Partie 3 INTIME - Ch. 15 Piscine couverte, vue sur jardin (2)

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Après un bon quart d'heure passé à nous chamailler, je constate son attention portée sur moi... ou plutôt sur mes seins qui pointent. Je rougis, morte de honte, et entame des longueurs au crawl plus pour fuir qu'autre chose. Je veille à ne pas embêter les nageurs qui profitent de l'absence de couloirs pour se défouler. Une, deux, trois longueurs... je fais une pause, essoufflée mais de nouveau alerte, avant qu'une phrase moqueuse se glisse dans mon dos.

—Ça va mieux après un peu de nage, pas vrai ?

Je découvre Mike allongé sur l'eau, balloté comme un bois flottant. Ses paupières sont closes et un sourire que je n'ai jamais vu sur son visage se dessine, celui du bien être et de la sérénité. Je m'approche pour mieux l'observer -enfin, le mater- et ses yeux s'entrouvrent en m'entendant bouger.

—Je me sens libre, dans l'eau, soupire-t-il d'aise, tellement léger.

Ce murmure sonne comme une confidence, et j'en ai la confirmation dans son regard qui me captive plus que jamais. Avec ce petit sourire serein, je le trouve particulièrement beau.

—Mon corps et moi ne filons pas le parfait amour. C'est même souvent la guerre. Mais quand je suis ici... je gagne une bataille. Je ne le sens plus, et ça fait du bien. C'est comme s'il ne pouvait rien contre la légèreté, l'absence de contacts et l'eau.

Mon visage s'empreint de perplexité, tandis que je trempe mon corps jusqu'au cou.

—Tu te rends compte que ça fait discours de drogué ? Déjà que t'en as un peu la tête...

Il ricane.

— Je n'ai jamais eu besoin de recourir à de telles extrémités pour me détendre. La piscine est bien moins dangereuse. Au début, j'avais peur d'aller ici. Maintenant, j'adore ça. On ne vit pas pour servir nos peurs, Corinne. On vit pour les dompter. Lâche prise. Comme ça, par exemple.

Il se redresse avec un sourire encore plus large.

—Regarde et prends-en de la graine !

Il commence à se mouvoir sur le morceau de French Montana et Swae Lee en agitant ses hanches en rythme. Ah ouais « in-ou-blia-ble », y a pas à dire, ça lui convient. Je vais avoir du mal à me retirer de l'esprit ses oscillations lascives du bassin au bord de l'eau et son mime des paroles... avec ses satanées lèvres pulpeuses, je... Mon dieu non, il me montre du doigt en chantant le refrain, avec ces satanées paroles osées ! Quand il fait un tour sur lui-même au milieu des chants tout en écho dans la salle, je regarde autour de nous, prête à dire que je ne connais pas ce fou. Mais la plupart s'en moquent et les rares à nous voir ne font que sourire. Mike, lui, a l'œil qui brille de joie et ne fixe que moi, approchant parfois, pour articuler certaines paroles. « C'est trop pour toi seule », il ne croit pas si bien dire... On dirait un paon en pleine cour, ça finit par me faire rire tellement c'en devient stupide.

—C'est pas moi qui dois en prendre de la graine, c'est toi qui as vraiment un grain !

—La vie me l'a appris, et tu vas l'apprendre aussi, allez !

Il me saisit le bras, avec cet air espiègle qui me promet le pire.

—As-tu déjà joué au jeu du miroir petite ?

—Euh... oui, mais ça date.

Ravi, il se plante devant moi, comme s'il attendait quelque chose.

—Prochaine chanson, tu copies mes mouvements, OK ? Et t'éteins ton cerveau, compris ? Tu ne regardes que moi.

—Mais... Mike ! Je suis nulle pour...

Je bafouille, j'ai l'impression d'avoir reçu un seau d'eau froide sur la tête. Mais, comme d'habitude, il campe sur ses positions et ne me laisse pas entraver ses projets. Il chasse ma réplique d'une main dédaigneuse.

—Ouais ouais je sais, ton corps est nul, il bouge mal, il est moche, et blablabla... ça, c'est dans ta tête. Tout le monde ne considère pas ta peau comme une bête source de tripotage à disposition. Quelque chose se cache en toi, apprends à le libérer. Mot d'ordre, aujourd'hui : vivre son présent à fond !

Des premières notes aiguës singulières et douces retentissent par-delà les échos enfantins et les clapotis. Je crois que le sourire de Mike a atteint une largeur digne de figurer dans le Guinness Book.

—Ha, bien ! « Mama » de Jonas Blue, c'est ce qu'il nous faut ! Imite-moi, Corinne, allez !

Sur la voix veloutée de départ, il remue un peu des hanches. OK, simple. Mais dès que les instruments de basse et percu' arrivent, que la voix du chanteur tend plus vers les aigus, Mike enchaine d'autres mouvements, comme les bras à gauche et à droite en rythme, puis les jambes qui suivent, tel un cours d'aquagym privé. Il a l'œil malicieux, mais aussi une certaine fierté lorsqu'il donne de l'amplitude aux gestes que je dois reproduire. À croire qu'il a calculé les niveaux de difficulté et que ça l'amuse. De plus en plus, il s'empare de l'espace aquatique, écarte les membres, embrasse le monde. Je devine les messages que son corps m'envoie, avec son expression enjouée ; c'est un appel continu qui n'a pas besoin de mots. Alors, j'inspire un grand coup et m'y mets sans réfléchir. Je suis une aveugle du temps écoulé qui se fie à son seul guide à proximité pour l'utiliser à fond. Il est adorable, en fait, cet homme, si on retire son sale penchant pour le voyeurisme.

D'un clin d'œil appuyé, il commence à chanter et ne perd pas le fil du refrain, les mouvements adaptés au sens. J'avoue qu'il y a un peu de quoi en rire, vu les propos du chanteur.

Quand les paroles disent à la mère de ne pas stresser, il touche sa tête d'un index en rythme, pose ses mains devant lui comme s'il me disait « calme, calme ! », puis, sous le conseil de Jonas Blue, mime de se frotter les joues. Ça me fait éclater de rire, pendant que je place mes pieds sur le côté régulièrement, droite, gauche, en montant et descendant les bras sur le chant. Tandis qu'ils promettent leur retour aux premiers rayons de l'astre, Mike élève le bras au-dessus de lui comme une course solaire, les yeux au plafond, ses hanches se mouvant de façon ostensible. Je le singe, on est ridicules, mais comme à un enterrement de jeunes mariés : en se foutant de tout, sauf de s'amuser.

Il me fixe sur tous les débuts de refrain, en remettant ses mains devant lui pour temporiser. Enfoiré. Il me le dit directement, je le vois bien. « Stresse pas, Corinne ! On ne fait que rigoler ! » Aussitôt, il part deux pas à gauche, ramenant les coudes à son tronc, et pivote sur lui-même durant un tour complet avant le deuxième bout de refrain. Il répète la chose à droite, frappant dans ses mains pour le tempo, et je prends doucement le pli. Je tourne en fermant les yeux.

—Bien ! me félicite-t-il avec enthousiasme.

On réitère, je mets mon énergie dans ces gestes que je devine. Pendant le couplet suivant, je le suis comme je peux. Il se rapproche, le refrain numéro deux va bientôt surgir. Le doigt levé pour m'avertir, il m'adresse fermement l'injonction du chanteur à la fin, et je m'exécute, parce que... parce que je n'ai rien de plus fou à faire !

—Hey mama ! Don't stress...

Ma voix est aiguë de nervosité, mais j'ai un sacré public d'une personne qui me fixe avec fascination et bonheur, presque désir, en remuant sensuellement, et là... j'abandonne. J'en ai assez de lutter face à son culot bienveillant. Je sens la légèreté envahir mes pores, j'écarte à mon tour le bras pour un demi-cercle marqué, puis mets mes mains devant moi comme pour nous apaiser. Il semble ravi de ma prestation stupide et s'empare de mes mains tendues dès la fin des paroles. Je crois que la chaleur de son regard m'a bien aidée à me lancer, tant il pourrait me faire fondre et que cela m'effraie. Lors du deuxième refrain, il me fait tourner sur moi-même, me colle à lui de face. Mon esprit est un peu anxieux, mais mon corps est joie, et comme j'ai reçu le conseil de ne pas trop écouter le premier, je rougis sans retenir mon sourire. Lui aussi parait dans une zone remplie d'oubli et de plumes où se perdent les bienheureux. 

Mon regard sur toiOù les histoires vivent. Découvrez maintenant