Chapitre 64 - Jacob (Une semaine plus tôt)

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Jacob - (une semaine plus tôt)

— Tu es sûre de toi ? me demande Samuel.

J'acquiesce en silence d'un mouvement de tête.

— Roman a appris de ses erreurs et Richard me guette dans l'ombre. Dans le meilleur des cas, je peux être plongé dans un état végétatif plusieurs dizaines d'années. Dans le pire, mon lien avec mon père peut me renvoyer dans l'enfer d'où je viens. J'ai besoin d'être certain qu'elles seront en sécurité.

— Perso, les elfes du chaos, je n'en entendu parler que dans les jeux vidéo.

Je m'esclaffe devant la remarque de mon acolyte. Les elfes noirs dans les fictions sont bien plus gentils qu'ils ne le sont dans la réalité. Néanmoins, je dois reconnaître que leur parole est d'or. Être bien vu de ces créatures est une tâche ardue, mais lorsqu'ils vous font pleinement confiance et vous considèrent comme un membre de leur tribu, vous avez tout gagné. Forgerons hors pair, ils sont également des guerriers hors du commun, sans parler de leurs différentes maitrises des savoirs. Leur mémoire infaillible leur permet de traverser les âges, en plus d'accumuler nombre de compétences. Morwën en est la preuve vivante. Cerise sur le gâteau, ils sont les seules créatures créées par le destin lui-même. Soldats de l'équilibre.

Leur chef, Advar Mynderilgol, vieux d'environ trois mille ans, possède des connaissances et des objets désirés par la plupart des êtres, aussi bien ténèbres que lumière. La première fois que je l'ai rencontré, Advar venait se présenter à moi par respect pour Dionyssan. Même s'ils ont leurs propres croyances, loin de notre guerre, le roi des elfes a toujours veillé à garder de bonnes relations avec chacun. Je dois dire qu'ils m'ont toujours fasciné. L'un d'eux est d'ailleurs à l'origine de la lame démoniaque qui orne ma ceinture. Même sans les sortilèges qui l'entourent, son tranchant est tel qu'il suffirait amplement pour détruire mes ennemis.

Loin du monde dans lequel nous avons l'habitude d'évoluer, nous progressons dans un château de pierres noires, construit au sommet d'une montagne sur l'île des damnés. Ce bout de terre, réputé introuvable, perdu au milieu du triangle des Bermudes, permet aux elfes de vivre comme bon leur semble.

Alors que nous débouchons sur la salle du trône, Samuel écarquille les yeux sous la beauté de ce qu'il aperçoit. Je dois dire que ce peuple a toujours fait les choses de façon grandiose. Les murs de pierre noire sont agrémentés de plantes vertes grimpantes aux fruits de toutes les couleurs qui diffusent des senteurs sucrées et juteuses. Le plafond haut de plusieurs mètres est envoûté par une magie permettant d'observer les constellations. Des luminaires de toutes parts égayent la pièce sans parler des créatures à l'apparence parfaite qui l'habitent. En face de nous, un trône fait d'écorce incrusté de runes se dresse avec, en son sein, un homme. Sa peau lisse et grise tranche avec ses longs cheveux noirs et ses yeux rouges à la pupille dorée. Grand et élancé, l'elfe est vêtu d'un interminable habit sombre, simple qui met en valeur sa silhouette rapide et agile. Pour clore ce spectacle envoûtant, une fine couronne en argent décorée de pierres précieuses repose sur sa tête.

En nous voyant arriver, Advar se lève. Mutuellement, nous nous inclinons avec dignité. Nous ne sommes pas du même monde, mais le respect est partagé et apprécié.

— Quelle surprise de te voir fouler le sol de mon royaume, Jacob Natan ! Il y a longtemps que tu n'es pas venu me rendre visite.

— Et j'en suis le premier navré. C'est pourquoi je viens réparer mon erreur.

Le regard du roi passe de moi à Samuel qui, impressionné, détaille chaque créature de la pièce comme une œuvre d'art.

— Il ne me semble pas connaître l'humain qui t'accompagne.

— Samuel Kang, mon allié le plus fidèle.

Advar s'approche de Samuel d'une démarche fantomatique. La respiration de mon ami s'accélère sous la pression. Je savais qu'en emmenant le garçon aux mèches bleues avec moi, l'elfe noir serait méfiant. Néanmoins, ma confiance en Samuel balaye l'inquiétude d'un possible rejet d'Advar. La main grise aux longs ongles pointus attrape le menton de l'humain alors que ses pupilles aux éclats d'or sondent son for intérieur.

— Garde cet homme près de toi, Jacob Natan. C'est une âme comme il y en a peu. Il t'aidera dans un combat proche.

Le roi relâche avec douceur Samuel qui, rassuré du verdict, s'incline une nouvelle fois devant l'elfe.

— Ta visite m'octroie un plaisir certain, mon ami. Néanmoins, je décèle que tu n'es pas là seulement pour ma bonne compagnie, me lance-t-il alors en braquant ses yeux de sang sur moi.

— En effet, je réponds. Je suis venu parce que j'ai besoin de ton aide.

Un sourire fier s'affiche sur le visage d'Advar.

— Nombre de créatures seraient ravies de venir en aide à l'incube préféré de Dionyssan. Si tu viens me trouver, c'est que ce service demande des forces plus puissantes que ce qu'un démon peut t'offrir.

— Je ne le nie pas.

Le roi retourne s'assoir sur son trône d'une démarche agile, puis pose un grand doigt fin sur son menton.

— Alors, dis-moi. En quoi puis-je t'être utile ? Selon ta requête, je réfléchirai à l'éventualité.

— Tu sais comme moi ce qui approche. Cet affrontement risque de mêler des forces puissantes et de chambouler un équilibre déjà fragile. Je ne te demande pas de m'annoncer le vainqueur ni de m'avantager. Je ne suis pas assez fou pour oser un tel affront, mais nous connaissons tous les deux les dangers que j'encoure. J'aimerais qu'en cas de défaite, ou si mes blessures m'empêchent de me relever, que tu veilles sur deux personnes qui me sont chères.

Je n'ai pas besoin d'énoncer les noms. J'autorise le roi des elfes à visualiser les visages des deux jeunes femmes.

— L'une de ces deux âmes pourrait ne pas vivre assez longtemps pour te voir renaître, seigneur des ténèbres, murmure-t-il en devinant le fond de mes pensées.

— Certains rituels peuvent lui permettre.

— Est-elle d'accord avec cette décision ?

— Je ne sais pas, avoué-je.

Advar semble partagé. Les minutes de réflexion qui s'écoulent refroidissent l'air en dépit des torches au feu elfique. Puis, les yeux du roi viennent lentement se greffer aux miens.

— J'accepte de veiller sur ces personnes. En ce qui concerne la jeune humaine, je ne peux rien te promettre. Seule sa volonté pourra décider de la suite des évènements.

Reconnaissant, je pose un genou à terre pour lui montrer toute ma gratitude. Grâce à cet accord, je peux partir en guerre l'esprit tranquille. Je sais qu'Advar Mynderilgol tiendra parole et que, même s'il venait à trépasser, ses fils prendraient soin de deux femmes comme si l'engagement de leur père avait été le leur.

Call Me MonsterOù les histoires vivent. Découvrez maintenant