Mike :
D'un mouvement ralenti par son attention soudaine, elle s'assoit sur le bord de mon lit. À vrai dire, je ferais bien de même, le temps que le médicament calme l'ouragan dans mes jambes. J'apaise mon souffle comme je peux et me lance sans attendre. C'est mon tour.
— C'étaient les neuf ans d'Amélie. Elle le fêtait avec ses copains, je ne me sentais pas bien depuis plusieurs jours, mais je prenais sur moi pour que la fête soit réussie. Malheureusement, je me suis effondré. J'ai tout gâché. Laeti m'a fait emmener à l'hôpital par Antoine, un vieil ami en commun qui est le parrain d'Amé. Nous avions étudié ensemble. C'est à partir de ce jour-là que... je n'ai plus pu voir ma fille. Pendant des mois. Je crois même un an.
Je ne la regarde pas, mes mains s'agitent, s'entrecroisent sur mes genoux, pendant que je fixe la moquette, accablé. Tellement de douleur, de dépit dans ce souvenir. Toujours ce « Pourquoi moi ? » qui résonne.
— Pourquoi ? demande-t-elle faiblement, tel un écho.
— Tu dois savoir, je... encore aujourd'hui... c'est pour ça qu'Anne-Lise...
Je m'embrouille, alors elle pose une main sur ma cuisse, apaisant en partie mes agitations. Mon regard affligé croise le sien. Elle se contente d'hocher la tête avec un sourire encourageant. L'homme anxieux caché en moi reprend, je me racle la gorge pour me recentrer.
— Je souffre d'une maladie rare et auto-immune. On en meurt peu, mais on n'en guérit jamais, quoi qu'en disent les médecins. Elle surgit à n'importe quel âge, chez n'importe qui, pour des raisons aussi stupides que... une gastro, soufflé-je d'une rage contenue.
— Les médecins ne savent pas ce que c'est ?
— Oh si. Si, ils savent. J'étais déjà assez loin, ils l'ont soupçonné très vite, ce n'était heureusement pas la première fois que l'équipe neurologie de l'hôpital en croisait. J'ai eu plus de chance que d'autres sur ce point. Ils m'ont fait une ponction lombaire. Puis, par sécurité, ils ont enchainé avec un EMG.
Devant son air perplexe, je précise.
— Un électroneuromyogramme. Ça vérifie le taux de myéline autour des nerfs, c'est ce qui... les protège. Et mon syndrome détruit cette myéline. On appelle ça un Guillain-Barré. Mes anticorps, mes propres anticorps détruisent mon système nerveux. Dur à croire, hein ? J'ai eu beaucoup de mal, moi aussi. Quand les docteurs ont confirmé ma maladie, j'ai été isolé en section réanimation.
— La section réanimation ? hoquette-t-elle, choquée.
— C'était... couru d'avance que j'allais finir paralysé. Ça peut même aller jusqu'aux poumons, selon les cas, alors, imagine... sans un personnel au taquet, c'est risqué. C'est à ce moment-là que tu peux le plus en mourir, ça et lorsque la phase suivante démarre. Ça va très, très vite. J'avais un syndrome ascendant, un cas spécial où la paralysie va de bas en haut. Les médecins ont mis des anticorps étrangers dans mes veines, pour combattre mes anticorps défectueux, des piqûres d'immunoglobulines. Quelques jours après, la paralysie a atteint mon bassin et mes mains, et ils ont fait une sorte de nettoyage ou remplacement de mon sang. Ça m'a sans doute évité le pire. J'ai atteint le pic de paralysie, la phase « plateau », juste après. Ils ne pouvaient rien faire de plus pour moi. J'aurais dû venir avant de perdre la marche, j'ai trop minimisé la situation et... enfin, ça n'aurait peut-être rien changé. On passe quasi tous par là, de toute façon, avec ce truc. Finalement, j'ai... je me suis retrouvé pétrifié des orteils aux côtés, bras compris. Mon visage a été partiellement paralysé. J'avais parfois du mal à articuler, à fermer les yeux, à manger... Pendant longtemps, il a fallu me nourrir au tube, puis à la paille, je ne mâchais plus et déglutissais mal. Et je dois encore m'estimer chanceux d'avoir été capable de parler, de ne pas avoir eu de canule dans la gorge ou pire, d'être plongé dans le coma. Je n'ai pas eu les formes les plus sévères du SGB, mais...
VOUS LISEZ
Mon regard sur toi
RomanceCorinne Leclerq a 30 ans et mène une vie... Enfin, elle mène une vie. Elle travaille, rentre, dort. Un couple, un crédit hypothécaire ? Il n'en est rien. Corinne a sa chatte Cristie, un studio, point. C'est ainsi, quand personne ne nous remarque, sa...