Quand ma mère débarque avec Jules et Nadia, elle pousse un cri de joie. Peut-être n'a-t-elle pas été mise à jour depuis notre dernière conversation, c'est-à-dire avant la rupture. Je partage des traits avec ma mère, mais elle est plus filiforme, plus blonde et plus plate. Ce qui donne d'étranges photos de famille. Elle m'étreint.
— Oh, Corinne ! Comme je suis contente que tu aies quelqu'un ! J'espère que tu l'as invité pour demain, je tiens absolument à rencontrer ce Mikaël !
Elle s'écarte pour me faire la bise et constate la mélancolie de mon sourire. Jules arrive derrière elle, embarrassé.
— Euh... maman, c'est un peu délicat.
— Quoi donc ? Vous vous êtes séparés ?
Nadia ferma la porte derrière eux en lançant :
— Oh ça, c'était l'épisode d'avant, ils se sont réconciliés plus vite que dans Dallas.
— Ah, je sais ! T'es enceinte ! s'exclame ma mère.
Ça me fait pouffer : je voudrais un enfant un jour, mais quand même, pas si tôt dans une relation.
— Non 'man, mais... je reviens de l'hôpital, il est très malade. Il ne sera pas là demain, désolée.
Elle pose une main effarée sur sa bouche et jette une de ses phrases qui « font mal sans le faire exprès » :
— Oh ma pauvre, après tant de célibat, il fallait que tu tombes sur un fragile !
— Il a ses forces ailleurs, rétorqué-je d'un petit sourire.
— Comment va-t-il ?
Je résume à Jules son état, sans évoquer le mien. Je ne veux pas ruiner le retour de notre mère et notre Noël. Je me couche tôt, ce soir-là, épuisée par les remords, et sur notre repas de midi bien copieux, ma mère me pose autant de questions sur lui que sur le SGB, dont elle n'avait jamais entendu parler. J'imagine que je vais souvent devoir expliquer ces choses-là, désormais. Au moins, je vois une lueur de fierté dans le regard de mon dernier parent, et cela vaut tous les cadeaux de Noël. Parfois, je pense à Mike, qui reste seul et totalement impuissant, parfois me revient le maudit « C'est un peu à cause de moi », mais je me souviens alors de ma promesse. Profiter. Ne pas rendre son travail inutile. Jules aime rappeler qu'on m'a souvent sortie de « mon trou » ces derniers mois, il nomme ça « l'effet Renard » et ça fait autant rire sa copine que moi.
Anne-Lise m'a envoyé un message, en matinée, pas plus rassurée que le médecin par son état. Il a serré les dents tout le long. Elle m'a remerciée pour le carnet, apparemment le corps médical joue le jeu, c'est déjà ça. Je parviens à savourer la fête. Quand le dessert arrive, je prends une part gourmande, en repensant à son coup de gueule, au plaisir de se nourrir seul dont il m'a parlé. Quand je peux boire, je le fais, modérément mais sans me priver complètement, parce que je dois vivre sans me prendre trop la tête. Ainsi, Mike est un peu avec moi, aujourd'hui. On se sera amusés de midi jusqu'au repas du soir, avec les cadeaux, les petits plats cuisinés, les anecdotes de voyage de ma mère ou d'université de mon frère.
Le lendemain, je me lève en soupirant de soulagement : pas d'appels, pas de mauvaises nouvelles ! Nous sommes encore vaseux, mon frère et moi, mais nos vies ont réglé nos horloges internes avec brio. Difficile de se réveiller au-delà de neuf heures, qu'importe la nuit passée. Je compte retourner voir Mikaël. Ma voix maugrée ma décision sans aucune fraicheur devant mon frère zombie et entre deux tasses de café. Il hoche la tête pour m'approuver, partisan du moindre effort. J'achève mon breuvage, bâille à m'en décrocher la mâchoire, puis annonce que je vais me doucher. Mais lorsque je quitte cette chaise si confortable, mon téléphone vibre sur la table. Je décroche à la vue d'un numéro local non référencé dans mon répertoire.
— Oui, allô ?
— Bonjour madame Leclerq, c'est la section réa de la Clinique Saint-Pierre, je ne vous dérange pas ?
Un peu sonnée, doucement saisie par la panique, je blêmis devant mon frère qui cesse aussitôt de mâcher son pain.
— N-non pas du tout, je vous écoute. Que se passe-t-il ?
— Madame, je suis navrée, mais nous avons été obligés de mettre monsieur Renard sous assistance respiratoire et... le plonger dans le coma, également. La maladie bloque une partie de sa respiration et il a atteint un seuil de douleur qui l'affaiblit beaucoup, la phase plateau est sans doute commencée. Rassurez-vous, nous allons surveiller de près son cas.
Non, là, je ne peux plus lutter. Je viens de tomber dans un état second avec lui.
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Mon regard sur toi
RomanceCorinne Leclerq a 30 ans et mène une vie... Enfin, elle mène une vie. Elle travaille, rentre, dort. Un couple, un crédit hypothécaire ? Il n'en est rien. Corinne a sa chatte Cristie, un studio, point. C'est ainsi, quand personne ne nous remarque, sa...