Chapitre 27 - Rachele

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Rachele

Les premières secondes, je ne relève pas les yeux. Cela dit, tous mes autres sens sont en alerte. Le trac de dernière minute enserre mon estomac avec des ronces. Mon pouls n'arrive plus à trouver une musique rythmée. Je me suis jetée moi-même dans la gueule du loup et ce n'est qu'une fois arrivée que je prends conscience de l'ampleur de mon acte. J'ai sciemment demandé à Jacob de m'emmener en Enfer. Mon comportement sans queue ni tête démontre encore une fois ce dilemme brûlant qui m'habite. Plonger tête la première sans savoir ce qui m'attend sous l'eau ou rester sur la rive. La musique résonne autour de la voiture. Du coin de l'œil, je discerne les flammes frémissantes d'un feu à l'intérieur d'un baril. À cet instant, je comprends la différence entre imaginer et vivre.

« Allez Rachele! Arrête de faire la mauviette! »

Pas le choix, je prends une grande respiration et lève les yeux en priant pour ne pas être la victime d'un rituel sataniste. Cette seconde où mon regard remonte, un soupir terrifié s'échappe de mes lèvres. Devant nous, des centaines de personnes se sont réunies autour de feux et d'un nombre incalculable de voitures de toutes sortes. Les tenues des femmes sont toutes très sexy alors qu'elles se pavanent comme pour concourir à miss je-suis-la-moins-habillée, pendant que les hommes se mesurent en faisant ronronner le moteur de leur bolide.

Lorsque je me rends compte de ce qui m'attend, ma crainte ne s'apaise pas, bien au contraire. Moi qui voulais découvrir où allait Jacob, me voilà servie devant un grand rassemblement pour des courses de voitures clandestines ! Je ne peux plus me voiler la face. J'aime un homme qui flirte sans cesse avec le danger.

Pauvre folle que je suis. À quoi m'attendais-je ? À ce qu'il devienne le parfait gendre ? À ce qu'il renie sa nature sombre ? Mais pourquoi mon cœur pleure-t-il lorsqu'il retire sa main ? Pourquoi une voix me murmure-t-elle que j'ai bien fait de venir pour éloigner toute concurrence ?

Jacob sort de la voiture. Non désireuse de me retrouver seule dans ce genre de réunion, j'en fais de même. À nouveau, le froid s'empare de mon corps. Cela dit, cette fois-ci, la colère ainsi que la peur m'aident à résister à la morsure frigorifique. Je ne pouvais pas dire que je n'étais pas prévenue, mais l'espoir est une bête complexe.

Comme si cela ne suffisait pas, pour rajouter à mon mal-être, une femme au fort parfum bon marché crie alors le nom de Jacob avant de lui sauter au cou en lui arrachant un baiser sauvage.

— Bonjour à toi aussi, Shanna, dit-il en la repoussant gentiment.

Je crois que c'est à cet instant que mon dernier câble de raison cède. Une rage indescriptible s'éveille en moi. Un feu ardent qui dévore tout sur son passage, une cascade d'acide qui va me faire plonger tête la première dans cette eau noire, peu importe ce que j'y trouverai. À cette seconde, la Rachele douce, gentille, agréable, toujours prête à s'effacer au besoin, n'existe plus. J'ai demandé à venir, j'ai insisté pour connaître la vérité. À présent, je dois imposer mon territoire, c'est comme ça que ça fonctionne.

Je la regarde en détail. Longue crinière blond platine, des seins énormes, une bouche rouge pulpeuse, un fessier à tomber par terre, de grandes jambes finissant par des pieds manucurés. Tout cela dans une combinaison moulante en latex noir. Poupée Barbie version sadomaso ! Je n'ai peut-être pas son corps, mais je ne risque pas de me retourner une fesse...

— C'est qui ? crache-t-elle en prenant conscience de ma présence.

Aussitôt, la lionne en moi rugit. C'est à moi qu'elle parle la blondasse siliconée ?

La réaction que j'ai alors face à son attaque choque tout le monde, moi la première. Je ne sais pas si c'est la frustration, la peur ou encore l'énervement, mais la femme refuse de se laisser marcher dessus par une poupée gonflable avec des trous aussi béants qu'une fosse. Sûre de moi, je m'approche de Jacob et la repousse en collant mon corps à lui. J'essaie de ne pas me laisser distraire par sa chaleur et son parfum masculin, mais c'est peine perdue. Mes seins contre son torse déclenchent un ouragan de désir encore plus alimenté par la rage qui bouillonne dans mes veines. Mais je ne m'arrête pas là. Hypnotisée par mes démons intérieurs, mes actions susurrées à l'oreille par les ténèbres, je passe une main derrière sa nuque et pose mes lèvres sur celles de Jacob. Ce baiser n'est pas doux, amoureux, il est possessif, sauvage. Je veux effacer la trace de cette groupie pour y apposer la mienne. Je veux que son cœur soit marqué du mien. Lui faire prendre conscience que je ne m'amuse pas. Mes paroles ne sont pas des mots lancés en l'air par pur désir sexuel, Jacob est à moi, il l'a toujours été. Notre attirance physique indiscutable n'est pas l'unique sentiment qui nous anime, sinon il aurait déjà été consommé. Mes lèvres exercent une danse affamée sur les siennes. Contre toute attente, il ne se dérobe pas à ma prise, mais attrape ma taille et soulève ma cuisse pour approfondir notre étreinte. Un léger gémissement de surprise m'échappe, mais je ne peux pas abandonner cette partie. J'ai de l'eau jusqu'au cou, si je le lâche maintenant, c'est la noyade assurée. Comme si ma vie en dépendait, mes doigts attrapent ses cheveux et je savoure son goût sucré. Mon cœur bat la chamade, mon bas-ventre est inondé d'excitation, mes seins sont dressés sous mon pull. Ma peau frémit à chaque passage de sa langue sur la mienne. Indécent, inapproprié, mais tellement exquis. Sa paume caresse ma fesse, ses dents mordillent ma lèvre inférieure pour me retourner sa possessivité. Il n'y a pas besoin de mots, comme à chaque fois, chacun comprend l'autre à travers ses gestes. Et je saisis que les miens ne resteront pas sans conséquences. J'ai définitivement ouvert la porte au chasseur.

Lorsque je me détache enfin, mon corps n'est plus qu'un brasier ardent et désordonné, mon cerveau peine à réfléchir. Jacob ne bouge pas et cherche mon regard alors que je fuis discrètement le sien. Shanna, quant à elle, me regarde avec des yeux ronds et la bouche ouverte en façon outrée avant de se reprendre. Je comprends, à cet instant, que je viens de faire une énorme bêtise. La haine qui émane d'elle est palpable. Sa fierté et son honneur sont touchés. Contrairement à elle, Jacob ne me repousse pas. Il attend que ce soit moi qui rompe le contact.

— Très bien, dit-elle finalement.

Face à sa défaite, elle lance un œil mauvais à Jacob et s'en va. Je ne peux expliquer pourquoi, mais je sais qu'elle ne s'arrêtera pas là. Elle a à peine réagi alors que je viens de l'humilier ? Soit elle prépare mon assassinat, soit je me suis totalement trompée sur le personnage, ce qui me semble peu probable. J'ai touché son estime, je vais devoir être vigilante. Mon but est de survivre à cette soirée, pas de me mettre tous les criminels des environs à dos.

Tandis qu'elle s'éloigne, je reprends ma place initiale, mais mon cavalier ne l'entend pas de cette oreille. Taquin, il se glisse derrière moi, écarte les cheveux de ma nuque et murmure à mon oreille :

— C'est très mignon ce que tu viens de faire, mais attention avec qui tu joues. Tu as de la chance d'être avec moi.

Cette phrase a l'air anodine, mais il n'en est rien. Mon regard passesur toutes les personnes présentes. Elles sont menaçantes, mais elles ne sontpas Jacob. Un tremblement parcourt mon corps en dressant le duvet de mes bras,mes lèvres frémissent. Elles ne sont pas les ténèbres. Celui que je viensd'embrasser avec ferveur n'est pas qu'un petit délinquant, pion du grandéchiquier de la criminalité. Non. Celui dont les doigts effleurent mon poulsest un maître, un fou ou un cavalier. Peut-être même le roi.

Call Me MonsterOù les histoires vivent. Découvrez maintenant