Chapitre 14 - Rachele

4.3K 315 12
                                    


Rachele

Le lendemain matin, ma tête est lourde et douloureuse. Mes muscles sont crispés. J'ai à peine dormi. Mon réveil n'a même pas eu besoin de sonner. Toute la nuit, les images de l'homme torturé se sont superposées à celles de Jacob. Deux souvenirs opposés, l'un qui représente la peur, l'autre la douceur d'une caresse volée. Hantée tour à tour par l'horreur, puis par les battements de mon cœur, je ne suis pas parvenue à trouver le sommeil. Quant aux quelques heures octroyées, elles n'ont pas été réparatrices. Il faut croire qu'un démon a trouvé amusant de jouer avec mes nerfs.

Avec difficulté, je me lève de mon lit en grimaçant. Le positif, c'est que cette insomnie m'a permis de lister toutes les règles à mettre en place entre Jacob et moi. C'est enfantin, mais si je veux que cette cohabitation se passe bien, j'ai besoin de stabilité. Hier soir m'a démontré que ce qui avait commencé n'a jamais pris fin. Cinq ans n'ont rien changé. Mon corps lui répond comme avant, mon cœur tambourine toujours. C'est le frère de ma meilleure amie, un homme qui ne se laisse dicter aucune loi, il répond aux siennes. Autrement dit, pas un homme pour moi. Mais alors pourquoi mon esprit est-il aussi torturé ?

Une main dans les cheveux, je capitule et pars prendre une douche. Je prends mon temps sous le jet chaud pour essayer de détendre mon corps secoué par toutes les émotions qui me tiraillent. Mais le répit est de courte durée. Une fois habillée, j'envoie un message à Sophie pour lui demander de me récupérer un uniforme de rechange. Je doute qu'une robe sale fasse son effet auprès des visiteurs. Elle me répond qu'elle s'en charge et ne peut s'empêcher de me demander si tout va bien. J'aimerais lui répondre que non, mais cela entraînerait trop de questions auxquelles je n'ai pas envie de répondre.

Lorsqu'enfin je sors de mon antre, une douce odeur de pancake m'accueille. Surprise, je m'empresse de rejoindre mon salon-cuisine. Là, vêtu d'un t-shirt noir et d'un jean de la même couleur, Jacob dépose une assiette gourmande sur le petit bar. Choquée, je le regarde, les lèvres entrouvertes. Il a même donné de sa pâtée à Cookie !

 Bien dormi ? me demande-t-il.

Il dépose une deuxième assiette à côté de la première, puis s'assoit, prêt à déguster son petit-déjeuner avec moi. Cette scène est surréaliste, mais je me retiens de le faire remarquer. À nouveau, je suis scindée entre mon cœur qui me hurle de le laisser m'approcher et ma raison qui me supplie de ne surtout pas faire ça.

 Ça va refroidir.

Rappelée à l'ordre, je reviens à la réalité. Sans faire d'histoires, je m'installe à ses côtés sous son regard amusé.

— Merci.

Alors qu'il croque dans sa tartine de beurre, ses yeux ne me quittent pas. Mal à l'aise, je me dandine sur mon tabouret.

 Tu n'as pas l'air très loquace le matin ! se moque-t-il.

 À vrai dire, j'ai très mal dormi.

 Tu aurais dû venir avec moi. Il paraît que quand on dort dans mes bras, on ne fait que de beaux rêves.

 Je doute que ce soit vrai, je réponds en rougissant.

S'il n'avait pas été en prison, si je n'avais pas grandi et s'il n'était pas le frère de Mina, j'aurais sans aucun doute fini dans ses bras. Pour une nuit ou pour la vie, mais je ne me serais pas fait prier. Alors que je mords dans mon pancake garni de pâte à tartiner, je le sens se pencher vers moi. Attirée comme un ours par du miel, je tourne instinctivement la tête.

Erreur.

Son parfum enivrant vient bercer mon esprit torturé, sa chaleur m'envelopper d'un cocon si agréable. Comme hier, mon cœur se met à palpiter, mes entrailles à frétiller et ma raison à hurler son mécontentement. Elle me traite de faible, d'idiote, d'inconsciente, cela dit, je ne l'écoute même pas. Sous son regard semblable à la nuit, je pourrais me liquéfier sur place.

Avec lenteur, sa main remonte jusqu'à mes lèvres pour essuyer le chocolat d'un geste tendre. Ce n'est que quelques secondes, mais son contact m'enflamme. Parfois, les picotements entre nos peaux sont intenses, brûlants. D'autres fois, ils sont doux, languissant, mais à chaque caresse, ils restent enivrants. Je frémis alors que sa présence m'embrase.

 Un peu plus et je me sentirai vexé par ta remarque, murmure-t-il.

Il est là le diable. Celui dont le ton d'une douceur infinie laisse planer la menace de ses actions. Celui dont les yeux aux lueurs malines séduisent l'âme pour mieux la prendre. Contrairement à ce que pensent les gens, il n'est pas effrayant, au contraire. En fait, il n'a même pas besoin d'utiliser la force ou la peur, on lui donne ce qu'on a de plus précieux sur un plateau d'or.

Une porte qui claque me réveille de cette bulle enfumée et je m'écarte de son toucher hypnotisant. Je saisis ce moment de pleine conscience pour sortir la liste de règles de ma poche. Sans même prendre la peine de la déplier, je la lui tends. À moitié étonné, à moitié amusé, il hausse un sourcil.

 Pour qu'on puisse bien vivre ensemble, j'ai pensé à instaurer quelques prescriptions, expliqué-je.

 Quelques prescriptions ?

Son ton moqueur ne m'échappe pas et, à vrai dire, je m'attends à ce qu'il me les balance aussitôt à la figure, mais contre toute attente, il déplie le papier et le lit avec attention.

 Règle numéro un : Pas d'invité surprise, homme ou femme.

Il rit. Gênée, je fais mine de siroter mon jus d'orange fraîchement pressé.

 Règle numéro deux : Ne pas déranger le sommeil de l'autre. Et si j'ai envie de venir te faire un câlin ? minaude-t-il.

— Règle numéro trois : Respecter l'espace vital de l'autre, répliqué-je.

À nouveau, ma réponse secoue son corps d'un rire sexy.

 Que tu es dure avec moi, Rachele ! Tu penses à mon pauvre cœur privé de chaleur humaine pendant cinq ans ?

Je pense surtout au mien...

Alors qu'il s'apprête à énoncer la règle numéro quatre d'un ton espiègle, son téléphone vibre sur la table. D'un geste fluide, presque animal, il décroche et s'isole pour que je n'entende pas sa conversation. Quelques minutes plus tard, il revient, mais sa mine enjouée s'est transformée en une plus fermée. L'air de la pièce, qui était chaud il y a encore quelques secondes, devient aussi glacial qu'un vent d'hiver.

 Je suis désolé, je vais devoir te laisser terminer seule ton petit déjeuner. J'ai une affaire urgente à régler.

Pendant qu'il enfile sa veste en cuir, je reste coït. Quel genre d'affaire urgente peut avoir à gérer un homme tout juste sorti de prison ? Paniquée à l'idée qu'il se mette à nouveau dans les ennuis, je l'attrape par le bras en descendant de mon tabouret. Pour la première fois depuis qu'on s'est revus, je veux qu'il me regarde dans les yeux. En me suppliant d'héberger son frère, Mina m'a implicitement demandé de veiller sur lui et je ne compte pas le laisser faire n'importe quoi.

 Règle numéro cinq : interdiction de se mettre dans les ennuis.

Sans se départir de son éternel sourire facétieux, il m'attrape par la taille. Sous l'impulsion de son bras musclé, mon corps rencontre le sien dans une explosion de frissons. Mes seins sont collés contre son torse bouillant, la paume de sa main dans le bas de mon dos renforce l'intimité de notre position. Je n'ose plus bouger, au bord de la crise cardiaque. Mais comme s'il n'en avait pas encore assez, ses lèvres effleurent les miennes. Il ne m'embrasse pas, mais ils les approchent assez pour que j'aie un aperçu de leur saveur sucrée.

 Règle numéro six : ne pas poser de questions, réplique-t-il.

Il s'apprête à me lâcher, mais je le retiens.

 Pense à Mina, Jacob. Si tu retournes en prison, elle sera dévastée...

 Ce que je fais ne te regarde pas, princesse, grogne-t-il. Mais je suis touché que tu t'inquiètes pour ton colocataire, alors je vais te rassurer. Je serai à la maison pour dîner.

Sur ces mots, il me libère de son étreinte,claque ma fesse droite et sort de l'appartement.

Call Me MonsterOù les histoires vivent. Découvrez maintenant