Partie 2 REELLE - Ch. 13 Derrière la lucarne (3)

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—Euh... attends, avant ça, je veux comprendre autre chose...

Je repense à ce que j'ai appris au supermarché. Il ne m'a pas tout dit. Ma voix s'amenuise, je devine la sensibilité du point abordé. Mais la curiosité me guide.

—Est-ce que... est-ce que tu étais blessé ? Au supermarché.

Mike s'est retourné, les mains dans les poches et l'appareil autour du cou. Il parait si grave, tout à coup. Telle une huître qui se ferme. Soudain, son regard devint perçant, teinté d'inquiétude, comme si les rôles s'étaient inversés et que je devenais celle qui franchit les limites de sa sécurité intérieure. Son ton est abrupt et son corps crispé. On dirait moi, dix minutes plus tôt, et ce constat m'ébranle.

—D'où sort cette question ?

Je baisse les yeux, embarrassée sans même savoir pourquoi.

—Le gérant du magasin m'a avoué que tu avais l'air de te blesser souvent. Et que tu venais à des heures creuses. Je me dis que... c'est peut-être aussi pour ça que tu n'as pas voulu te montrer. Surtout après notre première entrevue. Enfin, je pense que j'aurais réagi comme ça aussi, si je voulais éviter de donner une image diminuée à une nouvelle connaissance.

J'ai du mal à recroiser son regard et affronter les torrents nerveux de ses iris. Mais il se radoucit et me tapote l'épaule, de deux doigts timides, comme s'il voulait me rassurer.

—C'est en partie vrai, mais je ne veux pas parler de tout ça aujourd'hui. Le petit garçon en moi trépigne trop d'impatience pour retarder ta surprise.

Je désigne mon épaule en raccrochant également un sourire à mon visage.

—Et ce garnement ne sait pas respecter les règles, il teste les limites, là ! Il doit avoir... six ans, tout au plus, le gosse en toi, non ?

—Haha ! Oh non, c'est un ado en pleine rébellion et crise hormonale.

Le désir recouvre ses pupilles tandis qu'il se mord la lèvre en me parcourant d'un bref coup d'œil, puis il se retourne, reprenant route vers cette porte du diable. Mon cœur s'affole, car qu'importe ses règles, je vais devoir m'y plier. Enfin, pas de toucher autorisé, rien de sexuel... au pire, je devrais finir déguiser en clown ou bourrée. C'est ainsi que je me rassure avant de franchir l'encadrement. Je me rends vite compte que ce n'est pas sa chambre : des affiches de groupes à la mode sur la garde-robe, des stickers à ongles sur la table de nuit et un drap de lit « Zombillenium »... aucun doute, c'est celle d'Amélie.

Mais mon attention est vite captée par le décor dans le coin gauche de la pièce. Une table ronde et blanche, une chaise en bois assortie, quelques objets dessus sans rapport entre eux, tels qu'un éventail, un vase en porcelaine, un mug noir, un chapeau de paille en bombe. Mais surtout, le tout est au bord de la fenêtre aux rideaux jaunes, éclairés par les derniers rayons du jour, aidés d'un spot sur la droite et d'un réflecteur parapluie. Bouche bée, je marche jusqu'au recoin empli de lumière vive, pendant que Mike installe sur appareil sur la deuxième table de nuit de sa fille, placée d'avance contre le bout du lit. Il semble encore chipoter dans ses réglages, lorsque je brise le silence d'une voix blanche.

—Ne me dis pas que c'est ce que je crois ?

—Si tu crois que tu vas vivre une séance photo professionnelle... alors oui.

Il se laisse glisser sur le lit, allongé, et roule sur lui-même pour finir derrière son objectif. Il observe certainement mon visage livide à travers la lentille.

—N-non Mike, chevroté-je, je... je ne sais pas faire ça.

—Aha ! Désolé, mais tu as promis. Et mets-y du tien, je serais vexé sinon, moi qui ai tellement pensé cette installation. J'ai même dû ressortir mes derniers accessoires pros. Ah, et je t'offre le fond de teint, dans la salle de bain. Choisis celui qui te va. C'est obligatoire d'en mettre pour limiter les reflets sur ta peau. Allez zou, va te préparer.

Mon regard sur toiOù les histoires vivent. Découvrez maintenant