Call Me Monster

Chapitre 2.1 - Rachele

Rachele

Cette phrase suffit à me stopper net, la tasse à quelques millimètres des lèvres. Jacob est le diable en personne. Il est comme le chat qui joue avec la souris. Un paradis en feu. C'est un homme à l'âme noire, dangereux, totalement imprévisible, mais à la beauté renversante et aux lèvres séductrices. En dépit de mon aversion pour ses actes, je me dois de confesser mes fantasmes sur le frère de ma meilleure amie. Il est cet homme que l'on veut à tout prix ramener sur le droit chemin, pour qui on veut être la seule, l'unique. C'est comme regarder le plus beau des serpents s'enrouler autour de notre nuque pendant qu'il nous hypnotise de ses iris enflammés.

Mina et moi, nous nous sommes rencontrées à l'âge de douze ans, lors de notre rentrée en sixième. J'étais une petite fille plutôt timide et réservée alors que mon amie avait un caractère et une réputation déjà bien affirmés. Notre amitié a débuté le jour même où elle est venue me défendre contre d'autres qui se moquaient sans cesse de mes joues un peu trop rondes. Les enfants ne sont pas tendres entre eux. J'en ai plusieurs fois fait l'expérience avant que la tornade Mina vienne à mon secours. Depuis ce jour, elle ne m'a plus quittée, prétextant qu'il fallait quelqu'un pour veiller sur moi. Aujourd'hui, après toutes ces années, nous sommes toujours aussi soudées. Nous nous protégeons mutuellement. La vie n'est pas un long fleuve tranquille, avoir un allié est souvent un bonus non négligeable.

Nous sommes toutes les deux issues de familles aisées. Nous connaissons parfaitement les avantages et les inconvénients d'une telle vie, il a donc été facile de nous comprendre. Quant à son frère, Jacob est le style de garçon dont toutes les filles tombent amoureuses sans vraiment le connaître. Ténébreux, vilain garçon, incroyablement sexy, provocateur. Il est à la fois tout ce dont on a peur et tout ce qui nous excite. Le parfait stéréotype des antihéros dans les livres de dark romance. Le revers de la médaille est que son charme est accompagné d'un narcissisme poussé, d'un esprit manipulateur, pervers et d'une folie à faire frémir le plus courageux des hommes. C'est une bombe à retardement, une pensée empoisonnée.

Que les cieux me pardonnent, je suis la pire de toutes. Bien que j'aie conscience de sa vraie nature, mes pensées le prennent souvent pour exemple lorsque je couche mes fantasmes sur mon ordinateur. Dans certains moments de faiblesse, je l'ai déjà imaginé me faire tout un tas de choses interdites. C'est mal, très mal, mais je me console en me disant qu'il ne s'agissait que d'image dans mon esprit. Ça ne fait de tort à personne. Il est le personnage principal de plusieurs de mes histoires et, tout comme moi, les lectrices adorent ça. Je n'ai jamais parlé à Mina de mes idées impures à l'égard de son frère. Quant aux autres personnes pouvant possiblement reconnaître Jacob dans mes récits, mon pseudo d'écrivain est assez éloigné de mon nom réel pour que les soupçons soient balayés.

Contrairement à moi, je doute que ce corbeau ait un jour ressenti un tant soit peu d'attirance pour ma personne. S'il s'est amusé de mes illusions d'adolescente, il n'a jamais été plus loin qu'un frôlement de lèvres ou une caresse sur l'artère de mon cou. La déception de ne pas être à son goût se heurtait avec la sensation d'être unique. La seule qu'il respecte assez pour ne pas la mettre dans son lit sans réfléchir. Je me suis toujours demandé ce qu'il se serait passé si j'avais décidé de franchir la limite, si j'avais répondu à ses taquineries. Cela dit, j'ai toujours refusé pour ne pas gâcher mon amitié avec Mina. Quant à Jacob, il n'aurait probablement pas voulu prendre le risque de faire du mal à sa sœur. C'est bien l'une des rares personnes qu'il considère. Partager quelque chose de plus qu'un jeu l'aurait condamné à me traiter autrement que comme une conquête de plus. Or, ce personnage est cruel. Une fois qu'il vous a consommée, il vous jette. Mon amitié profonde avec Mina m'a certainement sauvée du tourbillon infernal de la douleur.

— C'est une bonne nouvelle, finis-je par dire.

Elle m'offre alors un regard désespéré, loin d'être en adéquation avec ce qu'elle devrait normalement ressentir. Ses larmes menacent de couler à nouveau. Décontenancée, je prends sa main dans la mienne pour la rassurer.

— Pourquoi est-ce que tu pleures ? Qui y a-t-il à la fin ? Parle-moi s'il te plait.

Elle tente de ravaler les gouttes qui perlent aux coins de ses yeux, sans grand succès. Moi-même je commence à ne pas me sentir bien. Est-il arrivé quelque chose à Jacob ? Une partie de moi ne peut s'empêcher de s'affoler. En dépit de tout ce qu'il est, je ne lui souhaite aucun mal.

— Mon père l'a chassé de la maison et il refuse que j'aie un quelconque contact avec lui.

En entendant ces mots, je comprends mieux son chamboulement. Mina et son frère sont semblables à des jumeaux. Ils sont très fusionnels malgré leurs cinq ans de différence d'âge. Elle a tellement souffert de son emprisonnement et voilà que son père veut à nouveau les séparer. C'est cruel, mais cela ne m'étonne guère de la part de Richard.

— On va trouver une solution pour que tu puisses le voir, ne t'inquiète pas. Ton père ne peut pas te surveiller vingt-quatre heures sur vingt-quatre.

— Tu ne comprends pas, insiste-t-elle.

Les coups d'œil qu'elle jette sans cesse autour de nous m'angoissent de plus en plus. Il est facile de céder à la paranoïa dans ces conditions. D'autant plus en sachant tous les mystérieux secrets qui entourent la famille de mon amie. Si les Natan sont aussi craints que respectés, ce n'est pas pour rien. Le détour en prison de Jacob ne l'est pas non plus.

— Je ne veux pas que mon frère retourne en prison, Rachele.

Je la regarde incrédule. Elle semble avoir du mal à exprimer ses sentiments.

— Dis-moi les choses clairement Mina.

Elle soupire mal à l'aise.

— J'aimerais que tu l'héberges le temps que je trouve une autresolution.