Partie 3 : INTIME Chapitre 24 : Photo de famille en bord de fenêtre (3)

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Lorsqu'on retourne chez lui, il se précipite, à sa manière, vers son semainier, puis s'excuse et part dans sa chambre.

— J'ai vraiment besoin d'une sieste, vous me réveillerez pour le concert ?

— OK, 'pa. Est-ce que je peux jouer sur mon tel ?

— Ouais, c'est bon, soupire-t-il.

Amélie ne se formalise pas, sans doute habituée au yoyo du tonus de son père. Elle jette son cartable sur son lit, puis se cale dans le canapé, ses applications en action. J'entrouvre la fenêtre pour entendre la foule festive, de plus en plus dense sur la Grand Place, puis lance :

— Tu n'as pas des devoirs à finir pour demain ?

Amélie lève les yeux de son écran et hausse les épaules. Je lui souris, le sourcil levé.

— Faut que j'aille lire ton journal de classe pour avoir la réponse ?

— Tu peux pas. C'est réservé aux parents, déclare-t-elle sans crainte.

— C'est vrai, mais tu as entendu ta maman... Ça t'a plu, cette journée ?

Concours de diplomatie ? Je connais la musique. Moi aussi, je garde une mine tranquille. Pas besoin de la regarder, m'assoir près d'elle suffit à lui faire comprendre que je veux converser plus longuement.

— Grave. Voir mes copains hors école, et après mon père près d'eux, avec une petite copine, et manger une Funny Box, c'étaient que des trucs que je fais quasi jamais.

— Dans ce cas, il faut que je te dise quelque chose.

Et là, je la regarde. Je sais qu'elle va détourner les yeux de son écran, tant mon ton est sérieux.

— Si jamais tu ne rends pas tes devoirs demain, ça risque de ne plus se reproduire. Tu sais pourquoi ? Parce que ta mère retiendra surtout que tu négliges l'école en allant chez papa en semaine. Elle a posé des conditions. Et tu sais comment elle voit ton père. À ton avis, ça va finir comment, si elle constate des devoirs en retard ? Crois-tu que notre amusement justifiera tout ?

Elle fronce les sourcils, cogite et... je pense que j'ai gagné.

— Elle dira que papa était sûrement trop fatigué pour bien me suivre. Ouais. C'est son genre. Parfois elle dit qu'il me gâte trop et parfois qu'il ne peut pas faire le minimum, je comprends pas.

Je pose une main sur son épaule, compatissant à son esprit d'enfant pris en étau malgré lui.

— Si tu veux revoir ton papa en dehors des weekends habituels, démontre à ta maman que tu es bien, ici. Et ça implique de faire tes devoirs correctement. Tu sais, papa a fait de gros efforts pour toi, aujourd'hui. Il n'était pas bien et il n'a pas annulé. Tu peux bien en faire un peu aussi. Ensuite, t'auras l'esprit léger pour regarder le concert !

Sa bouche se tord, mais elle finit par sourire.

— Ça ira vite, je n'ai qu'un truc en math.

Elle va dans sa chambre et je me dirige vers celle de Mike. Il est bel et bien endormi. Il gémit par moment, mais je ne sais pas si c'est dû à un rêve ou aux douleurs qui le traversent. Ses mains tremblotent. Je pose la mienne dessus : elles sont dures et froides. Quel mal terrible ! Pas étonnant qu'il ne fasse plus de métier réclamant de voyager ou de tenir son appareil régulièrement.

Il s'éveille de lui-même, une demi-heure avant la tête d'affiche, et se contente d'abord de lever les yeux avec surprise, puis de me sourire. Quand il a l'œil doux comme ça, je me sens encore plus sous son charme.

— Où est la petite ?

— J'avais un peu interrompu ses projets en lui rappelant de faire ses devoirs, alors maintenant, elle a repris son smartphone.

Il sourit toujours, mais avec plus de délicatesse, presque de la tristesse.

— Tu n'as pas encore eu l'occasion d'être mère, mais tu as ce qu'il faut pour faire une bonne belle-mère.

— À quoi peux-tu le voir ? Je ne le suis pas depuis longtemps.

Il hausse les épaules.

— Tu prends ton rôle en main naturellement. Ça se sent, c'est tout.

Je l'embrasse et l'aide à se hisser. Il réenfile ses releveurs et nous allons rejoindre Amélie face à la loggia.

— Ah, il était temps ! Ça va être Cascada !

— Super, j'ai rien loupé !

Tout sourire, Amélie acquiesce, surexcitée d'avance par un concert « en famille ». Dès les premières chansons d'électro house, elle danse en sautillant et j'ouvre plus grand les fenêtres pour avoir du son à fond. Mike, installé dans le canapé, tape en rythme sur le parquet et le tissu. Je l'ai rarement vu aussi joyeux et l'œil aussi pétillant que durant ses échanges avec sa fille. Même si son visage s'éclaire tout autant lorsque Amé me pousse à danser avec elle en me tirant la main. La reprise de « Because the night » nous fait remuer vite et son air innocent plein de vie efface mes anxiétés. Je danse bien mieux en compagnie d'enfants, comme pour préserver leurs âmes pures de tout complexe. Elle rigole, secoue les bras de son père à défaut de le voir debout, et m'use jusqu'au trognon.

Mon regard sur toiOù les histoires vivent. Découvrez maintenant