Chapitre 1 - Jacob

14.1K 510 35
                                    

Jacob

Lorsque le gardien ouvre ma cellule, je n'ai qu'une obsession : sortir de cet enfer. Je veux voir ma sœur et être sûr qu'elle va bien.

Je viens de passer cinq ans derrière les barreaux, enfermé comme un animal, sans pouvoir parler et toucher la seule personne qui compte pour moi. Pourquoi ? Parce qu'il lui a interdit ne serait-ce que de me voir. À travers cette privation, mon paternel a voulu me démontrer son pouvoir et me punir de ne pas être le fils parfait qu'il a tant de fois essayé de modeler. Il dira que c'était pour la protéger du monstre que je suis.

Elle n'avait que dix-huit ans lorsque Roman m'a piégé et condamné à la repentance. Disciple du grand Reian, dieu des hommes, il a fait de moi, fils de Dionyssan, sa cible numéro un. Ce rat des bas-fonds a eu recours à de grands moyens pour arrêter le démon que je suis, mais par chance, son plan n'a qu'à moitié fonctionné. Lui, dont le but premier a été de m'éliminer, n'a fait que m'évincer pour un certain temps. Contrairement à ce qu'il pensait, j'ai survécu à leurs mauvais traitements. Ce qui me prouve qu'ils ignoraient et ignorent toujours tout de ma nature démoniaque. Après tout, je suis l'un des rares incubes à fouler le sol terrestre. Roman se doute-t-il qu'il existe des créatures aussi puissantes que moi dans les rangs de ses ennemis ? À l'époque, non. Dionyssan s'est assuré de cacher comme il le faut ses généraux. Aujourd'hui, peut-être. Ou tout du moins, j'imagine son visage à la fois surpris et en colère en apprenant ma sortie.

Leur méthode est simple : condamner un démon comme s'il était un humain lambda et le torturer jusqu'à ce qu'il meurt. Pas besoin d'effacer l'identité, pas besoin de se cacher des hommes. Pourquoi cinq ans ? Parce qu'aucun n'a jamais tenu aussi longtemps face à leurs jouets. Mon corps porte encore les stigmates des tortures qu'ils m'ont infligées sans que je puisse répondre. Cela dit, en guise de consolation, j'ai eu assez d'heures à tuer pour préparer ma vengeance. S'ils me relâchent aujourd'hui, c'est parce que les fils de Reian ont une règle fondamentale : ne jamais faillir à leur parole. La punition qu'ils m'ont infligée devait durer cinq ans, ils n'ont donc aucun moyen de me retenir. Qu'est-ce qui les différencierait des méchants en bas de l'échelle sinon ? Néanmoins, je me doute que ce n'est que partie remise. Roman ne me laissera pas m'en tirer à si bon compte.

À l'époque où j'inondais les rues de folie, j'étais connu sous le nom de Corbeau. J'ai hérité de ce titre grâce à mes actes pour le moins répréhensibles, mais aussi pour mon âme noire dénuée de pitié. Je suis un monstre comparable à un tigre en cage. Un cauchemar pour les hommes, un amant pour les femmes, un poison pour l'humanité. À l'instant où le tueur en moi décide d'apparaître, les sentiments humains n'existent plus. Je ne veux qu'une seule chose : voir la souffrance sur le visage de ma victime puis l'entendre m'implorer avant de l'achever. C'est avec cette ferveur pour la torture que j'ai décidé de punir comme il se doit l'affront commis par Roman. Son châtiment ne m'a pas rendu moins horrible, loin de là. Je peux même dire que les barreaux de ma cellule et le fouet rédempteur ont nourri mon imagination. Plus le temps a passé et plus l'envie de laisser ma marque dans l'âme et la chair de ceux qui m'ont trahi est devenue brûlante. Je veux que mon souvenir les hante même dans les ténèbres les plus profondes. Je suis déjà destiné à l'enfer alors pourquoi me priverais-je ?

Je traverse une dernière fois les couloirs miteux à l'odeur d'acier et de transpiration, sous le regard respectueux des autres prisonniers. Mon nom inspirant à la fois le respect et la crainte, j'ai souffert, mais je n'ai pas été le plus malheureux dans cette geôle. Démons et humains mélangés pour éviter qu'on ne pose trop de questions, j'ai réussi à tirer parti de cette situation. Contrairement à ce qu'ils aimeraient, les fidèles de Reian ne sont pas tout puissant. Les premiers jours, quelques courageux, ou fous selon le point de vue, ont essayé d'asseoir leur domination sur moi. Ils pensaient que ma présence ici signifiait ma perte. Toutefois, il a suffi de quelques coups bien placés pour qu'ils plient à mes pieds. Voir les autres s'agenouiller est un plaisir que je peine à me refuser. J'aime la douce mélodie des suppliques. Peut-être est-ce dû à mon narcissisme développé ou encore à ma nature cauchemardesque ? Depuis tout petit, je suis formé, conditionné pour affronter quiconque oserait se placer sur mon chemin. Je maîtrise les arts martiaux et l'arme à feu est pour moi une extension de mon bras. Pour preuve, mon premier tir-instinct à l'âge de neuf ans, pile-poil entre les deux yeux de ma victime. C'est l'une des rares fois où j'ai réussi à rendre mon père fier de moi. Cela dit, mon talent particulier reste la traque. Il n'y a rien de plus excitant qu'une proie qui vous sent, mais ne vous voit pas. Revêtir les ombres comme une seconde peau n'est pas donné à tout le monde.

Le nombre de personnes que j'ai éliminées ? Beaucoup trop pour les compter. Si l'on y réfléchit bien, cinq ans dans ce genre de purgatoire, pour un mec comme moi, ce n'est pas grand-chose. On peut considérer ça comme des vacances. Les chaînes sont lourdes, la nourriture infâme et les vêtements manquent de classe, mais il y a pire. Si on passe outre les tortures infligées par les partisans de Reian, ce n'est pas si terrible.

Alors que nous arrivons à la dernière porte, l'homme qui m'accompagne retire mes entraves et fait signe à son collègue d'ouvrir le dernier obstacle. Dehors m'attend le désert et la chaleur suffocante, mais peu importe le cadre hostile auquel je vais être confronté. L'obsession de ma sortie ne cesse de grandir dans mon esprit déjà tourmenté. Ces chaînes bénies m'ont empêché de manipuler les esprits, de faire cauchemarder les hommes. Les picotements de la possession me manquent depuis bien trop longtemps. Je pourrais me retourner et détruire cette prison qui pense m'avoir lavé de toute noirceur, mais même si je suis toujours en vie, je suis affaibli.

La première chose que je ressens avant même de voir le soleil, c'est l'air frais. Par instinct, je respire à grand coup la saveur de l'oxygène avant qu'un rayon caresse ma peau. C'est alors que le jaguar endormi se réveille brusquement. Mon sang bat dans mes veines tel un tsunami. Le démon en moi réclame du sang. Il a envie de tuer et de s'abreuver de pleurs. Je serre les poings jusqu'à ce que mes jointures blanchissent. Chaque cellule de mon corps bout sous la colère et le besoin d'horreur qui me ronge, pourtant, je ne dois pas céder.

« Ce n'est pas encore l'heure », me dis-je pour m'apaiser.

J'entreprends de respirer pour calmer l'incendie de folie qui s'empare de moi, puis m'avance hors des murs délavés. La porte se referme derrière mon passage dans un claquement sinistre. Privé de lumière naturelle depuis un moment, le premier contact avec le soleil m'éblouit. Toutefois, mes yeux s'habituent assez rapidement pour voir une grande silhouette s'approcher. Costard cravate, chaussures et montre hors de prix, voiture de sport, mon père ne laisse jamais rien au hasard.

Call Me MonsterOù les histoires vivent. Découvrez maintenant