Corinne
Quand ils reviennent, je ne peux louper leurs airs mélancoliques -et le jean noir étroit qui rend Mike encore plus attirant-. L'ambiance est pourrie par un malaise que j'espère bien dissiper à l'aide de mon repas. J'ai déjà sorti les chicons gratinés enroulés de jambon du four. Comme toujours, j'y ai mis ma touche personnelle, en me servant d'épices présentes. Mike s'assied à table en inspirant un bon coup et son sourire s'esquisse à nouveau.
—Hmmm j'en connais une qui avait envie de jouer les cordons bleus !
Tandis que sa sœur s'éloigne, il profite que je sois à côté de lui pour passer furtivement une main à ma taille.
—Merci, murmure-t-il, t'étais pas obligée.
Je crois que j'ai rougi rien qu'en croisant ses yeux brillant de joie. Je dois m'assoir en regardant ailleurs pour trouver la force de lui répondre. Je ne dois pas être encore remise de l'explosion de sensations que nous venons de vivre.
—Tu l'as dit toi-même, j'aime bien ça, alors si ça peut rendre service... Vous ne restez pas, Anne-Lise ?
Elle avait repris son manteau, mais interrompt son geste, surprise par la troisième assiette que j'ai mise à table.
—Allez, frangine ! lance Mike. Elle ne va pas t'empoisonner ! T'as rien à faire le dimanche, en général.
Vaincue, elle nous rejoint, tandis que Mike me glisse un discret « Même si j'ai hâte qu'on soit seuls » qui me fait rire. Il faut avouer qu'on a agi comme des animaux en rut, ce qui n'est pas mon style. Ce serait dommage de laisser Mike penser ça de moi. En fait, j'en pouvais plus de ses regards en coin, de sa bouche prête à baver ou sourire largement quand il me fixe, de ses piques et... je lui ai démontré que je pouvais le bombarder avec mes charmes, moi aussi, jusqu'à ce que ses fantasmes soient réduits en cendre. L'instinct a parlé. Homme envoûté, seul à seul, provocation toute la matinée et baiser accordé, tout m'y a poussé. Alors que sa sœur me sort de ma rêverie en me demandant dans quoi je travaille, je reçois un appel. Ne me dites pas que c'est Nora en train de stresser pour... Ah non, c'est Nadia !
—Excusez-moi, je dois répondre.
Je quitte la table pour me réfugier dans la chambre d'Amélie, en sentant le regard de Mike posé sur moi.
—Salut demoiselle !
—Salut ma caille ! Pourquoi t'es pas venue, hier ?
—Je devais aller à la piscine ce matin assez tôt, alors je...
—Franchement, Corinne ! me coupe-t-elle. Tu m'en as déjà sorti des excuses à la con, mais celle-là, c'est la pire. Toi, à la piscine ? T'oses même pas faire des essayages dans une cabine sans que je ne comble le petit centimètre sans rideau avec mon corps !
Je m'assieds sur la seule chaise de la pièce dans un soupir las. Aucun répit dans cette journée de fou.
—Mais je ne te mens pas, c'est même Mike qui m'y a invitée, tu lui demanderas, si tu veux !
—Attends, attends ! Mike t'a fait venir dans une piscine ? Il t'a convaincue de te promener en maillot devant tout le monde et de quitter ton canapé un dimanche ?
Son ton est celui d'une personne en pleine hallucination qui me traiterait de folle, ça me fait claquer la langue. Je ne suis pas un ermite misanthrope, non plus !
—Oui, Nadia.
—OH MON DIEU, IL FAUT QUE JE RENCONTRE CE MEC !
Aïe, mes tympans ! Elle a une voix suraigüe quand elle s'y met !
—Eho, calme-toi !
—Invite-le à danser le week end prochain ! lance-t-elle comme si je n'avais rien dit.
—Hmm je doute que ce soit une bonne idée, c'est le week end où il a sa fille et là je viens de le ramener à cause de grosses douleurs aux jambes, elles étaient dures comme du bois. À mon avis, il ne sera pas chaud de se trémousser dans six jours.
Un silence subit dans le combiné me fait craindre le pire.
—Nadia ? Par pitié, ne recommence pas à hurler.
—T'as touché ses jambes ? demande-t-elle d'une voix sourde.
—Je... euh... oui, il le fallait, il avait des crampes tout de même !
—Et ensuite ? Et ensuite ?
Son débit de paroles rapide la ferait passer pour une chienne jappant pour obtenir un os. Elle doit presque saliver devant son téléphone, non mais je vous jure, je la connais par cœur ! Je rosis, parce qu'hélas, elle aussi me connait bien. Mon silence serait autant un indice que mes propos. Je suis morte... Dans un ultime soupir, je tente une brève et laconique...
—Quoi, et ensuite ?
—Merde, tu te fous de moi ! Je suis sûre qu'il bandait comme un cheval ! Un célibataire qui se fait masser par une jolie nana comme toi, chez lui en plus, et bon sang j'ai vu les photos que Juliette a pris lors du souper, il est trop mignon pour ne pas l'achever ! Me dis pas que t'as loupé l'occas' de te taper un mec canon ! Moi, à ta place, je n'hésiterais pas.
Une voix lointaine et masculine chantonne « Je vais être jalouuux ! » et je me pince aussitôt le front : tenir des propos pareils devant mon frère... Et moi alors ! Je suis véritablement morte, là... de honte !
—Seigneur, tu es incorrigible, grommelé-je, je ne peux pas la faire longue, je suis chez lui et sa sœur est là le temps du repas.
—OK, je coupe, mais seulement pour que tu te le tapes en dessert.
—Nadia ! m'écrié-je, scandalisée.
Même si, au fond, je l'ai déjà consommé. Je ne sais pas où je trouve la force de lui cacher les faits tout frais pour épargner mes oreilles.
—Je suis sérieuse, reprend-elle, t'aurais jamais accepté qu'il puisse te reluquer en maillot si tu ne le voulais pas un peu, alors baise un coup, j'en ai trop marre que tu gâches tes journées devant ton ordi avec ton chat comme une ado, tu mérites mieux que ça. T'as fait une rencontre et déjà, c'est une bonne nouvelle, mais alors une comme ça qui te met autant à l'aise et qui a déjà saisi qu'il fallait te secouer un peu le cocotier, jette-toi dessus, bordel !
—Tu ne sais pas tout à son sujet, comment peux-tu dire de telles choses ?
—Mais je ne te parle pas de te projeter avec lui, juste de te le faire ! Alors tu le chopes, et puis le week end prochain, tu nous l'amènes ! Je vais chercher une activité qui l'obligera à s'amuser sans rester debout longtemps et qui ne sera pas un nid à ivrognes pour qu'il prenne sa fille. Toi, fais-lui bloquer son vendredi ou samedi soir. Allez, hop !
Je souffle, elle m'agace, c'est pas croyable le culot qu'elle a. J'entends mon frère rire de son insolence et c'en est trop, un « aurevoir » marmonné et on n'en parle plus. Je reviens dans le salon, tombant sur un reste de conversation entre les Renard.
En France, on dit « endives ». En réalité, les plantations de chicon sont d'origine bruxelloise, cultivées depuis quasiment la création de la Belgique. On a beaucoup fait pousser ce légume en Belgique dans nos caves.
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Mon regard sur toi
RomanceCorinne Leclerq a 30 ans et mène une vie... Enfin, elle mène une vie. Elle travaille, rentre, dort. Un couple, un crédit hypothécaire ? Il n'en est rien. Corinne a sa chatte Cristie, un studio, point. C'est ainsi, quand personne ne nous remarque, sa...