Chapitre 42

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Un vent fort soufflait ce jour là, l'air était chargé d'électricité et de lourds nuages s'amoncelaient à l'horizon : l'orage ne tarderait pas à éclater. L'air renfrogné, Vortimer tourna les talons et d'un pas lourd, rentra sous sa tente. Cela faisait dix jours qu'il avait débarqué sur les côtes bretonnes, à l'Est de Camelot. Quelques jours auparavant, les troupes saxonnes les avaient rejoints, il s'était mis en marche sur Camelot, comme lui avait conseillé cette femme.

Depuis lors, il n'avait rencontré aucune résistance, bien au contraire, certains seigneurs de la Cornouaille, fidèle à leur ancien Roi, Gorlois de Tintagel, lui avait prêté renfort contre Arthur, en échange de leur indépendance, toujours comme elle l'avait prédit. Cette Morgane, à son évocation une frénésie s'empara de Vortimer, tant elle le fascinait. Il y avait en elle tant de volupté, jamais encore ses yeux ne s'étaient posé sur une telle beauté.

Vortimer se mordit la lèvre jusqu'au sang pour s'arracher de ses pensées, le mal a toujours quelque chose de séducteur et de fascinant, il savait cibler les faiblesses des hommes. Et elle, avait su trouver où était la sienne. Elle n'était pas seulement belle, mais aussi extrêmement intelligente et fine stratège. La manœuvre qu'elle lui avait proposé était simple certes, mais pourtant très bien pensée et sans faille. Arthur se précipitait dans un piège dont il ne ressortirait par vivant.

-          Le seul problème reste ce magicien de malheur, ce Merlin que le diable l'emporte dans les plus sombres profondeurs de l'enfer ! pesta Vortimer

Mais de cela aussi Dame Morgane avait promis de s'occuper, et lui faisait confiance. Il devait aussi songer à un moyen de se débarrasser de cette sorcière une fois leur objectif atteint, car elle ne devait surtout pas se retourner contre lui. Vortimer secoua encore la tête pour rapidement oublier cette idée, il ne devait pas y penser, car elle savait lire en lui. Si jamais elle venait à découvrir ses aspirations...

-          Contrairement à ce que vous croyez, fit une voix derrière lui, je ne suis pas une sorcière, mais en plus en tant prêtresse, j'ai interdiction formelle d'enlever la vie.

Un frisson de peur mais aussi de plaisir, parcourut Vortimer, car il reconnaissait ces intonations profondes et langoureuses. Il se retourna au moment ou Morgane franchissait le pas de sa tente, toujours accompagnée de son acolyte. Ce dernier était bizarre ce jour là, de profondes cernes sombres encadraient son beau visage, qui semblait plus émacié que dans les souvenirs de Vortimer. Ses lèvres étaient sèches et craquelées, et son teint livide et cadavérique. Son regard était emprunt d'une telle noirceur, que Vortimer manqua de se signer, il mit le plus de distance entre eux.

-          Dame Morgane, salua-t-il, en plus indiquant le seul siège sous la tente, je ne m'attendais pas à votre visite.

-          Pourtant, répondit Morgane, je vous avais assuré lors de notre dernière rencontre, que nous nous reverrons.

Elle déclina son invitation. Ce jour là, elle portait une robe aussi noire que ses cheveux, par-dessus laquelle, elle avait revêtue une cape aux couleurs chatoyantes, parfaitement opposées au présage funèbres dont elle était porteuse. Elle était toujours aussi belle, quoique la tristesse voilait ses traits :

-          Quelle diablerie, songea Vortimer en repoussant une fois encore ses sentiments, comment une sorcière peut avoir des sentiments aussi humains que la tristesse.

-          Pourtant une sorcière est humaine à part entière et avant toute chose, lui répondit encore Morgane, en souriant tristement.

-          Une humaine serait incapable de ce genre de prouesse, retorqua Vortimer avec courage.

Un sourire étira les lèvres de Morgane, décidemment cet homme était très courageux pour oser la braver de cette manière.

-          Messire, reprit-elle plus sérieusement, l'heure est venue pour vous de remplir votre engagement. Vous devez constituer le second bataillon que nous avons évoqué précédemment, et le placer quelque peu en retrait de la troupe principale. Personne ne doit savoir ce qui doit se passer si ce n'est au dernier moment. Je suis convaincue qu'il y a des espions parmi vos soldats, et même si ce n'était pas le cas, si nous dévoilons nos intentions prématurément, Merlin se chargerait d'avertir Arthur...

-          Merlin, l'interrompit Vortimer, il est encore dans la course ? je pensais que vous deviez vous en charger !

-          Patience, le rassura Morgane, cela sera bientôt accompli. Mon ami ici présent rejoindra vos troupes dès aujourd'hui. Les espions d'Arthur ne manqueront pas lui rapporter. De plus cela portera sans doute un coup à son son moral de nous savoir associer officiellement, au moment où son très cher Merlin tombera.

-          Bien, répondit simplement Vortimer.

Au fons de lui-même, il aurait voulu que cet homme, ou ce démon, ne le rejoigne qu'au dernier moment. Il était même inquiet que la présence de ce Mordred, n'impacte sur le moral des troupes :

-          Bien au contraire, le rassura Morgane en lisant encore dans ses pensées. Messire, il est vrai que je ne vous ai pas révélé la véritable identité de ce jeune homme. Il s'agit du fils légitime de Gorlois de Tintigal, unique héritier du duché de Cornouailles.

A cette révélation une lueur se fit dans les yeux de Vortimer. Dame Morgane était en vérité un véritable génie ! Si ses dires étaient véridiques, au contraire la présence de ce Mordred redoublera l'ardeur de leurs alliés ! C'est une manœuvre de maitre, tant qu'elle puisse justifier ses affirmations.

-          Ygrene l'a sauvé des griffes d'Uther et l'a confié à l'un de mes serviteurs. A la mort de celui-ci, je l'ai moi-même recueilli et élevé comme mon propre fils. Nous avons toutes les preuves de son identité, comme par exemple cette bague qu'il porte qui est le sceau de Gorlois. Il l'avait confié à son épouse, qui l'a elle-même remis à son fils, consciente qu'il lui faudra un jour prouver son identité.

Vortimer était émerveillé, car il lui semblait que depuis des années, cette femme avait planifié et peaufiné son plan. Morgane se retourna vers Mordred et lui fit un sourire emprunt de tristesse et de remords. Ses yeux étaient pleins de larmes et prières non exprimées.

De son côté Mordred ne manqua pas de voir l'air affligé de sa mère. Il l'aimait et la respectait, et détestait également de la voir ainsi souffrir. C'était la personne la plus douce, et la plus aimante qu'il fut donné de voir. Elle respectait toutes les vies, même celles qui ne le méritaient pas. Il savait qu'elle faisait cela pour le bien de leur peuple, et ce que cela lui coutait. Certes le mal le rongeait depuis cette maudite cérémonie. Il le sentait poindre parfois, et se renforcer de jour en jour. Cependant le sort que sa mère Morgane et ses tantes, ont placé sur le sceau de son père, lui permettait de garder le contrôle et de contenir la bête en lui.

Emporté soudain par un élan affectueux, il prit sa mère dans ses bras et la serra tendrement contre son cœur. Il ne lui dit mot, mais déposa un doux baiser sur son front, c'était bien plus significatif que tout ce qu'il pouvait lui dire.

Vortimer était de plus en plus estomaqué de voir ces créatures se livrer à des comportements humains. Peut-être, qu'elles pourraient se repentir, se prit-il à penser, après tout, le Seigneur est miséricordieux et pourrait bien leur pardonner leur déviance. Il détourna la tête pour leur laisser leur intimité.

-          Toutes les pièces sont désormais en place sur l'échiquier, murmura Morgane la bataille peut commencer.

Mordred lui répondit par un hochement de tête. Morgane lui caressa une dernière fois la joue, avant de disparaitre dans un souffle.

Quand il se retourna, Vortimer était seul dans la pièce avec Mordred. Celui-ci avait reprit son aspect froid et lointain. Quoiqu'ayant assisté à ces démonstration sentimentales, il demeura sur ses gardes :

-          Venez, ordonna-t-il à Mordred, allons annoncer la bonne nouvelle à vos soldats.

Pour la première fois depuis le début de cette guerre, Vortimer arborait un air confiant.

Lost in a fairy taleOù les histoires vivent. Découvrez maintenant