Call Me Monster

Chapitre 73 - Rachele

Rachele

Les premières semaines après ma transformation ont été riches en émotions. Heureuse de découvrir mes capacités inexplorées, cela m'a permis de tenir un temps. Puis, rapidement, la vérité s'est imposée à moi une nouvelle fois. Les mois ont défilé sans que Jacob n'émette le moindre signe de vie ou de rétablissement. Après l'euphorie, la tristesse et l'attente ont vite repris le dessus. J'ai bien sûr continué à m'accrocher, à travailler, à élucider l'étrange monde dans lequel je suis entrée, mais en dépit de mes efforts, il a toujours manqué une saveur particulière à mes actions.

Je ne sais plus combien de fois je me suis assise sur cette chaise peu confortable dans cette chambre aux tons vert clair. Je ne sais plus combien d'heures j'ai passées à attendre qu'il se réveille. Je ne sais plus combien de larmes j'ai versées et combien de cauchemars se sont succédés. Je demande chaque jour à l'univers de m'accorder une dernière faveur, pourtant, j'ai conscience que j'ai déjà eu plus qu'à mon compte. Un fougueux espoir est né lorsqu'une de ses blessures a donné signe d'amélioration, mais ce fut de courte durée. Peu de temps après avoir cicatrisée, la plaie s'est rouverte comme si le poison agissait encore en dépit de tous nos efforts pour le guérir.

Je regarde une fois de plus son visage figé avant de prendre sa main glacée dans la mienne. Consciente qu'il ne m'entend probablement pas, je lui détaille une énième fois comment j'imagine notre futur. Je lui explique comment je visualise notre maison, notre vie de famille avec nos enfants, la façon dont je nous vois au travail, sans oublier la manière dont je nous vois faire l'amour sans limites. Ressentir ses caresses sur moi me manque à un point que je n'aurais jamais cru. J'ai été condamnée depuis le jour où j'ai posé les yeux sur lui pour la première fois. Mon âme lui a toujours appartenu tout comme mon corps. Lorsqu'il a pénétré dans mon existence, il s'est infiltré dans tous mes pores en scellant l'entrée de mon cœur à tous ceux qui tenteraient de le lui prendre.

— Serais-tu d'accord pour construire une famille avec moi, Jacob ?

Ma voix se brise tandis que mes mains et mes lèvres se mettent à trembler. J'essaie de rester forte, mais à l'évidence je ne le suis pas. La seule chose qui me permet de m'apaiser un peu est la mort de nos ennemis. Je n'ai jamais autant souhaité la souffrance d'une personne avant de croiser Richard Natan. Il faut croire que nous avons tous un démon en nous qui attend le moment propice pour se révéler. Durant des semaines, la disparition de celui qui devait s'élever au rang de dirigeant a enflammé la presse. Ces charognards n'ont pas hésité une seconde à se jeter sur cette info croustillante, sans pour autant arriver à le retrouver. Jacob avait tout prévu. Les garçons se sont arrangés pour couler ses restes dans un tombeau de béton, scellant son cercueil d'innombrables sorts d'emprise. Personne ne le retrouvera. Quant à son âme, jamais elle ne pourra revenir du néant.

Doucement, une petite main se pose sur mon épaule. Je n'ai pas entendu Mina entrer, bien trop concentrée dans mes réflexions.

— Tu devrais venir manger, me dit-elle d'une voix tendre.

— Je n'ai pas vraiment faim, je réponds.

Elle soupire.

— Rachele, il sera encore là lorsque tu reviendras. Sors de cette chambre et viens manger avec nous.

— Je t'assure que je n'ai pas d'appétit.

Face à mon entêtement, elle se place devant moi, me coupant ainsi la vue du lit mortuaire.

— Je comprends mieux que quiconque ce que tu ressens, mais je t'en prie ! Si tu n'es pas au travail, tu restes enfermée ici nuit et jour depuis que cette plaie s'est rouverte. Tu ne sors que pour le strict minimum vital ! C'est à peine si tu t'entraines à maitriser tes pouvoirs. Tu as besoin de prendre l'air, de voir autre chose, même si c'est pour une demi-heure. Viens avec nous, s'il te plait.

Je sais qu'elle a raison, pourtant, laisser Jacob me coûte énormément. J'ai conscience qu'il sera là quand je reviendrai, mais mon obsession me hante. Mina tend alors sa main vers moi. Hésitante, je regarde le visage de poupée de l'homme que j'aime, puis, après quelques secondes de réflexion, je la saisis. Au bout du compte, il est peut-être temps que je m'autorise des moments de pause après des mois à veiller sans relâche. En dépit de mon irrépressible envie de rester, je dois me faire violence pour suivre ma meilleure amie.

— On est tous là, Rachele. Je t'en prie, ne te laisse pas aller, ce n'est pas ce que mon frère aurait voulu.

À ces mots, les larmes coulent sur mes joues sans même que je puisse les contrôler. Ne pas savoir quand il émergera de son tourment est ce qu'il y a de plus difficile à supporter. L'espoir qui demeure est à la fois ce qui nous pousse à continuer et ce qui nous blesse. Sans parler des questions sur ce qu'il vit dans ce néant végétatif. Est-ce qu'il souffre ? Est-ce qu'il pense à nous ? Peut-il nous entendre ? Nous voir ? Mon esprit, chargé d'interrogations qui restent sans réponse, n'aide en rien à calmer l'obsession que je me fais de son réveil.

— Je sais.

Mina me serre plus fort avant de me relâcherpour me guider vers la salle à manger. Je jette un dernier coup d'œil à Jacob,mais comme à chaque fois, aucun mouvement. Je baisse le regard puis lâchel'encadrement de la porte pour suivre mon amie. Mon cœur se déchire sous lepoids de l'abandon, mais je m'oblige à continuer, à survivre, tout en suppliantune énième fois l'univers de me le rendre.