Partie 4 : AU-DELA - Ch. 26 "Fenêtres fendues" (1)

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Mike :

Enfin, Amélie est repartie. Une semaine que Corinne a rompu avec moi. Je laisse les pleurs s'écouler quand ils surviennent depuis, partisan du moindre effort, pour satisfaire l'entourage ; mes kinés, sans compter Anne-Lise. Elle est difficile à esquiver. Je redoute ce qu'Amélie va lui raconter au retour, alors je les ai accompagnées jusqu'au parking, pour ne pas afficher ma déprime. Mon déclin est également physique, avec l'arrivée du froid, et je ne veux pas les inquiéter. Au retour, j'avais gardé espoir de pouvoir voir Corinne et lui dire que j'avais bien virer de mon ordinateur tout ce qui contenait sa frimousse angevine ou ses fesses divines, le cœur serré. Elle est toujours aussi entravée par son manque d'estime d'elle, et elle n'a pas retiré l'étiquette de mon front du pervers notoire. Je me suis pourtant livré plus que de mesure.

Mais tout à l'heure, elle n'a pas répondu à mon coup de sonnette. Je suis sûr qu'elle était là, à m'observer, cloîtrée dans son studio aux volets clos depuis une semaine. J'espère qu'elle est allée chercher ma lettre, même si, pour une fois, j'aurais aimé la lui remettre en vrai. Et me voici maintenant, face à la loggia, calé dans mon sofa, à ma demander ce que je vais foutre de la soirée. J'ai échoué, putain, échoué sur toute la ligne ! Pourquoi l'ai-je de suite crainte au point de poser des ultimatums ? Deux jours après la dispute, sans réponse, j'ai failli poster une autre lettre. « Tu avais provoqué le pire et le meilleur en moi. Tu avais fait naître l'espoir. Je t'en veux et j'en veux encore. » Mais c'était bien trop culpabilisant, inutile, grotesque. Je lui ai écrit dix courriers imaginaires avant d'opter pour la sobriété. Je ne veux plus plaisanter ou jouer. J'ai oublié ce goût.

Les minutes s'écoulent dans un silence dont j'ai perdu l'accoutumance. Je n'ai pas faim, j'ai mal au corps et au cœur, l'œil perdu sur les stores clos par-dessus les chalets de Noël. C'est l'orage. Dans ma tête comme dans mon corps, l'orage. Les tonnerres des tremblements qui grondent avant l'apocalypse. Crac boum ! Ma main droite ne respire plus. Des stries de douleur transpercent mon pied droit à la vitesse de la lumière et se mêlent aux flashes des souvenirs de Corinne, de mon appareil qui saisit ses expressions multiples. Corinne... Pourquoi fuis-tu tant ton reflet dans mes miroirs ? Qu'est-ce qui t'y brise, qu'est-ce qui t'y glace ? On n'a qu'une vie. On n'a qu'un corps. Et dans le mien, ce soir, c'est l'orage.

Un cliquetis me sort de ma léthargie. J'allais encore m'endormir sans m'en rendre compte, et j'avoue ne pas trouver le courage de pivoter le cou vers la porte. J'ai tellement mal à la tête, ce doit être mon rhume.

— Tu ne m'as pas prévenu que tu revenais, Anne-Lise.

J'aurais aimé que ce soit l'autre détentrice du double de mes clés qui soit là, à me regarder en silence. Je voudrais qu'elle débloque le cadenas qui comprime mon buste, comme elle seule a pu le faire. Je soupire en entendant les talons approcher.

— J'espère ne pas avoir trop déçu Amélie.

— Sans doute, mais il valait mieux qu'elle sache avant le weekend prochain. Imagine si elle avait déjà acheté le cadeau de Corinne.

Anne-Lise prend le second sofa, me révélant sa mélancolie.

— Elle a dit quelque chose sur le trajet ? marmonné-je, la bouche pâteuse.

— Moins bavarde que d'habitude, elle encaissait, je suppose. Pour un enfant qui a trouvé la copine de son père sympa, c'est difficile de comprendre comment ça s'est fini. Déjà pour moi, ce n'est pas évident. Elle ne me répond pas, et elle n'est même pas partie à cause de ton SGB.

— C'est vraiment de ma faute, Anne-Lise.

Je lui adresse un regard humide de remords et mes mains recommencent à trembler. Taisez-vous, traitresses, ou mes pieds vont suivre !

— L'histoire des photos ? Y en avait beaucoup ? Je n'ai pas regardé, je tiens à ne plus... m'immiscer dans ta vie privée.

Nous échangeons un petit sourire et le mien la remercie.

— Oui. Je n'arrive pas à m'en empêcher. C'est comme si ça exprimait ce que je ne lui dis pas assez. Si tu savais toutes les conneries que j'ai cumulées avec elle. Je lui ai déjà lancé plusieurs invitations à la discussion, mais je ne récolte que du silence. Tu viens à sa place pour les achats de Noël avec Amé ?

— Oui, je lui ai promis d'être là, je lui changerai les idées. À toi aussi, j'espère.

* * *

Mon regard sur toiOù les histoires vivent. Découvrez maintenant