Partie 3 INTIME Ch.15 Piscine couverte, vue sur jardin (fin)

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—Corinne ? J'ai fini.

Sortie brusquement de mes pensées, je mets un moment à réaliser qu'il m'attend dans le couloir commun et que je ne suis qu'en sous-vêtements, à peine séchée. Voir ses chaussures à deux pas de ma chair nue me remonte du sang aux joues. Ouais... Il n'aurait vraiment pas dû m'embrasser.

—Oh ! Euh... pas moi.

Il ricane.

—Je le constate, oui.

Tandis que je me dépêche de remettre ma jupe grise et ma blouse plongeante orange, j'entends soudain un gémissement, un vacarme vite clôturé par un « boom ! » contre une porte voisine et... les pieds ne sont plus là. Le cri, par contre...

—Ahhh putain de bordel ! C'est pas vrai... Aïhaïe...

À leur place, des mains sont plaquées sur des jambes au sol.

—Mike ? Mike !

Je me précipite hors de ma cabine et le découvre écroulé par terre, la tête contre la paroi qu'il a cognée. Sa grimace et ses geignements me fichent la trouille.

—Que s'est-il passé ? T'as mal où ?

—L-la tête, souffle-t-il, et les jambes. Elles... elles tremblent.

En effet, ma main sur sa cuisse couverte de jean vibre avec lui. Je m'en doutais... Maintenant, j'en suis sûre. Il y a un truc qui ne va pas avec ses jambes et ça ne date pas d'aujourd'hui ! Mais j'imagine que ce n'est pas le moment indiqué pour l'interroger. Il tente de se redresser, en appui sur ses paumes, mais ses genoux semblent amorphes.

—Tu peux marcher, tu crois ? Ou j'appelle une ambulance ?

—P-pas l'hosto. C'est passager. Faut que je rentre chez moi. Là-bas, j'ai ce qu'il faut pour calmer ça.

Vache, son ton est faible ! Son œil est un peu vitreux, à mon avis, il va avoir une belle bosse à l'arrière du crâne.

—Tu es venu comment ? À pied ?

—Ma sœur m'a conduit. Elle doit me reprendre dans une demi-heure, normalement.

—Tu ne vas pas rester une demi-heure comme ça ! décrété-je. Appelle-la pour la faire venir plus tôt.

Il grimace en essayant de relever ses fesses du sol. Une de ses jambes se replie avec précaution.

—N-non, grogne-t-il, elle va... me sortir ses sermons et... j'en ai pas envie.

Je lève les yeux et lui son corps, malgré ses crispations. Il tente un pas, en appui contre la paroi, mais son petit sifflement de douleur et son manque d'appui une fois le support lâché ne trompent personne.

—Du calme, ce n'est qu'une petite décharge. Des crampes après avoir batifoler longtemps dans de l'eau trop froide.

Eh bien, ils sont habités par le démon, ses muscles ! Mike parvient à me lancer un sourire de charmeur, je ne sais pas où il en trouve l'envie.

—Tu vois, quand je disais que je n'aimais pas mon corps non plus.

—Oui. À ta place, je lui en voudrais aussi. Bon, assez parlé, je vais te ramener. Viens.

Je passe son bras sur mon épaule, prends son sac dans la même main que le mien et entreprends de le soutenir de l'autre. J'observe sa façon de se déplacer sur ses talonnettes, comme s'il tentait d'éviter le sol un maximum. Nous progressons à petits pas dans les couloirs, puis sur les trottoirs, en silence. Mike ne se plaint pas, son seul message passe en continu sur son visage crispé et ses paupières baissées, le tout d'un air sombre. Il dévie le regard, honteux ou distant. Il m'apparait subitement fatigué, on dirait que son tonus vient de chuter en un éclair. Son poids ne correspond pas à son volume mince.

Et moi, je n'ose pas ouvrir la bouche devant ce spectacle. Le silence est très lourd. Il ne peut pas nier que cela soulève des questions en moi. J'ai pitié, un instant, avant de me souvenir qu'il n'aime pas plus que moi cette manière de prendre les gens par la main en les regardant comme des sous-êtres. Je sais que la pitié fait mal. Mes proches ont pitié de moi en voyant ma vie sociale morne, ma mère a pitié de moi quand je lui dis que je n'ai pas d'amour en vue, mes collègues ont pitié de moi quand je leur raconte mes soirées passées devant mes séries. Mike se redresse et s'écarte un peu pour essayer de marcher librement, même tendu. Je ne le retiens pas. Il demeure digne derrière ses mouvements raides. Je le parcours de dos, j'admire sa silhouette filiforme et son derrière bien moulé dans le jean. Il a beau être diminué, il reste agréable à l'œil. Depuis le baiser, une seule question me hante : serais-je seulement capable de lui céder plus ? J'ai aimé avoir happé un peu de lui dans un élan de charme, mais à ce jeu-là, rien n'est pris sans donner.

—Tu l'as garée si loin ?

Sa voix un peu gémissante me convainc de revenir lui servir d'appui discret.

—On y arrive. Il va quand même falloir que je prévienne ta sœur de ne pas venir te chercher.

—Quand je serai assis.

Sur les derniers mètres, je m'écarte avec prudence, mais il semble tenir bon jusqu'à ma voiture. Quand il m'a vue passer deux fois, il a tilté pour la couleur, mais visiblement pas la marque, malgré sa forme caractéristique.

—Tu t'es payé une Smart IQ ? s'étonne-t-il.

Je hausse les épaules, un sourire en coin sur mon visage empreint de fierté, avant de m'installer au volant.

—Je ne suis pas très dépensière, alors je pouvais bien me le permettre. J'ai pensé pratique ; facile à garer, hybride et avec des sièges rabattables.

Je vérifie qu'il est bien parvenu à se plier sans encombre et démarre dès sa ceinture bouclée, puis reprends :

—À vrai dire, je relève rarement mes sièges, ça me sert de coffre. Mais j'ai toujours imaginé que... tu vois... si jamais je fondais famille avant qu'elle ne rende l'âme... ce serait utile.

Mon sourire est plus triste, aussi dois-je le retirer vite, sous prétexte d'être concentrée sur la route. Je demande au GPS de me mettre au plus près de la Grand Place. Heureusement, en tant que Néo-Louvainiste, je n'en ai pas choisi un qui n'est même pas fichu d'indiquer les rues piétonnes. Les villes nouvelles, c'est bien, mais il faut laisser tomber les applications connues qui se contentent de scanner tout en voiture. Ça ne colle pas du tout avec sa conception futuriste de centre-ville sans véhicule. Et il est hors de question que Mike parcourt un trop long chemin à pied dans son état.

—Je te préviens, je ne fais pas de miracle. Tu vas devoir mordre sur ta chique.

—Crois-moi, j'en ai l'habitude, marmonne-t-il. En tout cas, ce siège est top confort. Je vais avoir du mal à m'en détacher.

Tentative de dédramatiser par l'humour, je le reconnais bien là. Du coin de l'œil, j'ai vu ses mains se crisper sur ses genoux. La mienne vient tapoter son bras en signe de compassion, entre deux tours de volant. 


Prochainement : chapitre 16 "Au-delà des rideaux" !

Mon regard sur toiOù les histoires vivent. Découvrez maintenant