Partie 4 : AU-DELA - Chapitre 29 : "Le carreau brisé" (3)

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Alors qu'on sort de là en réfléchissant à la suite de la journée, nous sortons le téléphone du mode avion : les vibrations pleuvent des deux côtés. Et quand j'écoute le message vocal, je constate la mine effarée d'Anne-Lise. Elle doit entendre à peu près la même chose.

« Bonjour Corinne, je... c'est Laeticia, la... maman d'Amélie... »

Elle gémit et parle vite, comme si elle contenait des pleurs ou profitait d'un maximum de répit entre deux hoquets.

« Elle... elle a profité qu'on dorme tard après la Veillée pour sortir et... elle ne répond pas à mes appels ou ceux d'An-d'Antoine. Il manque un sac à dos... J'ai... j'ai déjà appelé chez ses amis, et ils... ils ne l'ont pas eue en contact. As-tu une-une idée d'où elle serait ? Tu... tu pourrais me rappeler si tu sais quoi que ce soit ? Je-je sais qu'elle parle parfois avec toi, s'il... s'il te plait. Je ne sais plus où chercher... Ça ne lui ressemble pas... Merci. »

Je raccroche et un silence pesant envahit le parking. Le Noël prend une tournure bien moins gaie, soudainement. Un sms d'Amélie apparait.

— Oh merde ! Amélie m'a contactée !

— Quelle heure ?

Essoufflées sans courir, on fixe l'écran avec inquiétude. « J'en ai marre de cette famille. » À dix heures deux. Anne-Lise consulte sa propre messagerie, mais m'indique le néant de son côté d'un signe de la tête.

— Corinne, ça veut dire qu'elle va plus facilement te joindre que nous. Il vaudrait mieux filer chez toi au cas où elle s'y présente !

On se précipite sur les sièges. J'ai le cœur qui perd les pédales : qu'est-ce qui lui a pris ? Le jour de Noël, en plus ! Laeticia a beau avoir été vache avec Mike, elle ne mérite pas un coup si dur. C'est une mère un peu surprotectrice peut-être, mais je l'ai toujours trouvée tendre avec sa fille. Il faut que je comprenne comment cela a pu se produire. Pourvu qu'elle ne fasse pas de mauvaise rencontre. Dès qu'une sonnerie retentit, Laeticia décroche et s'emballe :

— Corinne ! Tu sais où elle est ?

J'en suis gênée de ne pouvoir calmer ses inquiétudes.

— Je ne sais pas où elle est, vraiment, on va passer voir chez moi.

Un gros soupir ponctue ma phrase en retour.

— Mais elle m'a envoyé un sms à dix heures. Elle y dit juste qu'elle en a marre de sa famille, il s'est passé quelque chose hier ? Elle ne m'a jamais parlé d'un tel projet, on dirait que ça a été fait de façon impulsive.

— Elle... elle me tanait pour aller voir son père aux vacances de Noël, à l'hôpital, quand j'ai refusé elle a dit que t'accepterais sûrement, toi. Tu sais, les réflexes de mettre en concurrence... pour faire plier, mais je... j'ai maintenu le « non » et elle s'est énervée, m'a insultée, Antoine... C'est lui qui a arrêté l'escalade et elle est montée en claquant la porte. Elle... elle est si dure avec nous, ces derniers temps. P-pourtant, elle était si douce, je... j'espère qu'il n'y a rien de pire en-dessous de tout ça. Mon dieu, où est-elle ? J'ai réessayé de la joindre, ça a coupé, et si quelqu'un avait jeté son téléphone ? Ou bien elle coupe pour moi ? Je... j'sais pas, je...

Elle sanglote de plus belle. Je souffle pour ne pas céder à la panique. Il faut que je me pose et fasse le point, tout va vite, les possibilités sont multiples.

— Je vais tenter de la joindre, si elle coupe aussi avec moi, je ne te rappelle pas, si je la joins, j'essayerai de soutirer des informations pour la retrouver. Et je vais contacter l'hôpital, aussi, s'ils l'ont vue, je te recontacte. OK ?

— D-d'accord, mais... si jamais je n'ai pas ton coup de fil, dans une heure, je... j'irai à la police, glapit-elle.

Une fois dans la rue, ni Anne-Lise ni moi ne parlons, comme des bombes prêtes à exploser au moindre appel. Je sonne Amélie, mais j'ai directement sa messagerie. Aïe ! Je commence à imaginer le pire. Mes épisodes de série policière défilent dans mon esprit anxieux. J'informe Jules, mes amies, je poste un avis sur mes profils sur internet, téléphone à l'hôpital. L'accueil n'a rien vu. Après, le hall est vaste et sans doute rempli de monde, aujourd'hui. Je décris le profil de la petite, tout en notant mes infos sur un papier, songeuse. Elle a reproché quelque chose de bien précis à sa mère, auquel elle tient. Si Laeticia n'obtient rien de ses amis, je ne vois pas d'autre option. Je choisis aussi la mienne.

— Aucune nouvelle depuis... Anne-Lise, je vais à la clinique. Imagine qu'elle y aille en douce ? Elle râle de ne pas voir son père. Il est dans le coma, tout de même ! Quand ton père risque de mourir, tu n'as pas envie de le revoir plus que jamais ? Je vais faire le guet devant le couloir des réas, je ne me sens pas tranquille.

— Tu crois qu'elle ne viendra pas ici ? Dans ce cas, je vais tourner en voiture près des grands axes et de la gare principale. J'ai trop peur qu'elle parte au loin sur un coup de tête.

Aussitôt dit, aussitôt fait. Je vais voir les infirmiers présents en réas, leur décris Amélie et la situation. « C'est la première fois que je vous vois si agitée, madame. » Mais leur réaction effarée et leur interpellation des collègues me prouvent que l'essentiel est dit, maintenant, je vais vite jeter un œil au carnet. Mike ne réagit toujours pas, mais j'ai pris l'habitude malgré tout de lui dire « Bonjour chéri » en bisant son front à chaque visite. Tout un rituel s'est installé, d'ordinaire, je me pose près de lui, parcours les notes, puis sors un livre de mon sac. Mais pas cette fois-ci. Je constate l'immobilité de ses joues dans un soupir. 

Mon regard sur toiOù les histoires vivent. Découvrez maintenant