— Haan tu ne me laisses même pas le temps de profiter plus longtemps de ce lit avec toi.
Je caresse son visage avant de l'embrasser. J'évite trop de contact avec le reste du corps tant que je ne suis pas sûre de la disparition de ses plus vives douleurs. Il a même encore des traces de deux escarres qui se résorbent lentement à ses jambes et ne peut pas lever l'entièreté du bras, autant dire que je ne lui proposerai rien d'osé. Il semble de cet avis.
— Mais j'avoue que ça me donne envie de sexe, je vais finir frustré de ne pas être rétabli. Et j'ai une autre envie pressante beaucoup moins glamour. C'est... tout de suite plus gênant, hein ?
Je vois bien que c'est malaisant pour lui, « gênant » est un euphémisme par rapport à son ressenti, ses yeux soudain baissés et le changement de ton veulent tout dire. Je vais devoir mettre en pratique un art que j'ai pas mal développé depuis Noël : alléger l'ambiance en relativisant.
— Bah, c'est la même partie du corps. Je vais t'aider à t'y rendre. Par contre, la salle de bain n'est pas adaptée pour ton handicap, faudra sans doute que je la refasse, quand j'aurai un peu plus de finances. Tu crois que tu tiendras assis ?
Une fois cette difficulté passée, j'en profite pour le laver au gant, des tissus éponges partout sur son fauteuil. Ma main parcourt ses formes sans que je ne lâche son regard, en silence. La séance dont il sortait embarrassé l'a sans doute rendu autant crispé que ses douleurs, nu face à moi. Mais je m'applique à le détendre : mes doigts épousent les courbes de son corps, le gant humide l'effleure délicatement. Ce qui est une nécessité pour lui faire supporter l'épreuve devient sensuel, j'appuie parfois le contact quand je sais qu'il souffre moins sur cette zone et on dirait qu'il lutte pour ne pas rompre notre contact visuel. Son souffle frémit par moment et, quand je passe sur son bas-ventre, il se coupe. Mike ferme les yeux, vaincu. Il brise même l'intense calme d'une certitude marmonnée :
— Heureux sera le jour où je pourrai de nouveau te faire l'amour, Corinne.
J'échappe un petit rire de conquise, mes joues ont sûrement rosi. « Me faire l'amour », oui, il est bien le seul capable de l'appliquer.
— Eh bien, voilà une nouvelle étape à franchir, avec une autre récompense à la clé. Cette technique t'a plutôt bien réussi.
Dès que nous sommes habillés, je l'installe à table, puis vais voir Amélie. Je lui avais dit de mettre un autre réveil pour s'apprêter aussi, si elle tenait à bien profiter de notre destination. Elle me salue, sa tenue sous le bras, et file vers la salle de bain. Ah oui ! C'est vrai qu'on l'a un peu monopolisée. Je ne lui ferai aucune remarque.
À dix heures, nous sommes enfin partis. Malicieuse, j'ai ouvert la boîte à gants avant de démarrer. Je suggère à Mike d'y prendre un dépliant d'activités pour s'occuper l'esprit, car nous avons deux heures de route devant nous. Autant surpris par la proposition que par l'information, il obéit avec méfiance.
— Ça, c'est l'autre projet sur lequel j'ai planché pendant mes temps libres. Je me suis dit que j'allais appliquer « la méthode Renard » pour nous deux en même temps. Tu sais, mettre face à ses complexes pour passer outre de force... pas de raison que je sois la seule à vivre ça.
Il n'a pas encore bien vu le contenu et me dévisage donc toujours avec perplexité. C'est un agenda culturel issu du Hainaut, et il y a un marque-page à l'endroit où je veux l'emmener. Ça y est, il tourne les pages jusque là. Je regarde la route, mais j'entends tout : le froissement du papier glacé, sa prise d'air subite, ses mots bloqués dans le creux de sa gorge.
— Mais... co... comment as-tu pu... ? Comment est-ce... ? Sans que je ne sois... ?
J'aurais aimé qu'une caméra le filme, le pauvre en perd son latin, c'est à se tordre de rire. Je hausse les épaules.
— Disons qu'avec la complicité d'Anne-Lise et mes documents de représentante légale, ça a pu se faire.
— À quelle date ? Fin août jusque mi-octobre ! Va falloir que je ne sois plus en fauteuil. Si je pouvais aussi éviter la canne...
Mon sourire se teinte de mélancolie. Il doit jouer le jeu.
— Mike, tu m'as tellement dit d'accepter mon image et mon corps... J'aimerais que tu sois là, peu importe dans quel état. Je voudrais franchir ce cap avec toi. Et que tu franchisses le tien, aussi. Tu comprends ?
Il acquiesce, même si l'anxiété gagne ses traits.
Le Hainaut est une des provinces de Wallonie.
VOUS LISEZ
Mon regard sur toi
Roman d'amourCorinne Leclerq a 30 ans et mène une vie... Enfin, elle mène une vie. Elle travaille, rentre, dort. Un couple, un crédit hypothécaire ? Il n'en est rien. Corinne a sa chatte Cristie, un studio, point. C'est ainsi, quand personne ne nous remarque, sa...