Call Me Monster

Chapitre 47 - Jacob

Jacob

Je balance d'un violent coup tout ce qui se trouve à proximité. Face à cet affront, je rugis une fois de plus, incapable de maîtriser la rage qui me gagne. À l'image de mes cris, mon corps s'embrase. D'ardentes flammes rouges lèchent ma peau tandis que mon esprit se laisse contaminer par un flot de pensées démoniaques toutes plus horrifiques les unes que les autres. En m'envoyant cette menace, Roman me force à briser la vie des deux jeunes femmes. Comme l'a fait Reian avant lui, il retourne ma nature contre moi-même.

Tyler tente de ne pas attirer mon attention, mais à peine a-t-il effectué un mouvement que je frappe du poing sur la table pour le retenir. Il stoppe aussitôt son avancée, la gorge comprimée, des gouttes de sueur perlant sur son front blanc.

— Je veux tout le monde chez Rachele Campora dans une heure. Trouve Mina. Peu importe si tu dois la droguer pour qu'elle te suive. Je ne tolèrerai aucun écart. Appelle aussi leurs boulots. Invente une excuse pour les libérer. Congés, année sabbatique, soit inventif. Précise au passage que je prends en charge les deux salaires.

Le sorcier acquiesce silencieusement et s'empresse de quitter la pièce. À l'instant où il franchit le seuil, je déverse ma colère sur tout ce qui se situe sur mon passage. Les objets prennent feu, les corps mutilés fondent tandis que l'air s'emplit d'une odeur de soufre étouffante. Deux larmes sanglantes coulent de mes yeux. Révélé mon secret à ma sœur, les arracher à leur quotidien sans tracas, voilà ce que m'oblige à faire Roman. Quelle ironie ! Un démon prêt à sauver des humains. Un protecteur de l'humanité qui les menace. Le ridicule de la situation est risible.

— Morwën !

En hurlant le nom de l'elfe, je tombe à genoux et attrape mes cheveux. Je ressemble à un fou. Couvert de sang, les veines de mon visage ressortent, ma salive mouille mes lèvres entrouvertes, mon corps brûle d'un feu vengeur, un millier de lames traversent mon esprit. Pourquoi m'a-t-elle affligé cette torture ? Pourquoi me lier à Rachele ? Pourquoi en faire une princesse destinée à servir les intérêts d'un ange noir pour l'éternité ? Quant à mon maître, pourquoi m'a-t-il affublé de cette faiblesse qu'est la famille ?

— Parce que rien n'est jamais gratuit.

En entendant la voix de l'elfe, je relève les yeux. Toujours vêtue d'une longue robe fluide, elle s'avance vers moi avec lenteur. Loin d'avoir peur, ses yeux ne quittent pas les miens.

— Le pouvoir exige toujours une compensation, Azakiel. Une créature aussi puissante que toi ne peut pas être déliée de toute faiblesse. L'équilibre ne le tolèrerait pas. Cet infime fragment de toi qui te permet de ressentir est mon châtiment, mais aussi ton plus grand atout. Ces femmes placées sur ton chemin sont à la fois le prix et la récompense.

Je m'apprête à lui répondre, mais les vibrations de mon téléphone me coupent. En voyant le prénom de Mina s'afficher, je comprends qu'il est temps de lui avouer ce que je me suis efforcé de cacher depuis vingt ans. Morwën profitera de cet appel pour s'éclipser, mais tant pis. L'heure n'est pas à l'apitoiement. La main encore couverte de sang, je passe mon doigt sur le téléphone vert.

— Je peux savoir pourquoi tu envoies tes sbires chez moi ?! s'écrie-t-elle. Pourquoi suis-je obligée de le suivre ? Qu'as-tu fait Jacob ?!

Je soupire en entendant l'inquiétude dans sa voix.

— Rachele et toi êtes en danger, Mina. Prends quelques affaires et obéis à Tyler.

— Jacob...

— Promis, je répondrai à toutes tes questions plus tard, mais là l'heure est grave. Fais-moi confiance, Mina.

J'attends qu'elle acquiesce, puis raccroche. Rassuré, je lance un regard vers la porte. Comme je m'y attendais, Morwën m'a balancé ses incompréhensibles paroles avant de s'évaporer. Les muscles tendus à l'extrême, j'expire bruyamment. À vrai dire, Tyler n'est pas parti les mains vides. Dans quelques minutes, il lui donnera une lettre dans laquelle je lui explique en détail ce qu'il est, ce que je suis, ce que nous sommes. Ça peut paraître enfantin, voire ridicule, mais j'ai choisi les mots avec précision. Elle brûlera certainement ce papier que j'ai mis des jours à écrire, cela dit, elle saura. Pour être honnête, j'espérais pouvoir lui avouer de vive voix, mais la vie n'est pas un roman à l'eau de rose. Je peux presque sentir ses doigts tremblants déplier la feuille et ses larmes couler sur son visage.

Un coup donné sur ce qu'il reste de la porte me ramène à l'instant présent. Kyle se tient dans l'encadrement quelque peu déstabilisé par le désordre. J'émets un petit rire, amusé par la peur que je lui inspire.

— Je ne suis pas devenu fou si c'est la question que tu te poses, raillé-je.

— Si c'était le cas, je ne serais certainement plus vivant à l'heure qu'il est.

— As-tu des nouvelles des autres ?

— Xyu et Edward sont en train d'installer Sam dans le véhicule. Maxence gère le matériel.

Je me redresse et m'avance vers mon ami. La tension qui émane de lui devrait me vexer, mais je ne peux lui en vouloir d'être sur ses gardes. Un seigneur démon fou n'a rien de rassurant.

— Très bien. Allons-y. Nous devons encore récupérer Tyler et les filles.

Sur ces paroles, je retire les derniers lambeaux de chemise qu'il me reste et m'engage dans le couloir la tête haute, le regard droit. La partie ne fait que commencer.