Partie 3 INTIME : Ch.15 Piscine couverte, vue sur jardin (3)

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Les refrains finaux se poursuivent, il me guide entre ses doigts. Je suis sur une piste, on est seuls sur le damier à perdre une case, j'oublie l'eau, les nageurs, j'ai un homme quasi nu à proximité qui me rend aérienne et que je suis instinctivement. Cet ensemble incarne ma perdition. Il a mis la main contre ma hanche pour me forcer à pivoter mieux le bassin en rythme, en approchant le sien, évidemment ! Son nez presque contre le mien m'encourage et Mike m'enveloppe de toute sa joie soudaine. Tout cela meurtrit ma respiration. On se remet de profil pour glisser nos pieds sous l'eau d'un même mouvement, comme tout à l'heure, deux pas sur le côté, je tourne, deux de l'autre, il tourne... Dans son élan, il atterrit devant moi, les deux mains sur ma taille, et nous nous sourions, des étincelles plein les yeux. Mon cœur vient de se prendre un coup d'adrénaline, mais ce n'est rien comparé à ce qui suit : ses doigts qui remontent le long de mes côtes sur le dernier « home tonight », sa bouche qui fond sur la mienne avec l'ultime cymbale à nos oreilles. Et cette intensité dans ses yeux, quand il quitte mes lèvres pour murmurer :

—Bordel, qui peut résister à une bombe de charme comme toi, Corinne ?

L'ai-je repoussé ? Non. Cette fois-ci, la gifle n'est pas partie, et c'est lui qui recule d'emblée dans un lourd soupir. Comme si... il luttait ? Il est reparti nager aussitôt plus loin, non sans saluer mes progrès. Je nage aussi, pour dire d'effectuer un mouvement machinal, en me remettant de ces étranges minutes.

Du coin de l'œil, je le vois s'appuyer contre le bord, le visage crispé. Peine, douleur, eau dans la figure ? Je ne sais pas, je n'ose pas revenir vers lui. Son geste et notre proximité m'ont trop troublée, je dois d'abord me ressaisir : mes joues en feu me trahissent encore. Il s'est écarté tel un fautif. C'est vrai que je lui ai mis des limites, vu ses lubies flippantes, mais je dois admettre qu'il a agi d'une façon bienveillante depuis qu'on se voit en vrai. Et chaque date où nous nous sommes retrouvés a quelque chose d'inoubliable.
J'ai dit à Nora que je pourrais séduire Mike pour lui faire effacer les photos, et de fait elles me sont insupportables, mais au fond, je me sens libérée d'un poids depuis, comme si l'excuse était là et légitimait de franchir la ligne rouge. Il vient de le faire. Me voit-il comme une stupide frigide, une vieille Catherine traumatisée ? Non, ce n'est pas moi ! J'aimerais lui dire que j'ai déjà baisé régulièrement, tout un temps, quand je passais par-dessus la vulgarité avec laquelle ils vénéraient davantage ma paire de fesses que moi. Mais, à défaut d'avoir droit à plus et d'y avoir cru trop souvent, je prenais ce qu'on me donnait sans rechigner, s'il était beau, si je prenais mon pied, ça me suffisait.

Aujourd'hui, j'en ai assez de ce schéma où soit je reste seule dans mon lit le lendemain soit je m'attache à des plans culs sur une autre longueur d'onde que moi. Mais je ne peux ignorer à quel point mon corps en redemande. La chaleur de notre baiser a coulé en moi comme de la lave jusqu'à mes seins et ses paumes à mes hanches ont dû percevoir l'écho de mon cœur. Mon manque m'a rejailli dans les tripes, j'ai reçu une mise en bouche en plein régime et cela brise mes efforts contre les excès. Il m'a formulé une demande implicite : oserais-tu avec moi ? Seigneur, que vais-je lui répondre ? Si Nora avait raison de s'en méfier ? Si jamais il me photographiait nue à mon insu après nos ébats ? Je lui jette à nouveau un œil. Il me fixe sans quitter son coin. Il zigzague tout à coup entre les gens, les brasses lentes, sans briser notre échange. Oh comme cette lueur bleutée en approche entre les sillons, tel un phare immanquable dans l'océan, génère une tension vive chez moi ! Elle ne se soustrait à mon regard que sous des paupières honteuses. Mike s'est remis debout devant moi, la tête basse. Il marmonne entre ses lèvres lasses :

—Pardon. La frénésie. Je m'en veux. Je ne regrette pas ce que j'ai ressenti, mais le geste n'était pas... pas indiqué.

—Tu sais, je ne suis pas en sucre. Je me suis relevée de bien pire.

Son petit sourire en coin revient, cependant, je le trouve moins énergique. Il me lance un dernier regard...

—Je pense qu'on ferait mieux de rentrer.

Et s'éloigne. Je suis chargée de perplexité lorsque je me rends dans ma cabine.

Je lui ai toujours trouvé du charme, néanmoins, je ne lui aurais rien confié de très personnel auparavant. Et quoi qu'on en dise, un baiser, c'est « très » personnel. Tout comme le soir dernier après les photos et la chanson, où il a presque mis le doigt et les mots sur ce qui conditionne mon existence depuis ma puberté. Il voulait en savoir plus. Comment lui expliquer ? Ce n'est pas un connard qui m'a freinée dans toute mon expressivité. Il n'y a souvent pas de nom, pas de jugement possible, pas d'adresse pour régler des comptes. J'ai appris à vivre avec la goujaterie des hommes inconnus et furtifs. Avec leurs actions sibyllines sur leur objet de fantasme de passage. Une main, une cuisse, un sifflement, un renflement dans mon dos, un regard lubrique de longue durée, cent façons de s'amuser de mon embarras, quand toute leur attention se focalise sur les reliefs de mon profil, sans voir plus loin. Je suis... je ne suis pas une femme, dehors. Pas un humain traité dans le respect de ma sensibilité et de mon intégrité. Ils les ont souillées depuis longtemps. 

Après, s'il y en a bien un qui m'a regardée en face et écoutée dès notre première rencontre, c'est Mike. Est-ce pour ça que je ne l'ai pas repoussé ? Est-ce fort de cette certitude que mon corps le désire s'il s'approche ?  

Mon regard sur toiOù les histoires vivent. Découvrez maintenant