Call Me Monster

Chapitre 58 - Rachele

Rachele

La sensation d'oppression est l'une des pires à affronter. Si ma raison avait repris le dessus, je ne serais pas en train de courir sous la pluie battante en évitant les racines. En m'enfuyant ainsi, je risque gros, mais je ne tiens plus. Tous ces mensonges, ces histoires, j'ai besoin de m'éclipser un moment, de m'éloigner assez pour pouvoir hurler ces émotions qui me scient la tête. Je ne réponds plus à rien si ce n'est à cet instinct voulant m'éviter la folie de la damnation.

Je peine à me souvenir du moment où j'ai pris la décision de partir, mais le sentiment d'urgence a balayé la moindre action raisonnée. Doucement, sans précipitation, je me suis éloignée de ma cachette et je suis sortie par l'entrée principale avant de m'élancer vers la forêt. Plutôt qu'une énième attente, la fuite m'a semblé la meilleure option en dépit des dangers que ce geste représente.

La scène tourne et retourne dans mon esprit jouant avec mes émotions. Confusion, tristesse, joie, colère, désarroi, peur, espoir, tout se mélange pour me rendre incapable de réfléchir de façon correcte. Inapte à analyser la situation, je saurais à peine décrire mon état mental à cet instant. Je n'ai qu'une obsession : respirer. Comme à chaque fois, le destin aime s'amuser à des jeux dont on ne comprend ni les tenants ni les aboutissants. La vie est un combat de chaque instant. Chacun a des armes, des compétences, des faiblesses. La difficulté, c'est de les reconnaître.

Mon cœur bat la chamade. Ma respiration est sifflante. Ma poitrine résonne comme un concert d'instruments désaccordés. Mes jambes me font mal. Pourquoi ? Comment ? Jacob m'a expliqué ce que sont les Liin, mais jamais il n'a parlé des conséquences que cela pouvait engendrer. Sait-il ce que je suis pour lui ? Pourquoi ne m'a-t-il rien dit ? Qu'est-ce qu'implique être la Liin d'un être aussi puissant ? Alors qu'un millier de questions m'assaillent à l'instar d'une armée entraînée, des images de l'exposition se mêlent à la danse. Cette femme qui m'a adressé la parole ce jour-là, était-elle une créature de la destinée ? Me prévenait-elle de ce que j'étais ? Depuis combien de temps me ment-il ? Rien n'a de sens !

Frappée par l'ouragan qui ravage ma poitrine, je tombe en hurlant. Je vide chaque seconde de frustration, de peur, de colère. J'essaie tant bien que mal de libérer l'oppression de ces sentiments ténébreux.

L'image d'un incube velu et hirsute s'impose à moi avant d'être remplacée par celle d'Azakiel, puis de Jacob. Je secoue la tête pour chasser ses pensées. Je suis frigorifiée, mes vêtements sont trempés, couverts de boue. Le froid pourrait me tuer. Je devrais me lever et rentrer, mais je ne suis plus que l'ombre de moi-même. J'ai l'impression d'être tombée dans le piège du chasseur. Le pire ? Il m'a avertie, mais je n'ai rien écouté. Hormis cette règle du jeu, il ne m'a rien caché. Cela dit, une question parmi toutes les autres demeure dans mon esprit, comme un dernier pilier prêt à s'écrouler.

Jacob est-il capable d'amour pour moi ? Au-delà de ce lien immuable qui nous unira pour l'éternité, ses sentiments sont-ils sincères ? Ce démon qui tranche des gorges, tout en parcourant la mienne de baisers incandescents, a-t-il une place pour moi dans son cœur possédé ? À l'instar de Perséphone, puis-je être la femme du diable ?

On pourrait s'attendre à ce que les ténèbres choisissent une femme à l'âme bien plus sombre pour cette créature aux iris aussi rouge que le sang de ses victimes. Néanmoins, se pourrait-il que mon innocence soit la raison de ma damnation ? À plusieurs reprises, Jacob a mentionné l'équilibre du monde, insistant sur le fait que les démons, en dépit des horreurs, sont utiles à l'univers pour le sublimer.

Mon cœur se comprime péniblement une nouvelle fois. L'amour fait-il invariablement mal, quelle que soit son essence ? Exige-t-il toujours des sacrifices ? La douleur suit-elle tout moment de bonheur ? N'y a-t-il pas de juste milieu lorsque l'on aime ? Cette passion si brûlante rend-elle toujours aussi accro et dépendant ? Une folie incontrôlable, qui nous pousse à faire des choses, à prendre des décisions que l'on ne se serait jamais cru capable de prendre.

Des larmes roulent sur mes joues alors que la pluie se calme. Elle estremplacée par un vent humide qui m'enrobe et me fait grelotter. Consciente dene pouvoir supporter plus longtemps la température, je tente de me relevermalgré les tremblements de mon corps. Mais alors que mes yeux balaient leshorizons pour retrouver mon chemin, mon cœur s'affole. J'ai parcouru plus dedistance que je ne le pensais. Pire, j'ai quitté le sentier sans m'en rendrecompte. La panique se déverse dans mes veines. Par réflexe, je fais quelquespas en avant, tourne autour d'un point invisible dans l'espoir de reconnaîtreun détail. Rien.