Chapitre 56

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En sortant de la tente royale, Arthur marcha dans le camp sans but précis. S'il s'était senti calme et prêt à accepter son sort, au moment où celui-ci lui avait été annoncé par Avalone, ce n'était plus le cas actuellement. Et il n'aurait su mettre un nom sur l'agitation qui croissait en lui.

Ses pas le menèrent vers le lieu qui servait provisoirement d'écurie. Là, il s'adossa au tronc d'un arbre et laissa court à ses pensées. En observant les hommes s'occuper des chevaux, il fut submergé par les souvenirs, car quand il était enfant, son rôle d'écuyer l'amenait souvent à accomplir les mêmes tâches pour sa famille adoptive. Tout avait commencé ainsi.
En ces lieux, il ne se sentait plus comme un souverain, mais comme un homme avec les mêmes préoccupations que le commun des mortels. Un homme auquel l'on venait d'annoncer qu'il ne lui restait que quelques heures à vivre, et qu'avec lui, allaient aussi s'éteindre ses rêves et ses ambitions.

Son répit fut cependant de courte durée car quelques minutes seulement après son arrivée, un soldat accouru vers lui :

- Majesté, cria-t-il, enfin je vous retrouve, Messire Gauvain vous fait rechercher dans le camp entier.

- Que se passe-t-il donc, lui demanda Arthur toujours perdu dans ses pensées.

- Un corbeau vient d'arriver sire, lui répondit le soldat, il semble qu'il soit porteur de nouvelles importantes.

- Eh bien, soupira Arthur, mène-moi donc à lui.

Ils se mirent en marche, le soldat perturbé, ne sachant s'il devait marcher devant ou derrière le Roi, hésitant sur le comportement à adopter. Arthur ne remarqua guère son trouble, absorbé qu'il était par ses pensées.

Après quelques instants de marche, Agravain, Gauvain et Gareth vinrent au pas de course à leur rencontre. Arthur sut immédiatement que quelque chose de grave s'était produit, au vu de leur mine :

- Que se passe-t-il donc, demanda reprenant rapidement ses esprits, parlez !

- Pas ici Majesté, murmura Agravain, suivez-moi je vous prie.

Il fit mine de se diriger vers la tente d'Arthur, qui était le siège du commandement, mais quand il comprit leur destination, Arthur l'arrêta :

- Non pas là-bas, lui dit-il en le prenant par l'épaule. Il s'était rappelé qu'Avalone s'y trouvait, et se remémorant l'état dans lequel il l'avait laissée, il voulut lui laisser du répit. Allons plutôt chez Gauvain.

Même s'ils furent surpris, aucun des chevaliers ne le manifesta. Peu après, ils pénétraient sous la tente de Gauvain. Elle était moins large et faste que celle d'Arthur, mais abritait le nécessaire pour tenir une réunion au sommet.

Arthur s'installa sur une chaise, tandis qu'il lisait la missive que lui avait remis Gauvain. A la fin de sa lecture, il donna un grand coup sur la table, puis se couvrit la bouche avec la main, geste qu'il faisait quand il réfléchissait intensément. Personne n'osa le perturber.

Les nouvelles que portait la lettre n'étaient pas des meilleures. En effet les nombreux éclaireurs qu'il avait placé dans la région, faisaient cas d'une troupe d'un millier de soldats ennemis, voire plus, qui avaient contourné le gros de son bataillon et faisaient route vers Camelot, à ce qu'il semblait. A l'heure actuelle, ils n'étaient pas loin de Camlann, et Mordred faisait partie du bataillon. La lettre l'informait également que la quasi-totalité de ses espions avaient été repérés et exécutés.

- Je dois me mettre en route, déclara-t-il de vive voix. Je suis le seul à pouvoir l'affronter autrement Camelot tombera.

Personne ne parla, car tous avaient vu de quoi était capable le frère du Roi, et la solution que proposait Arthur, était le seul choix qui leur restait. Tous savaient que, mis à part lui, dans l'état actuel des choses, personne ne pouvait se mesurer à Mordred :

- Nos pensées s'alignent avec les vôtres, osa dire Agravain, cependant Sire si vous me le permettez, j'ai bien peur que cela cache autre chose. Pourquoi diviser ses forces au lieu de toutes les jeter dans la bataille. Ce diable de Vortimer vise définitivement un objectif.

- Je suis parfaitement d'accord avec Agravain Sire, reprit Gauvain, cela ressemble à un traquenard.

- Je partage votre avis, les coupa Arthur, cependant nous n'avons pas le choix. C'est une belle stratégie et Vortimer pense que mon absence du champ de bataille influera sur le moral des troupes. Ce qu'il ignore c'est que les chevaliers de la table ronde sont comme une hydre à plusieurs têtes, et qu'en mon absence, chacun des hommes présents dans cette pièce est capable de mener l'armée à sa victoire. Je compte sur vous pour en aviser nos soldats et garantir notre réussite sur ce front. Pour ma part je dois immédiatement me mettre en route car l'ennemi a une belle longueur d'avance.

Bien que réticents, les chevaliers savaient qu'Arthur avait raison. Ensemble donc, ils peaufinèrent les derniers détails des futurs combats. Tous avaient le pressentiment que quelque chose d'important allait se jouer au cours de cette bataille. Mais aucun d'eux ne pouvait mettre un mot sur ce sentiment. Et cette sensation était renforcée par l'attitude du Roi, qui jamais encore, ne s'était conduit de la sorte.

A la fin de leur concile, la nuit était bien avancée, mais Arthur était satisfait du plan qu'ils avaient élaboré, il ne lui restait plus qu'à se mettre en route. Avant de quitter la pièce, il fit une ultime fois face à ses frères d'armes. Lui seul savait l'issue de la bataille, mais il ne pouvait partager ce secret, sachant que ses compagnons seraient capables à cause de cela, de l'éloigner du champ de bataille.

Il sourit à cette pensée, en regardant le visage de ses hommes. Il semblait en fin de compte, qu'Avalone n'était pas la seule à lui témoigner une loyauté au-delà de toute limite. Dans les yeux de chacun d'eux, il percevait cette détermination à lui sacrifier leur dernier souffle. Ils étaient plus que des sujets, ou des amis, c'étaient des frères qui avaient donné de leur personne pour permettre à son rêve de devenir réalité. Avalone se trompait en disant que sans Merlin et lui, Camelot sombrerait dans l'oubli, car Camelot survivrait à travers chacun de ces hommes.

- Mes frères, commença Arthur émut soudainement, les hommes auxquels nous allons nous confrontés sont là pour détruire Camelot. Comme les ténèbres, ils s'apprêtent à fondre sur nous et étendre leur voile de noirceur sur nos familles, nos maisons mais aussi nos réalisations et nos espérances pour ce royaume. Ce qu'ils ignorent, c'est que Camelot est bien plus qu'une cité, ou un domaine, c'est un mode de vie, une doctrine profondément ancrée dans le cœur de chaque sujet. Ils nous espèrent faibles, ils nous espèrent corrompus par la même lâcheté et la même fourberie qu'eux, ils espèrent que nous allons échouer mais ils se trompent. Aujourd'hui je donnerai jusqu'à mon dernier souffle, pour les empêcher de fouler d'un pas de plus mes terres, et piétiner mes rêves, car Camelot est ce qui m'est le plus cher.

Puis se radoucissant, Arthur ajouta des paroles qui sonnèrent comme un adieu :

- Mes amis, ce fut un honneur de guerroyer aux côtés d'hommes de votre valeur.

Il remit son heaume hurla :

- Pour Camelot !

Gauvain Agravain, Gareth et tous les seigneurs, répétèrent ces mots avec la même ferveur. Puis Arthur tourna les talons et partit avec ses compagnons derrière lui.

Lost in a fairy taleOù les histoires vivent. Découvrez maintenant