Chapitre 52 - Rachele

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Rachele

La maison est vide et calme depuis le départ des garçons. Samuel est toujours en convalescence dans une chambre au fond du manoir. Tyler jongle entre nous et son patient pour s'assurer que nous ne tentons rien d'imprudent. Dans une demeure aussi sécurisée, que veut-il qu'on fasse ? Contrairement à eux, nous n'avons pas de super pouvoirs pour nous évader. Et ça serait stupide de notre part. Nous ne savons rien de l'enfer qui s'est ouvert.

Curieuse quant à l'escapade de son frère, Mina a essayé d'en savoir plus, sans succès. Tyler est ferme et sans faille. Nous sommes donc, en plus d'être prisonnières d'un endroit inconnu, condamnées à l'incertitude et au désarroi. Mon cœur se serre en pensant au démon. Mon tourment a-t-il une fin ? Est-ce la vie à laquelle je me suis vouée ? Attendre derrière une fenêtre mon homme rentrer ? Penser ses blessures et essuyer le sang sur ses mains ? Je grimace. Les princes charmants sont censés embrasser les colombes. Or, le mien préfère jouer avec les corbeaux. Pour être honnête, je souhaiterais être rebutée par son âme démoniaque. Je voudrais que son physique m'inspire la crainte et le dégoût. Que son odeur me donne la nausée et que ses mots suscitent l'indifférence. Cette créature tue, damne, torture. Mais je ne peux pas emprisonner les papillons dans mon ventre à chaque fois que je le vois. Je ne peux pas ralentir les battements de mon cœur quand il s'approche. Je n'arrive pas à lutter contre les frissons agréables que me provoque son toucher. Malgré ma volonté de ne pas l'aimer, il m'instille le désir, la tendresse et l'amour. Une passion irrésistible et une faim à se damner.

Je dois me rendre à l'évidence, je suis un cas désespéré.

J'ai beau être rongée par tout un tas d'émotions contradictoires, j'ai déjà arrêté mes choix. Tourmentée par l'ennui, je me lève de table et me dirige vers la porte. C'est alors qu'un bruit sourd me fait sursauter. Ma main droite se pose spontanément sur mon cœur pour tenter de calmer les palpitations. Seigneur, faites que ce soit mon imagination.

À nouveau, un son de détonation retentit. Cette fois-ci, je comprends qu'il se passe quelque chose de grave. Je sors avec précipitation de la cuisine en espérant que mes doutes ne se confirment pas. Cette maison n'est-elle pas une forteresse impénétrable ?

Tout à coup, alors que je passe l'encadrement, une main m'attrape violemment le bras. Un cri de surprise m'échappe.

— Chut Rachele ! s'écrie Mina.

Elle me tire vers elle sous l'escalier tandis que des soldats cagoulés surgissent de l'entrée avec des armes d'assaut. Je suis totalement paralysée par la peur. Les étrangers pénètrent dans la maison en hurlant dans une langue inconnue, ravageant tout sur leur passage. Ils brisent les vases, renversent les meubles et tuent les mercenaires censés nous protéger. Mon cœur bat la chamade. C'est impossible !

Un homme de Jacob accoure vers la cuisine, pensant m'y trouver, mais il est stoppé par une rafale qui traverse sans difficulté sa chair. Il s'écroule à terre, le regard vide, les lèvres entrouvertes comme s'il n'avait pu rugir sa dernière lamentation. Je pose ma main sur ma bouche pour m'interdire le moindre bruit face à ce drame qui me soulève les tripes. Je suis incapable de bouger, choquée, terrifiée. Pitié, faites qu'il ne soit rien arrivé à Jacob !

— Une taupe nous a trahis, commence Mina. Il faut que l'on sorte de là Rachele, me secoue-t-elle d'une voix ferme.

Ses paroles semblent me venir au ralenti à cause du choc. Mes yeux ne peuvent s'empêcher de fixer la marre sanglante qui s'étale de manière constante sous le corps inanimé.

— On va devoir faire le tour pour accéder à l'issue là-bas, dit-elle en me montrant du doigt une sortie vers le jardin, à l'opposé de la porte principale.

Je ne saisis pas le sens de ses mots, mais je remarque notre seule chance de survie grâce à son geste vers le passage, à simplement quelques mètres de nous.

Je transpire d'angoisse, mon rythme cardiaque est anormalement élevé, mes oreilles sifflent en réponse aux déflagrations. Je lutte contre la paralysie qui tente d'envahir mes muscles. J'observe Mina lever un à un ses doigts jusqu'à trois, puis mon instinct de survie prend le contrôle. Des voix rauques et sinistres jaillissent tandis que nous enjambons les cadavres présents au sol. Je m'efforce de ne pas perdre pied tout en suivant ma meilleure amie. Je m'échine à ne pas tenir compte des mares de sang qui giclent sous nos pas et éclabousse nos chaussures. Par chance, nos agresseurs se dispersent dans les directions opposées. Nous n'avons certainement pas plus de cinq secondes pour atteindre notre issue de secours alors que le dernier ennemi disparait dans la cuisine. Cuisine où j'étais il y a à peine cinq minutes.

Mina ne lâche pas ma main pendant que nous nous élançons le plus silencieusement possible vers notre gage de sécurité. Contrairement aux romans, si nous sommes touchées, il n'y aura personne pour nous sauver in extrémiste. Il n'y aura pas ce temps où nous pourrons dire à nos proches à quel point nous les aimons ni de long discours lorsque la balle atteindra nos organes. Si nous sommes abattues ici, la vie nous quittera comme elle est venue.

Un élan de soulagement s'empare de moi à l'instant où la main de mon amie s'affaisse sur la poignée. Par malchance, il est de courte durée. Une voix alarmante et brutale s'élève tandis que le regard affolé de Mina s'accroche au mien. Sans même comprendre le sens de ses paroles, nous savons que nous sommes repérées.

La cavale qui s'engage alors est activée par l'envie de vivre. Nous courrons pour tenter d'échapper à notre bourreau qui tire à plusieurs reprises. Les déflagrations s'enchaînent, nous ratant de peu. Portée par le désir d'un lendemain, je fends l'air en dépit des brûlures qui déchirent mes muscles et de la douleur qui s'infuse dans tout mon être. Je n'ai jamais couru aussi vite de ma vie.

Au moment où nous atteignons enfin la forêt, Mina s'éloigne un peu plus de moi. Nous essayons de slalomer entre les troncs tout en évitant les racines pour lui rendre la tâche compliquée, mais notre poursuivant est bien entraîné. Ma respiration est de plus en plus difficile alors que je lutte pour ne pas trébucher. Les racines forment des pièges à peine évitables, le sol meuble nous ralentit. Une balle frôle mon oreille puis s'enfonce dans l'écorce de l'arbre face à moi. À bout de force, j'implore en espérant que quelqu'un nous vienne en aide, que pour une fois, la vie s'apparente à un roman et que nous sortions vivantes de ce foutu piège.

Pourtant, je sais qu'il y a peu de chance pour que mes prières aboutissent. L'équilibre frappe au hasard. Si je dois trépasser pour qu'un autre vive, aucune formule magique ne m'épargnera. Les larmes coulent sur mes joues malgré moi. La sensation d'une fin proche me provoque un sentiment de peur incontrôlable. Mon instinct à l'énergie primaire sait que rien ne sera plus pareil.

Tout à coup, une énième détonation retentit et instinctivement, je comprends que celle-ci est différente. Au lieu du craquement d'un arbre qui marque un raté, c'est un cri strident qui parvient à mes oreilles.

Tout se passe alors au ralenti. Je tourne la tête vers Mina avant de la voir s'écrouler à terre. Je ne sais pas si c'est son hurlement, le mien, ou peut-être les deux qui percent l'air, mais il est si lancinant que même les morts se réveilleraient sous son émanation.

Sans réfléchir, et alors que l'ennemi continue de nous foncer dessus, je bifurque pour rejoindre mon amie. Paralysée par la douleur, je tombe à genoux près du corps tremblant de Mina. Je tente d'appeler à l'aide, mais aucun son ne sort. Je suis pétrifiée face à la tache de sang qui s'agrandit sous elle, si bien que je ne remarque pas l'homme s'approcher de moi avant de sentir l'arme sur ma tempe.

Alors que le canon froid se pose sur ma peau couverte de sueur,j'inspire en relevant les yeux face aux arbres qui hurlent. Je n'avais jamaispensé à ce que l'on ressent aux portes de la mort avant ce moment. Lorsque ceuxqui ont frôlé cette sentence nous parlent de leur expérience, nous écoutons,mais nous ne pouvons saisir la puissance de cette sensation. Elle nous faitentrevoir notre passé, notre présent et ce qui aurait pu être notre futur... Onsent à la fois le chaud, le froid, la douceur du vent et la violence del'instant. Peut-être est-ce mieux ainsi ? Mon assassin m'offre une mort rapide tandis que ma vie ne tient plus qu'à un fil.

Call Me MonsterOù les histoires vivent. Découvrez maintenant