Mike :
Au Centre William Lennox, qui m'a accueilli pour ma rééducation, c'est l'émulation dans mon couloir. Ils sont bien contents de m'avoir aidé à mettre mon costard et d'avoir un « grand artiste » parmi leurs patients.
— Prêt pour votre grand soir, monsieur Renard ? me taquine l'infirmière qui m'aide à sortir du lit.
— Eh, Mike ! Pense à nous ramener des apéritifs ! lance un de mes voisins d'infortune.
— J'essayerai, mais j'ai pas beaucoup de poches ! rétorqué-je avant de rire avec lui.
Corinne est là et... oh bordel, elle a le bas des jambes à nu ! Je n'imagine même pas ce qu'elle porte sous son manteau, elle n'y va pas à moitié pour vaincre sa peur, elle ! J'empoigne ma canne et m'avance, fier de me passer de fauteuil depuis deux semaines. Je devrai juste penser à m'assoir régulièrement et garder ma canne. Je remercie Anne-Lise de m'avoir trouvé plus classe que la béquille pour me servir d'appui. Ma femme m'embrasse avant que nous ne rejoignions son auto au plus vite, pour m'éviter de fatiguer. Lorsqu'elle se découvre sur son siège, je suis bouche bée : elle a mis une robe jaune moulante.
— Quoi ? me lance-t-elle. Madame Irma des habits a perdu sa langue ?
— Si jamais tu gardes cette tenue en t'approchant du lit, je ne te laisserai pas filer de sitôt. Tu es magnifique. Et je ne serai que le premier d'une longue liste à te le dire, ce soir, tu peux me croire.
Elle rosit, mais au fil des kilomètres, la nervosité reprend le dessus. En chemin, elle souffle pour se détendre. Crois-moi, on est deux.
— Tu te sens prêt ? me demande-t-elle.
— Pas trop. Et toi ?
— Non plus.
On s'échange un bref regard qui déclenche notre éclat de rire.
— Mais pourquoi j'ai organisé ça, franchement ? lâche-t-elle.
— Parce que je serai là.
Ma réponse franche calme nos folies en un sourire.
— C'est vrai. Je ne l'aurais pas supporté, toute seule.
— Si tu pouvais éviter la crise de panique, ça m'arrangerait. Je ne me suis pas remis de la première.
— Je ne crois pas en arriver là. De l'eau a coulé sous les ponts depuis la séance photo.
Je le remarque un peu plus chaque jour en sa compagnie. Mon orgueil aime me rappeler que j'y suis pour quelque chose. Et ça me booste pour vaincre mes propres démons.
— Tiens, d'ailleurs, poursuit-elle, j'ai promis à Nadia et Jules qu'à la prochaine soirée karaoké, on ferait un duo sur « Shape of you ». Comme ça, tu me verras chanter, mais je ne serai pas toute seule.
— Ohhh eh bien j'ai hâte de voir ça ! Il va falloir s'entraîner, miss Caty, si on s'y mettait tout de suite ? J'ai toujours ton petit MP3 avec la playlist.
Elle devient rouge pivoine et je me retiens de rire.
— Mais je ne m'y suis pas du tout préparée ! Mike..., m'avertit-elle. Non, Mike, ne fais pas ça !
J'ai tendu le bras en évitant un maximum de décoller mon dos du siège pour placer l'usb dans son appareil et sélectionner la bonne piste. Les premières notes retentissent et elle lève les yeux en l'air dans un soupir.
— Tu ne peux pas t'empêcher de m'embarrasser.
— C'est pour ton bien, chérie, allez, ça va te détendre !
Comme la première fois, c'est moi qui entonne le premier couplet. Elle chante entre ses dents le refrain, mais les suivants sont meilleurs. Il fallait juste la secouer un peu, comme toujours. J'aime bien comme elle me renvoie la balle avec les paroles. Je vais fantasmer sur ce chant en duo pendant un bon moment !
Nous arrivons à l'expo comme des stars à Canne ; toutes les têtes se tournent vers nous et quelques « Ahhh » de contentement rompent les conversations.
— Le photographe et le modèle ! Il ne manquait que vous ! lance une de mes vieilles connaissances.
Il semble travailler ici, maintenant, ça peut expliquer des choses. Je salue les invités de ma seule main libre, retenant mes grimaces quand certains serrent un peu fort mes doigts à peine remis. Corinne est tout aussi sollicitée, souvent collée à mon bras. Chacun veut lui dire quelle photo d'elle est la meilleure et pourquoi. Quand je la présente, je dis qu'elle est mon égérie, ça lui donne des couleurs. Elle me fait le tour de l'installation, expliquant comment les clichés sont classés selon l'évolution de son plaisir à être prise en photo, avec une partie à part finale sur ceux que j'ai saisis à son insu. L'audioguide contient quelques phrases de sa part avec des extraits de musique de sa séance photo.Je croise de tout : des anciens clients contents de retrouver ma touche personnelle, un professeur d'art qui songe à emmener ses élèves ici travailler sur l'expression faciale, tant Corinne libère des émotions variées, des gens du milieu qui m'interrogent sur mon arrêt... Mais globalement, je m'en sors bien. J'esquive les passages les plus insupportables de mon récit de vie. Je préfère annoncer que j'aurai bientôt le feu vert pour retourner vivre auprès de Corinne.
Vers onze heures, je suis épuisé et dois m'excuser avant de prendre place dans un des rares sièges du lieu. Corinne s'assure de mon état et va me chercher à boire. Je lui suis reconnaissant de rester si près de moi, alors qu'elle pourrait se balader parmi les gens. Elle a pris ses aises petit à petit, même si elle ne regarde pas trop en direction des photos.
Une vieille dame l'interpelle, tandis qu'elle revient vers moi avec deux verres. Décidé à prendre sur moi, je relève ma carcasse capricieuse. Je n'ai aucune envie de l'obliger à interrompre ses échanges et à ne pas bouger d'un coin pendant des plombes. Je boitille jusqu'à elle, j'entends de mieux en mieux la conversation.
— Vous êtes bien courageuse, madame, ce ne doit pas être facile.
— Non, ça ne l'est pas. Mais je suis chanceuse. Parce qu'il respire, il bouge, il pense, il parle et il rit. Il est toujours là. Et c'est tout ce qui compte pour moi.
Je prends sa main avec tendresse et sourit à mon tour, prêt à l'embrasser.
— Oui. C'est tout ce qui compte.
L'aventure s'arrête ici, mes fidèles lecteurs <3 Merci à la poignée d'irréductibles toujours au rendez-vous pour lire, voter, commenter les nouveaux postes ! Vous avez été un soutien précieux dans ce projet qui m'a pris presque deux ans :) !N'hésitez pas à le diffuser si vous pensez à des personnes qui aimeront ce genre de récit.
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Mon regard sur toi
RomanceCorinne Leclerq a 30 ans et mène une vie... Enfin, elle mène une vie. Elle travaille, rentre, dort. Un couple, un crédit hypothécaire ? Il n'en est rien. Corinne a sa chatte Cristie, un studio, point. C'est ainsi, quand personne ne nous remarque, sa...