Partie 4 : AU-DELA - Ch. 29 "Le carreau brisé" (1)

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Corinne :

Quand je raccroche dans un faible « merci d'avoir prévenu », je me dépêche de poser l'appareil sur la table. Mes mains tremblent trop, je serais capable de laisser tomber au sol tout ce que je tiens. Mais là, il n'y a ni Mike ni Amélie, j'ai le droit de m'effondrer, sous le regard inquiet de Jules.

— Des complications ?

Je n'ai pas la force de parler et je pense qu'à la vue de mon corps échouant sur le canapé, mon frère se contente très bien de mon acquiescement. J'ai le poids des mots qui écrase mes épaules et, d'un coup, les flots de ma réalité se déversent. Une assistance respiratoire... un coma... Honteuse de mon état un lendemain de Noël, ce sont mes mains qui recueillent mes larmes. Mes gémissements m'isolent du monde et c'est un bras autour de mes épaules qui me reconnecte au présent. J'ai les images de souvenirs de Mike qui défilent et se mélangent à des portraits fantasmés du Mike intubé et inerte. Mais mon frère brise le diaporama de son étreinte et son soupir.

— Il n'est pas mort, tout de même ?

— N-non. M-mais pas loin.

Je ne reconnais pas cette petite voix qui a quitté mes lèvres. Elle tremble comme une gamine dans un coin. Des pas se font entendre dans les escaliers du hall, mais je ne regarde pas qui arrive et me contente des échanges de voix qui passent par-dessus mes sanglots.

— Oh ma chérie, que... ?

— Maman... laisse-la, l'implore doucement Jules. Elle n'est pas en mesure de s'expliquer.

Même Nadia n'a pas le mauvais goût de plaisanter devant mon état. J'ai vite un deuxième corps à mes côtés qui se colle au mien.

— Ma pauvre... Faut que t'ailles le voir.

— Je ne sais pas si... j'en aurai la force, parviens-je à bafouiller. Il... il est inconscient que... qu'est-ce que je peux faire ?

— On va venir avec toi ! déclare Nadia.

La réaction de Jules après la décision de sa copine me laisse à penser qu'elle vient de lui jeter un regard éloquent.

— Euh... oui, on va faire ça. Ça serait une bonne façon de conclure notre Noël, Mike est dans la famille maintenant, s'il croit y échapper de cette manière, il se fourre le doigt dans l'œil.

— Laisse-nous juste le temps de nous apprêter, demande Nadia. Vous venez aussi, madame ?

— Oui. Je veux découvrir qui a enfin offert l'amour à ma fille, peu importe son état.

Je redresse la nuque pour constater son sourire triste après cet aveu. Sa confession honnête me convainc de me ressaisir, le temps d'aller à l'hôpital. Tous partent s'habiller et grignoter quelque chose en quatrième vitesse, ce qui me touche particulièrement. Je frotte mes paupières, respire, le tonnerre gronde dans mes pensées sombres, quand je songe à prévenir Anne-Lise de l'appel reçu.

Nadia m'embarque avec elle pour m'obliger à ne pas conduire et Jules préfère rester avec moi à l'arrière le temps du trajet, avec ma mère devant. Anne-Lise a filé aussi vite que nous et nous nous retrouvons dans le couloir de réanimation. Si l'infirmière nous indique qu'il est bien revenu dans sa chambre, elle rappelle les limites des visites et Jules se met en retrait pour que je m'y rende avec Nadia et ma mère.

Lorsque nous entrons, le pas prudent, on a l'impression de craindre de le déranger, alors qu'il n'est pas prêt d'ouvrir l'œil. Et que je tourne du mien. Un tuyau en plastique, plié en accordéon, semble pénétrer le creux de sa gorge pour le relier à une sorte de soufflet mécanique dont le bruit régulier me flanque des frissons. Il passe même par-dessus le bruit de fond de la télé, allumée exprès pour stimuler l'ouïe du comateux. Je me croirais dans ces films dramatiques ou séries médicales avec des morts cérébrales. À la différence que le cerveau de Mike va très bien. Comment savoir ce qu'il perçoit ?

Mon regard sur toiOù les histoires vivent. Découvrez maintenant