Mike :
—C'est bien plus facile à dire qu'à faire. À propos de faire, aurais-tu besoin d'aide pour ton repas ?
D'un signe de tête, je désigne une casserole qui fume pas mal, ce qui la redresse d'un bond, sous mon sourire devenu narquois.
—Oh ciel, ma polenta !
Son pas précipité déclenche des petits rires qui détendent l'atmosphère. Tandis qu'elle commence à poêler la polenta sauvée, Nora sort un jeu de cartes populaire. Elle écarte les apéritifs pour jouer avec ma fille sur la table basse. OK, elle me lance des éclairs régulièrement de façon flippante, mais elle sait y faire avec une pré-ado privée d'écran.
Malgré ma conversation avec Juliette, mes intentions les plus intimes sont focalisées sur Corinne chantonnant devant ses fourneaux. Impossible de m'en détourner, son premier contact volontaire me hante encore, comme un souvenir gravé sur ma peau. À mon grand dam, elle ne revient près de nous que pour trinquer avant de passer à table. Je m'assois à côté de ma fille, face aux deux invitées. Corinne place une chaise pliante en bout de table, entre Nora et moi, fait ses allers-retours vers sa kitchenette, puis nous rejoint. Durant le repas, j'observe plus que je ne parle, aidé par Juliette la pipelette. Mais j'ai beau veiller à parcourir tous les visages, mon regard dévie sans cesse vers le minois angulaire de Corinne. Avec son air poupin aux joues creusées, son cou long et décharné, elle a des allures d'actrice phare des années folles. Ma main si proche de la sienne se retient de saisir ses doigts ou de se promener dans ses boucles châtaines. Même si des picotements commencent à taquiner mes phalanges et si mon pied le plus faible m'envoie des mini-décharges. Merde ! Pourquoi ne suis-je pas tombé sur un jour où je pète la forme ? Je ne peux m'empêcher de tapoter la table afin d'en chasser les fourmis, avant qu'elles ne deviennent carnivores. Ma vue se trouble l'espace d'un instant et un premier lancement surgit dans mon crâne. Putain, je m'en doutais ! Je n'ai plus l'habitude d'avoir tant d'interactions à traiter d'un coup, ça me pendait au nez.
—Mike ? Mikaël, ça va ?
Mon prénom entier me sort de mon introspection involontaire et je pivote le cou vers Corinne, d'abord surpris, puis confus.
—Oui, oui, désolé, je... j'ai une petite migraine. Si tu le permets, je vais m'aérer un peu sur le balcon.
Je me lève très lentement, afin de ne pas perdre l'équilibre devant elles. Ma fille et Corinne. Je crois que si mon corps s'en relèverait, ma dignité pas. Et je l'ai assez perdue à l'hôpital : les escarts, les lavements, les... Croiser l'œil inquiet de ma petite me ramène sur Terre. Je gomme mes mauvais souvenirs pour la rassurer d'un petit clin d'œil, avant de prendre mon verre d'eau entre mes doigts raides et de me diriger vers le rideau noir tiré.
—Comment sais-tu qu'elle a un balcon ?
La question de Juliette jette un tel froid que je me sens obligé de me retourner pour voir la scène. Corinne tord son malaise entre ses lèvres, Nora me fusille d'un regard encore plus noir, si toutefois c'est possible, et Juliette patiente, tout étonnée et innocente. OK, je vois. Ça explique bien des choses. Heureusement, cette chère miss Caty ramène son aplomb et rompt frontalement la vague de question en approche.
—Il y a des balcons à chaque appartement du côté de la place, dans cet immeuble. La déduction est simple.
Elle a toujours le dernier mot pour répliquer avec logique, cette femme ! Sauf la fois où je lui ai fait péter un câble. À propos de câble, mon boîtier électrique intérieur me rappelle comme les siens manquent de solidité et je ne tarde pas à prendre ce bol d'air frais salvateur. Discrètement, je sors un cachet complémentaire que je garde sur moi en cas de fortes douleurs. À vrai dire, je n'en suis pas encore à ce point, et je serai sans doute un peu stone dans vingt minutes, mais il est hors de question de finir cette soirée sur un aveu forcé. La prudence est de mise.
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Mon regard sur toi
RomanceCorinne Leclerq a 30 ans et mène une vie... Enfin, elle mène une vie. Elle travaille, rentre, dort. Un couple, un crédit hypothécaire ? Il n'en est rien. Corinne a sa chatte Cristie, un studio, point. C'est ainsi, quand personne ne nous remarque, sa...