pas assurée, il y a un parent qui sera là avec ses amis, mais elle ne peut pas la ramener. Elle serait sans adulte valide après, elle a école le lendemain, ce ne serait pas raisonnable.

Il va falloir ressortir mon sens de la diplomatie inébranlable. Imagine le téléphone collé à ton oreille, Corinne !

— Évidemment, mais vous ne saviez pas que j'étais là, je suis en mesure de prendre des congés pour accompagner Amélie et la ramener le lendemain à l'école. Je vis au centre-ville, à deux pas de chez Mike, ce n'est pas un détour pour moi. Bien sûr, je pourrais aussi la ramener la veille, mais fendre la foule pour atteindre la voiture en pleine nuit, j'imagine que ça ne vous plairait pas trop.

— Allez, 'man, je suis jamais chez papa en semaine, y aura Corinne et la maman de Sophia, je risquerai rien !

Elle se montre hésitante. Surtout sous le regard suppliant de sa fille, un vrai Chat Potté. Ses doigts tapotent sa cuisse et un coin de ma tête s'amuse d'avoir vu Mike faire pareil quelques fois. Je guette le verdict ; Laeticia ne lâcha pas son ex-mari du regard, avant de soupirer.

— J'ai des conditions. Elle a intérêt à finir ses devoirs du lendemain, ne pas se coucher au-delà de vingt-trois heures avec une tête de zombie quand je la retrouverai, et que l'arrivée depuis l'école soit bien planifiée.

Les yeux d'Amélie se couvrent d'étoiles.

— Alors c'est oui ?

Laeticia étire un sourire en coin, vaincue.

— À ces conditions... oui.

— YOUPIII !

Amélie l'étreint brièvement, puis revient me faire de même, pour finir ensuite dans les bras de son père avec plus de délicatesse. Je l'entends lui glisser « Faut que tu la gardes, hein ? », ce qui me fait pouffer. Amélie part vers l'auto. Ma bonne humeur bat en retraite devant la mine grave de Laeticia.

— Je compte sur votre vigilance. Prenez ça comme un test, Corinne.

J'acquiesce, frappée par son charisme austère. Mais aussi sa beauté. Mike avait évidemment succombé à une belle plante à photographier. Ses yeux bleu clair en amande sont magnifiques, les mêmes qui rendent Amélie si craquante. Elle me salue de la tête, comme pour sceller l'accord, puis s'éloigne en jetant à Mike :

— Tu me diras ce qu'il en est de ton organisation définitive. Avant la fin de la semaine prochaine, ce serait bien. À bientôt !

— Au revoir, 'pa !

Je me tourne vers lui, pendant qu'il salue sa fille, un sourire triste aux lèvres. Lorsque l'auto s'éloigne, il range son sourire et soupire. Aussi, quand il relève sa mine affligée vers moi, maintenant que nous sommes seuls, ma décision est prise, avant même qu'il n'ouvre la bouche.

— Est-ce que... tu veux bien rester ce soir, un peu ? marmonne-t-il gêné.

— C'est bon, Mike. Je vais pas partir tout de suite. 

Mon regard sur toiOù les histoires vivent. Découvrez maintenant