Corinne :
C'était étrange pour moi de rentrer à pas de loup dans l'appartement d'un autre, encore plus pour me glisser à ses côtés. Je n'ai jamais vraiment connu ça. Mais ce qui l'est davantage à mes yeux, c'est de les ouvrir en m'étirant et d'entendre aussitôt de tendres mots.
— Bonjour, danseuse en herbe. On a déjà récupéré ?
Mike est à moitié sur le lit, dans une position qui laisse présager un lever plus matinal que moi. Il porte une chemise à moitié ouverte et sent l'après-rasage.
— Hmoui, marmonné-je vaseuse, et toi aussi, je vois.
— Disons que la durée des antidouleurs m'a habitué à me lever tôt. Mais je me suis seulement changé. J'aime bien te regarder dormir.
Il joint nos sourires le temps d'un baiser, puis allume la radio. Tandis qu'il enfile ces étranges mécanismes à lanières aux chevilles, il me complimente sur mes vidéos.
— Comment ça « mes » ? Je n'en ai envoyé qu'une !
Il pouffe devant mon corps à moitié redressé en une seconde, puis avoue son indic.
— Oh l'enfoiré ! Il t'a montré quoi ? Allez, je veux voir !
Il me tend le téléphone en continuant de ricaner sous cape. Je m'étonne de la femme que j'y vois. Pourtant, je n'ai pas exagéré sur l'alcool. Je rends les armes et me rallonge dans un soupir. J'écoute d'une oreille paresseuse les sons choisis par les auditeurs avec les messages qui les accompagnent. C'est parfois bien fleur bleue, entre les hommages aux parents et les « je t'aime » originaux. Mike est reparti se préparer à la salle de bain depuis... un bon moment. Je me demande bien pourquoi, on est dimanche ! Tout à coup, il entrouvre la porte... du salon. Il porte un percolateur et deux tasses empilées avec des morceaux de sucre dedans. Je ne peux cacher mon agréable surprise.
— Eh bien, pourquoi tant de soins ?
— C'est pour rattraper le pervers d'hier.
Sa franchise éhontée m'étonnera toujours ! Il pose le tout sur la table de nuit. J'allais lui adresser une petite pique au sujet de ma culotte malmenée, quand des propos de l'animateur freinent mon élan.
— La chanson suivante a été choisie par Mike le Renard, oui, ça ne s'invente pas, qui nous dit, je cite « Pour ma copine qui a les plus belles courbes de la terre, pourvu que tu restes longtemps encore dans ma vie, Miss Caty », eh oui, vous l'aurez deviné, pour parler de courbes, rien de mieux que « Shape of you » d'Ed Sheraan. On se retrouve avec cette chanson juste après les infos, restez bien avec nous !
Oh mon dieu ! Me voilà rouge jusqu'aux oreilles et étranglée par l'émotion. J'en oublie totalement ce que je comptais dire. Il revient près de moi dans le lit avec un grand sourire.
— Parfaitement synchro.
— T'es sérieux, Mike ? Je devrais te jeter mes chaussures à la figure plus souvent. Ça te rend romantique.
Il ricane en collant son front au mien et ne me lâche pas du regard.
— Je pense que tu n'as pas mesuré le niveau de mes sentiments, alors écoute-moi bien... Peut-être crois-tu que je ne prends pas cette relation au sérieux quand je te taquine et te vexe, mais en réalité, je revis depuis que je te vois. Alors considère ma seconde vie comme mon dû. Ta présence agit sur moi comme une source d'énergie, et putain, ce que j'en manquais ! J'ai repoussé mes limites plus que je ne l'aurais cru possible. J'ai besoin de toi ! Quand tu me partages ton souffle, je respire mieux, tes baisers m'accélèrent le cœur et ton toucher dégèle mon corps, je savoure l'instant cent fois plus en ta présence. Tu ne peux pas imaginer l'étendue de ma solitude depuis deux ans et à quel point tu la brises. J'étais passé d'homme vivant à fantôme, ma maladie m'avait effacé du monde et j'en étais venu à me rayer moi-même de tout plan de vie. J'attendais que ma fille soit adulte pour me laisser crever, tu m'entends ? Et puis toi, t'arrives et... tu me dopes en douce avec tes airs de biche égarée, pitié, Corinne ! Embrasse-moi encore et fais ce que tu veux de ma carcasse, mais ne doute pas de moi. Je préfère encore souffrir plus fort de mon syndrome que du cœur et personne ne t'y remplacera. Je prendrai tout ce que tu me concèderas. Un salut lointain, une nuit d'étreinte, un café au lit, tout ce que tu voudras bien me laisser partager avec toi.
Il halète, la tirade l'a épuisé, cela ne la rend que plus puissante. J'en ai perdu mes mots. Ma réponse gonfle en moi sans pouvoir quitter mon corps et déborde de mille façons : une chamade battue, de la chair de poule, un tremblement de lèvres, un ruisseau aux paupières.
— Ouah, je... je suis touchée, parviens-je à balbutier.
— Alors on coule ensemble ?
Sa réplique teintée d'un doux sourire semble lancer le signal à la radio pour balancer les premières notes. Le couplet commence et il se rapproche encore de mon corps, lui tout habillé, moi toute nue. J'avais été si pressée de m'écrouler sous la couette ‒et de me défaire de cette satanée culotte souillée‒.... Grave erreur. Voilà que ses doigts flattent mes côtes puis mes hanches, tandis qu'il me répète comme il est fait pour mon amour. Il me demande de le suivre, me caresse selon le sens des paroles. C'est irréel. Si je ne m'engage pas avec un mec pareil, je ne le ferai jamais ! Alors j'accompagne son chant, parce que moi aussi, je prends son corps comme il est.
— Boy ! Let's no tal...
Ma voix timide le fait sourire, mon souhait qu'il me suive aussi, et il se met à répéter « je suis sous le charme de ton corps ». Je dis le suivant, chacun nous nous répondons, les sourires côte à côte. Lorsque le couplet suivant se lance, monsieur le chantonne tout en se collant petit à petit à moi, et je trouve parfaitement inégal qu'il soit déjà habillé. Tandis que ses iris s'ancrent aux miens, je déboutonne son jean à l'aveugle, un rictus faussement innocent sur le visage. Son chant se couvre de lourds soupirs, dès que j'atteins son membre et le caresse. « Je suis en amour pour ton corps »... Mon bassin oscille en rythme, très discret, mais efficace. Lui aussi a les mains plus sûres, quand débute la série de « Sois mon bébé ». Je réponds de nouveau à sa demande, on n'a plus besoin de dire à l'autre de nous suivre, le chant est naturel, synchronisé, et cela m'excite plus encore que mes fesses flattées. Je sens le désir grimper aussi en lui, son sourire s'affaiblit sous ses yeux ronds chargés d'engagement. Qu'a-t-il fait de moi ? Je m'abandonne dans cette relation et m'engage à mon tour. « Sois mon bébé ». Je scelle des vœux sans mariage. « Sois mon bébé ». Lui aussi, confiant et charmé. « Sois mon bébé ». Le refrain ressurgit, Mike grimace sous l'intensité de mes contacts, alors cette fois, c'est moi qui l'entame, en insistant sur le moment où il dit avoir droit à un truc nouveau chaque jour, ce qui le fait ricaner. Je crois qu'il rougit. Jamais je n'ai vu Mike réagir et afficher cette expression d'enfant admiratif. Je reprends les « Sois mon bébé » et il rechante par-dessus. Quand il déclare son amour à mon corps, il geint presque, sa tête choit sous les sensations. La mienne la suit d'un air espiègle, heureuse d'entendre sa voix chavirer quasi autant que le chanteur. Nous prononçons ensemble les deux dernières phrases, sous ces draps témoins de nos ébats, en complimentant le physique de l'autre dans une tension insoutenable. La radio coupe sauvagement la mélodie dès le dernier « you », et nous n'avons pas pu attendre plus longtemps pour nous jeter sur les lèvres de l'autre. Toute contenance a disparu, ma main le serre plus fort et son grognement contre mes lèvres me liquéfie. Il retire sa bouche, pour me dire l'évidence.
— J'ai envie de toi, tentatrice.
— Tu m'as allumée, alors tu dois m'éteindre.
— Et provocatrice, en plus, ricane-t-il d'un sourire fier, tu vas voir comme je vais t'éteindre d'un seul clic.
— Oui, chéri.
Mon ton singeant un élève face à l'instituteur et mon nouveau surnom ont tôt fait de briser ses derniers freins. Quand il me dévore la bouche, mon cœur bat la chamade jusqu'à percer le tambour. Il n'a aucun mal à retirer mes mains qui font obstacle à son désir brusque de proximité. Ses doigts rapides agrippent ma tête et mes fesses pour un peau à peau bouillant. Dès qu'il se frotte à moi et que son sexe me frôle, je le suis dans sa précipitation gémissante. Mon retrait de son pantalon et slip envoie un message clair, aussi sa main vient-elle mesurer mon degré d'envie entre mes cuisses, taquine et experte. Chacun de profil, nous ne formons plus qu'un, épousant le rythme et les mouvements de l'autre, nos cris égarés dans nos baisers. Il a perdu sa langue bien pendue dans la mienne et j'éprouve un triple plaisir : le physique, bien sûr, ainsi que le cœur conquis, mais aussi de rabattre son caquet. C'est une jouissance discrète qui se pointe et mes appels incontrôlables, rachitiques, ont un effet dévastateur sur mon amant qui me suit de près. C'est dingue comme nos corps se répondent, les faiblesses de l'un deviennent la force de l'autre. Quand nous buvons nos cafés froids dans un petit sourire, je nourris l'espoir que l'heure de couple heureux soit arrivée. Même si c'est dangereux, l'espoir.
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Mon regard sur toi
RomanceCorinne Leclerq a 30 ans et mène une vie... Enfin, elle mène une vie. Elle travaille, rentre, dort. Un couple, un crédit hypothécaire ? Il n'en est rien. Corinne a sa chatte Cristie, un studio, point. C'est ainsi, quand personne ne nous remarque, sa...