Mon regard sur toi

Partie 2 : Réelle - Ch. 7 Panorama sur la mer (2)

Corinne

Le serveur vient prendre nos commandes, m'obligeant à canaliser ma frustration. Que ce Mike me ferait volontiers ressortir comme un haut-le-cœur. A peine l'employé repartit, le ton mielleux de mon harceleur revient :

—Seriez-vous d'un naturel jaloux, Corinne ?

Ses yeux s'étrécissent, tandis qu'un rictus lui déforme la bouche d'un air moqueur. Jalouse de... ? Rhâ, le muffle !

—Pff, tout ça est ridicule. Que vous soyez marié ou célibataire m'est égal, j'ai maintenant de quoi porter une plainte nominative et s'il faut en arriver là pour que vous me laissiez vivre tranquille chez moi, j'y vais dès aujourd'hui.

Il recule les bras qu'il avait posé sur la table et, à son tour, se rembrunit. Des ombres se dessinent sur son visage, un masque différent est placé, distant et grave. Dans un raclement de gorge, sans lever les yeux, il brise le silence couvert de tensions.

—À vrai dire... je suis désolé, mais il fallait que je prenne une garantie.

—Q-Quoi ?

Ma voix part en cacahuète. Une garantie ? Qu'est-ce qu'il a foutu ? Menacerait-il ma vie ? Celle de mes proches ? Oh non, il m'a vue boire un verre avec mon frère et mes amis, ils sont peut-être en danger ! Et dire que je repousse les appels de Jules depuis le soir en terrasse, que je refuse d'ouvrir à Nora ! Je me tortille avec anxiété, sans quitter des yeux la main de Mike qui glisse dans un sac en bandoulière posé sur la banquette. Fuir ? Non, il exécuterait sa « garantie ». Je me recroqueville sur ma chaise et découvre une enveloppe dont il sort des photos. Il me montre les quatre images et je cache mes lèvres sous une main horrifiée. C'est moi. Sur toutes. Sortant de la salle de bain, dormant les fesses à l'air à force de bouger la nuit, enfilant une chemise de nuit par-dessus mon essui... Pourquoi ai-je loué un studio avec un salle d'eau si petite, je vous le demande !

Dans un nouveau bruit de gorge, Mike récupère mon attention, le doigt sur une photo. Moi, je ne sais pas quoi dire, tellement je suis envahie d'anxiété. Je n'en ai pas l'habitude. Vous me verriez garder mon calme en soufflant un bon coup loin du combiné, quand je dois répondre à des incivilités au bout du fil toute la journée, parce que je propose des plans de payement pour des factures faramineuses. Mais aucune de ces personnes n'entre dans ma sphère privée comme dans un moulin. Seul Mike l'a fait. Et pour me piéger. Pourquoi cela ? J'ai toujours été rangée sous l'étiquette de la timide discrète plutôt que celle du cancre, et voilà qu'on me menace ? Alors non, je ne suis pas capable de répondre. Je dois me remettre du choc pour parvenir à échapper un son.

—Si vous me dénoncez à la police, je balancerai ces photos sur des sites internet peu recommandables avec votre nom dessus.

—Je vous poursuivrai en justice si vous faites ça ! arrivé-je à chevroter.

Il hausse les épaules. N'est-il donc jamais inquiet ?

—Vous m'auriez déjà privé d'un de mes rares trésors à cause de votre plainte, alors je m'en moquerais bien. J'aurais plus rien à perdre. Vous, en revanche... c'est pas votre truc, l'exhibitionnisme. Je me trompe ?

—Salaud de photographe, sifflé-je d'une rage nouvelle. Je veux garder ma mocheté intime pour moi, je ne jouerai pas à ce jeu-là. Pourquoi prendre tant de risques, Mikaël Renard ? Que je vous dénonce vous pend au nez, depuis le début, alors si cela risquait vous priver de votre « rare trésor », pourquoi être venu jusqu'à moi ? Je ne vous ai poussé à rien, vous vous êtes mis dans la mouise tout seul !