Partie 3 INTIME - Ch. 19 "Brisure d'un double vitrage" (fin)

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Ma gorge se noue, je crains le pire. Ma voix aussi est basse. Je ne veux pas briser l'ambiance feutrée ni gêner Amélie dans son sommeil. Mais ce ne sont que des prétextes bien tombés, car en réalité, je le fais par peur.

— Que voudrais-tu que je te dise ?

— La vérité. Ne minimise rien. Y a rien de pire que de réduire tes vraies douleurs à néant quand tu parles de tes soucis. Ce serait les nier. Accepte-les. Ces douleurs font partie de toi et personne n'a vécu une vie sans en ressentir. On en porte tous, tu m'entends, Corinne ? On fait semblant que non, mais on en porte tous. Assume-les, exprime-les. Ou elles te boufferont.

Mon inquiétude grandit après son discours. Je suis du regard son doigt qui guide la souris vers ses dossiers musicaux.

— Je veux comprendre ce qui s'est passé, ce jour-là... Il faut que ça sorte de toi, tout ça.

Et là, je vois le titre et je pâlis. Pendant qu'il passe des petits écouteurs bluetooth à une oreille chez moi et une chez lui, je tremble. Alors il soupire. Sa voix n'a jamais été si douce.

— Détends-toi, Corinne, ne te bloque pas en chemin, avance. Tu ne marches pas toute seule, je t'accompagne dans ton épreuve. Ça va ?

— Me jures-tu qu'ensuite tu cesseras ces jeux atroces ? chevroté-je.

Son sourire enjôleur me répond déjà.

— Bien sûr, si tu y tiens. Ceci est plus important. Je vais remettre cette musique. Oui, elle te fait mal, mais je veux que tu me dises pourquoi. Sans grands discours. Juste lâcher ce qui te traverse, essaye de m'expliquer le sens de ces paroles pour toi, à quoi elles te renvoient, OK ? Je te tiendrai les mains et je vais aussi l'écouter en repensant à des choses, c'est une épreuve pour moi comme pour toi. Je te dirai pourquoi. Alors ? Prête ?

J'acquiesce au milieu d'une grimace.

— T'as raison, c'est comme pour retirer un sparadrap, plus vite on le fait mieux ça passe.

Il lance la musique. Avant le chant, je déglutis déjà, ferme les yeux, sens les mains de Mike autour des miennes et les serre instinctivement. Son ton, inquiet mais posé, m'interpelle avec délicatesse. J'essaye de péter mes barricades, ma bulle, tout ce qui me retient. C'est difficile de se battre contre soi-même.

— Que vois-tu en fermant les yeux ?

— Je... c'est beaucoup de choses qui défilent, admets-je en tremblotant.

— Décris-les une par une.

— Je veux partir des toilettes pour jouer dans la cour, mais trois garçons entrent et me bloquent la sortie, il y en a un qui... m'embrasse et un autre... caresse ma cuisse sur ma robe... rouge, elle était rouge... il demande combien il y a de kilos sous sa main... mais je... j'aime pas ça, je me dégage et entrouvre la porte, une copine finit d'ouvrir, je dis quelques mots en pleurnichant et elle les engueule en menaçant de prévenir la prof, mais... j'ai eu honte, j'ai plus voulu en parler et j'ai évité d'aller dans ces toilettes seule, après.

— Quelle année scolaire ?

— Sixième primaire*.

Je l'entends souffler, comme s'il encaissait, puis il caresse du bout des doigts le dos de mes mains, pendant le refrain.

— Continue, je sens qu'il y a d'autres choses.

Il a l'air si assuré de son propos que je me demande s'il ne s'est pas déjà renseigné, mais c'est impossible.

— Bah... des sifflements en rue, souvent, des mecs qui me suivent en insistant, et... je me souviens d'un en hiver, quand je revenais de l'unif' et qu'il faisait déjà noir... il m'approche et il me dit... qu'on défoncerait bien un... un...

Mon regard sur toiOù les histoires vivent. Découvrez maintenant