Chapitre 28 - Rachele

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Rachele

— Viens, je vais te présenter aux autres.

Je le suis à travers tout le camp en mimant le bonheur de rencontrer les personnes qu'il me présente. Mes quatre ans de théâtre m'auront finalement servi. En réalité, les visages m'inspirent la crainte et le dégoût plus qu'autre chose. Je ne compte plus le nombre de regards salaces et les fusillades que je reçois. De ce que je comprends, je suis une opportunité pour les hommes, une menace pour les femmes. Lançons les paris. Combien de temps vais-je tenir ?

Plus on avance et plus mes certitudes concernant le statut de Jacob se renforcent. Il est connu et respecté. Pire, il est craint. Qu'a-t-il pu faire de si horrible pour que tous s'agenouillent devant sa supériorité ? Ses doigts liés aux miens sont d'une douceur infinie, mais le contact entre nos peaux me déclenche un frisson. Mon rythme cardiaque s'accélère. Je tente de faire comme si j'étais parfaitement sereine, mais plus la soirée défile et plus je prends conscience que l'homme le plus dangereux de cette soirée est certainement celui que j'ai accepté d'héberger. Tandis que nous quittons un énième criminel venu le saluer, son index caresse le pouls qui bat de manière excessive dans mon poignet. Le prédateur est à l'affût. Un sourire en coin, il me retourne vers lui et enroule sa main autour de mon cou. Ses lèvres frôlent les miennes alors que son souffle ardent caresse ma peau sensible. Son regard démoniaque happe le mien.

— Maintenant que tu as vu mon royaume, tu regrettes ton baiser ?

Je devrais. Du plus profond de mes entrailles, je souhaiterais pouvoir le repousser, lui dire de ne jamais revenir. À demi-mot, il me confirme ce que je craignais. Jacob n'est pas qu'un mauvais garçon, c'est un diable qui a une cour rien que pour lui. Je suis terrifiée, mais malgré tout, je ne peux pas m'y résoudre. Je retiens les larmes qui menacent mes yeux. Il pose la question, mais il a déjà la réponse. Je l'aime depuis que nos regards se sont croisés. Me voiler la face ne changera rien. Je ne peux pas effacer ce que je ressens. Pendant cinq ans, j'ai cru être parvenue à le rayer de ma vie, mais c'est faux. Son retour a brisé mon amour emmuré. Cette nuit n'est qu'une façon de me déculpabiliser, d'accepter. Je suis condamnée à l'aimer alors pourquoi résister ?

— Il faudrait, murmuré-je.

Ma réponse le fait rire.

— Si tu ne fuis pas maintenant, je ne te laisserais plus partir, Rachele, reprend-il.

Il m'offre une dernière porte de sortie. Son regard ne me quitte pas, il attend ma décision. Le diable me laisse un ultime choix. Un frisson remonte le long de ma colonne vertébrale et les larmes que j'ai tenté de retenir coulent avec lenteur sur mes joues. Ses pupilles suivent leur chemin humide avant de remonter vers les miennes. Mes doigts se serrent sur son sweat. Je savoure sa main chaude sur ma nuque. La musique n'est plus qu'un fond sonore tellement mes battements de cœur résonnent dans mes tympans. Mais je sais que mon choix est déjà fait. C'est insensé, beaucoup diront que notre romance n'a pas de sens, pourtant à l'instant où je pose mes lèvres sur les siennes, je sais qu'il est l'homme que j'ai choisi. Je l'aime de façon démesurée, je le désire plus qu'aucun autre, il est mon oxygène. Maintenant je comprends que pendant cinq ans, je me suis retenue de respirer. Il resserre son étreinte, m'enveloppe de sa chaleur. Nos respirations se mêlent, nos corps s'embrasent. Mes lèvres encore humides de mes larmes dansent avec sa langue affamée des gouttes salées.

— Un pacte avec le diable est irréversible, mademoiselle Campora, murmure-t-il.

— Alors prends soin de mon âme.

***

Encore tremblante de notre étreinte enflammée, je suis Jacob jusqu'à un groupe de garçons un peu plus loin. Ils sont au nombre de cinq et chouchoutent une voiture pour le moins sublime, étonnamment proche du style de mon partenaire. Sa carrosserie noire est décorée d'effet métallique violet et vert alors qu'un corbeau en acier trône sur le parechoc avant.

— Et le meilleur pour la fin, même si je me doute que tu en reconnaitras la plupart. Voici mon équipe. Kyle et Tyler, les jumeaux qui s'occupent de la mécanique.

Ma gorge se serre instinctivement en voyant le visage familier des amis de longue date de Jacob. Pour la plupart, je ne les connais que de vue. D'autres, comme Samuel, en savent un peu trop.

Kyle et Tyler sont de vrais jumeaux, les seules choses qui peuvent les différencier sont leurs habits et leurs tignasses. On ne peut pas non plus nier qu'ils sont très beaux. Leurs yeux verts reflètent la malice. Ils ont un nez fin ainsi que des lèvres pulpeuses. L'un a des cheveux blonds, l'autre des cheveux marron clair. Ils sont assez musclés et frôlent le mètre quatre-vingt-dix. Un sourire étire leurs bouches alors qu'ils lèvent leur main pour me saluer. J'en fais de même. L'aura apaisante qui les entoure est en réalité une traitrise bien menée qui dissimule leur dangerosité. Il est bien connu que les criminels les plus néfastes sont ceux qui arrivent à vous endormir avec de jolis sourires. Je me suis moi-même fait prendre au piège avec Jacob.

— Maxence, mon copilote.

Maxence a un charme différent des jumeaux, il semble moins sauvage. Ses yeux noisette et ses cheveux chocolat lui donnent un air plus calme. Il est plus petit que les deux frères, mais semble plus baraqué. Il m'alloue un signe de la tête avant de reprendre sa conversation par téléphone.

— Edward est celui qui s'occupe des paris.

Ce dernier est assis sur une chaise pliante et ne lève même pas un sourcil pour me saluer. M'en tiendrait-il toujours rigueur pour le verre de vin sur sa chemise blanche lors des dix-huit ans de Mina ? Ses cheveux rouges, ses tatouages sur tout le corps et ses petits yeux noirs lui donnent un air de gangster assumé. Néanmoins, ce manque de considération s'ajoute à mon malaise. J'espère que ma présence ici ne parviendra pas aux oreilles de Mina. Mina... Comment vais-je me justifier ?

— Et enfin Xyu, qui s'occupe de la carrosserie.

Xyu lève les yeux vers moi. À cet instant, je comprends qu'il n'est pas du genre à plaisanter. Au vu de son physique et de sa couleur de peau, j'aurais plutôt penché pour une origine vietnamienne. Il est le seul que je n'avais pas eu l'occasion de voir au moins une fois.

— La course débute dans dix minutes, informe Maxence.

Une lumière s'allume dans mon cerveau en comprenant pourquoi on est là. Jacob va concourir. Ma respiration se bloque dans ma poitrine alors que la peur s'insinue dans chacune de mes cellules.

— Tu as intérêt à gagner, lui signifie Edward, les plus gros paris sont sur toi.

Jacob s'esclaffe.

— M'as-tu déjà vu perdre ? se vante-t-il.

Perturbée, je reste stoïque en tentant de comprendre ce qu'il se passe.

— Attends-moi là, ça ne sera pas long, me chuchote-t-il au creux de l'oreille.

Je suis tentée de me rebeller, mais ma raison me dicte de faire ce qu'il me demande pour partir d'ici le plus rapidement possible. Après tout, j'ai accepté de le suivre à travers les flammes de son enfer. Je m'assieds donc sur la chaise pliante qu'il me montre. Est-ce que simuler un malaise pourrait le contraindre à rester ici, avec moi ?

Jacob enfile ses gants en cuir, puis se glisse avec aisance derrière le volant. Je suis obligée d'avouer que cette vision déclenche en moi une vague d'excitation. Les fantasmes se mêlent à l'angoisse. J'imagine ses mains gantées parcourir mon corps nu. Ses dents mordiller mes tétons. Sa langue remonter ma cuisse. Jacob donne un coup d'accélérateur et le ronronnement de la voiture me fait sursauter. Tyler me jette un regard amusé. Honteuse d'avoir été surprise en train de baver, je rougis de plus belle.

Contre ma volonté, tout le monde se rapproche de la ligne de départ tandisque les cris se font de plus en plus fort pour encourager les coureurs. Un coupde feu lance le départ et les bolides s'élancent dans un bal dangereux. Laterre se soulève, les moteurs grondent, les hurlements couvrent la musique. Mapremière pensée est une prière. Si les rallyes légaux ne sont pas réputés pourêtre sans danger, que dire de ce genre d'évènement ? Les routes ne sont pas goudronnées, chaque virage est un tournantmortel. La faucheuse elle-même doit attendre le drame, l'instant où l'un d'euxfera l'inattention de trop.

Call Me MonsterOù les histoires vivent. Découvrez maintenant