Partie 2 - REELLE - Ch. 9 Quelle inclinaison du store ? (1)

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Une fois revenue chez moi, je m'assure de tirer les rideaux et rentrer le chat. J'aurais aimé profiter du soleil de septembre avant que le froid ne surgisse, mais je ne peux le laisser contempler ma solitude aujourd'hui. Ça attendra demain. Là, j'ai eu ma dose. Il pourra toujours croire que je le laisse me voir, mais je vais doubler de vigilance pour qu'aucune belle occasion ne se présente pour cette espèce de fétichiste de mon corps. Un deuxième drap fin par-dessus le premier la nuit, une astuce pour ne pas mouiller mes habits quand je prends une douche et me changer dans la salle d'eau... et sa lettre, il l'aura vendredi, voilà ! Il a ce qu'il mérite ! Rhââân, que vais-je lui répondre ? Il reste très mystérieux, même après ce rendez-vous. Il m'a fait paniquer et rire en une heure à peine. Le tout avec une proposition de dîner ensemble en poche. Mais pourquoi ai-je cédé ? J'aurais pu refuser direct, il n'aurait pas posté les photos pour autant, ça, c'est juste si je vais parler aux flics !

Tandis que je nettoie ma table et mon coin cuisine pour faire baisser la pression, la sonnette manuelle sur ma porte retentit. Si jamais c'est la petite folle du 3ème encore bourrée, je vous jure que j'explose !

—Oui, c'est pour quoi ?

Je garde un ton cordial avant d'ouvrir la porte. Zen, self contrôle en marche, Corinne. Je me trouve face à une tête baissée couverte par un délicat tissu bleu roy tout autour du crâne, un peu plus petite que moi. Stupéfaite, je fais retomber la pression artérielle en un soupir.

—Nora ?

—Euh... salut, marmonne-t-elle les mains croisées devant son ventre, je reviens tout juste de Bruxelles, et... j'aurais aimé qu'on discute un peu. Si tu veux bien.

Sa petite voix inhabituelle me ramène à mes culpabilités. Depuis mon coup de gueule à la terrasse, je n'ai échangé que deux ou trois sms avec mes amies, aucun avec mon frère. Nora doit craindre que je la remballe.

Malgré ma fatigue, je soupire et m'écarte. Elle me remercie d'un signe de tête et passe, non sans malaise. Lorsque je la rejoins sur le canapé, elle inspire un coup et me lance un œil inquiet.

—Corinne, je... je pense que tu ne devrais pas repousser le dialogue comme ça, tu sais, on peut t'écouter aussi. Ce week end, nous étions trop tristes pour profiter de la sortie. Jules le premier. C'est quand même ton frère, tu ne peux pas le snober éternellement. Je lui ai promis de venir en parler avec toi.

Je me crispe autant qu'elle, embarrassée. Quand j'ai cru que Mike avant fait du mal à mes proches, j'ai compris mon erreur. Mais comment expliquer à quel point ils m'ont blessée ? Je ne trouve pas les mots adéquats quand il faut aborder ce genre de sujets sensibles. Ma voix tremble.

—Vous... vous ne voulez plus de moi comme je suis. J'ai besoin de respirer.
Mes lèvres frémissent et ma petite voix alerte Nora qui pose une main sur les miennes.
—Si, on t'aime comme tu es, mais on s'inquiète. Déjà, pour ton avenir, mais là en plus, on voit que tu te replies dans ton coin et... enfin, tu as l'air de t'enfermer dans ta bulle.
—Et si j'aimais bien ça, d'avoir ma bulle, justement ? Quand je le dis, vous me regardez comme une extraterrestre.
—Mais si encore tu avais l'air enjouée, je ne dis pas, sauf que t'es à cran plus qu'autre chose. Et quand on cherche à te détendre, tu refuses.
Elle se lève pour ouvrir le rideau, ce qui me fait hurler aussitôt un "Non !" qui interrompt son geste. Elle tourne vers moi son expression scandalisée et je comprends à quel point je suis ridicule.
—T'es sérieuse ? Corinne...
Son ton suppliant de mère désappointée et sa précipitation à me rejoindre me mettent super mal à l'aise.
—Qu'est-ce qui se passe ? C'est plus que de la solitude, là ! Tu ne peux pas vivre dans un bunker, non plus ! T'as le mal de la campagne ?
Je soupire en hochant la tête.
—C'est quoi, alors ? Je ne partirai pas sans savoir pourquoi t'es de plus en plus réticente à montrer le bout de ton nez.
Ses bras croisés me font capituler. Je n'ai pas envie de lutter plus longtemps et puis, elle pouvait peut-être m'aider à faire le point dans le bazar de mon cerveau. Alors je lui explique en gros les photos à mon balcon, le rendez-vous et le chantage. Je ne tiens pas à montrer le contenu des lettres, surtout en voyant l'œil de Nora noircir.

—Ce mec est un taré ! Pourquoi devrais-tu le faire entrer chez toi ? S'il n'y avait pas sa menace derrière, je t'aurais trainée jusqu'aux flics, alors l'inviter comme un prince...

—Je dois lui répondre, quand même, ou il reviendra de toute façon à la charge.

—Et si tu détruisais ses lettres ? Corinne, il ne doit pas t'empêcher de vivre.

—Oh mais ce n'est pas le cas, assuré-je en servant un thé dans deux tasses. À vrai dire, je suis... curieuse. Cette démarche bizarre cache un truc, mais il n'a pas l'air méchant, il protège juste sa fille. Franchement, il aurait pu faire du chantage bien pire, me réclamer de l'argent, mais non, il a juste demandé de ne pas appeler la police. S'il est conscient des risques, pourquoi le faire alors ? Pourquoi me donner ces photos ? J'ai essayé de savoir aujourd'hui, mais je crois qu'il n'en sait pas plus que moi.

—Mais parce que c'est un PERVERS ! s'énerve Nora, ce qui est assez rare. Machallah, tu me désespères. Tu l'as envoyé sur les roses, au moins ?

—Je... non je... il a proposé de faire un repas ici, ce week end, en présence de sa fille. Je n'ai ni accepter ni refuser, je... je ne sais pas encore.

—QUOI ?

Nora n'a jamais montré autant ses orbites. Je sais que ce qui la retient de péter vraiment un câble, c'est son éducation. Son regard parle pour le reste du corps.

—T'es aussi malade que lui ! Pourquoi t'accepterais ?

Que puis-je lui répondre ? Il y a quelque chose de troublant chez lui quand il parle de thèmes graves en restant calme. Il a cerné des choses chez moi que mes amis, mon frère ne voient pas. Pire, il semble s'y retrouver dans ce rejet de la sollicitude, celui qui, je sais, cache le mal être criant. Mais je ne peux pas parler de ça avec Nora. Alors je me contente de choses moins intimes. J'inspire, bois une gorgée et rosis de timidité.

—Il veut prouver qu'il n'agira pas de façon déplacée. Et il a l'air de dire que la petite est franche, peut-être que... tu vois, si elle balance des infos utiles, et que je peux alors faire pression pour qu'il efface ses photos...

Nora lève un sourcil qui en dit long sur son scepticisme. Ses yeux presque noirs me sondent sans un mot jusqu'à me pousser à la grimace.

—Il est mignon ?

À mon tour de hausser les sourcils : quel passage du coq à l'âne ! Je lui montre une des photos que j'avais trouvée sur le net de lui.

—J'ai pas pu bien le détailler à cause de son regard, il est... déstabilisant.

—Il est quand même mignon ! Tu devrais peut-être lui renvoyer la balle, s'il te plait et que tu lui plais aussi. Tu sais... faire du charme, puis prendre le même genre de photos ou une vidéo, que tu menacerais de poster sur les réseaux sociaux ! Sa fille l'apprendrait et ça le fera flipper, comme ça tu peux négocier sur le même niveau et...

—Merde ! m'exclamé-je, atterrée. Tu te crois dans « Noirs secrets » ? C'est pas la mafia russe, ici ! La petiote n'a rien demandé, enfin, je vais pas la démolir !

—Elle n'aurait qu'à s'en prendre à son père. Penses-y.

Les yeux au ciel, je clos cette conversation abracadabrantesque. J'en ai bien assez entendu ! Nora, sur le départ, me lance quand même une dernière réplique.

—Tu as envie de creuser son cas, alors invite-le, c'est chez toi, tu fais ce que tu veux. Mais je viens aussi, comme ça je l'aurai à l'œil. Et ce serait peut-être bien que t'invites aussi quelqu'un qui ne sait pas tout ce que je sais sur ce Renard, parce que je ne serai pas objective.

Elle me salue et me rappelle de recontacter Jules, avant de fermer la porte. Alors ce soir, entre deux épisodes de série, je lui envoie un message privé sur le net, où j'accepte ses excuses. Pas de piques assassines en retour, il a donc compris la limite franchie. Ouf ! Un poids en moins sur mon cœur lourd d'incertitude. 

Mon regard sur toiOù les histoires vivent. Découvrez maintenant