Partie 4 : AU-DELA - Ch. 25 Vitres gelées (2)

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Corinne :

Les semaines s'écoulent sans se ressembler, depuis qu'on est ensemble. Mes amis ont enfin pu voir Mike comme mon conjoint, à l'anniversaire de mon frère. Nous sommes encore allés au karaoké, mais je n'ose toujours pas chanter, au désespoir de Mike et Nadia. J'ai déjà mangé chez Anne-Lise, dormi plein de fois chez Mike, et l'ambiance hivernale pointe lentement son nez. Amélie ne cesse de demander quand débutera « Louvain-la-neige » pour obliger son père à quitter son appart avec elle et moi, une fois de plus. Et c'est vrai qu'il n'aura pas d'excuses : quasi tous les chalets seront sur la Grand Place. Mike a cédé pour qu'elle arrête d'insister :

— Le week-end du seize et dix-sept décembre, on ira, ça te va ? On fera le tour des chalets et je t'offrirai ton cadeau de Noël.

— Et j'en prendrai un pour toi et pour Corinne ! J'ai des sous aussi, tu sais.

Ça m'a émue et amusée en même temps. Mike n'a pas sa fille à Noël depuis quelques années, Amélie me l'a expliqué à la place de son père. Elle aimerait que ça change, maintenant que je suis là. Mais je crains que ce ne soit trop juste pour ce Noël-ci. Comme ma mère le fête plus tôt afin de repartir ensuite en voyage quand c'est moins cher, je resterai avec Mike et Anne-Lise. Jules ira chez les parents de Nadia. Ça me fait bizarre de me projeter comme ça...

Ce matin, dimanche 26 novembre, le temps est maussade, comme toutes les fin novembre de Belgique depuis ma naissance. Encore ensommeillée, seule dans le lit, je me lève. Il n'est que sept heures, mais avec le boulot, je suis réglée comme une horloge. Mike a dû être réveillé par des tensions, il est déjà apprêté et concentré sur son ordinateur. Son programme de retouche d'images est ouvert, il avance plus sérieusement dans sa formation ces dernières semaines, les évaluations vont sans doute avoir bientôt lieu.

Il ne m'a pas entendue arriver et je m'apprête à le saluer, lui sourire, l'embrasser comme chaque matin, quand je constate l'image sur son écran. Aussitôt, mon sang se glace, ma peau pâlit comme la neige et je me fige sous le givre de mes pensées. Il progresse, lent et empoisonné, me renvoyant à mon dégoût de moi. Non, il a osé ! C'est moi sur cet écran, endormie sur mes bras comme un bébé en pleine confiance. Un demi-sourire qui respire la sécurité, à laquelle il m'a fait croire, avant... avant de me photographier en nuisette dans le lit conjugal ! Il semble adapter les rayons du soleil qui traversent cet instant saisi. Tout à coup, mon cœur se gèle et mes yeux tentent de faire fondre la glace comme ils peuvent. Ils chauffent... Tant de dossiers ouverts... Tout évacuer...

— Mike ! Mais... pourquoi ?

Il me découvre, aussi exsangue que moi à la vue de mes premières larmes.

— Corinne ! Ne panique pas... ce n'est qu'un exercice, je ne la diffuserai pas !

Il se redresse et veut m'étreindre, mais je recule. Les réflexes de défense reviennent, parce qu'il a commis le pire à mes yeux.

— Me touche pas ! Tu m'as menti ! Tu sais ce que ça me fait de subir ces portraits, tu connaissais mes conditions et...et tu n'en as rien eu à foutre ! T'AS CONTINUÉ TES PHOTOS DE PERVERS !

— Mais arrête avec ça ! réplique-t-il aussi fort. Je te trouve belle, j'aime te regarder, t'es ma copine, alors bon sang, que te faut-il de plus pour avoir confiance en mes clichés ? Que leur reproches-tu ? De te montrer ? Mais c'est à moi que tu te montres ! Comme tu le fais au quotidien.

Je hoche aussitôt la tête ; ce n'est pas ce quotidien-là que je veux.

— C'est pour ça que t'as agi en douce ? Tu m'avais dit que t'arrêterais, je te l'avais demandé plusieurs fois avant qu'on soit ensemble et... merde, je t'avais dit OK pour un souvenir de temps en temps, j'ai fait... ta putain de séance photos et... c'est ça la récompense de mes efforts ? Est-ce que moi je fais comme si t'avais pas ton handicap, à ma guise ? Peut-être que tu as de l'attachement pour moi, mais quand on aime quelqu'un, on le respecte, jusque... jusqu'à ses défauts, tant que ça ne nous dénigre pas. Et t'en as un paquet, Mike, pourtant j'ai tout accepté, mais visiblement ce n'est pas... réciproque ! Je ne... je ne pourrai plus te faire confiance, achevé-je d'une voix à l'agonie.

Et je pars, en sanglots, je pars prendre la poudre d'escampette, mon sac, mon manteau...

— Corinne, attends ! lance-t-il en posant une main sur mon épaule.

— Ah ne me touche pas ! Ne me touche plus ! De tous ceux qui ont pu profiter de mon corps en brisant mes espoirs, tu es le pire !

... je pars d'ici, je pars en vrille, je ne suis plus là.Mes jambes me portent jusque chez moi, mais je ne suis plus là. Mes larmessemblent chuter à distance. C'est viscéral, j'ai le poison de la trahison infusédans les veines, il me pompe mon énergie et m'étrangle. 

Qu'ai-je cru ? Que j'allais changer les habitudes d'un obsédé qui m'a stalkée ? Qu'il serait sincère après avoir joué les Anonymous dans ses lettres jusqu'à ce que je perde patience ? La flaque s'étale et se grave dans le tissu de mon canapé-lit. Je suis comme une ado avec des hormones imprévisibles, les morceaux du miroir brisé me blessent encore de l'intérieur, et s'en écoule une peine incompressible. Même si c'est moi qui l'ai bousillé d'un coup de poing.

Mon téléphone sonne, mais je ne veux pas vérifier si c'est Mike. Peu importe qui me contacte, je ne suis pas capable de discuter avec qui que ce soit, tant je hoquète. La rage de l'injustice enfle mon cœur, je m'en vais tirer tous mes rideaux, persuadée qu'il scrute ma détresse tant qu'il peut. Dire que demain, je vais devoir travailler dans cet état... 

Mon regard sur toiOù les histoires vivent. Découvrez maintenant