Chapitre 5 - Rachele

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Rachele

En sortant des bouches souterraines, je suis dans un état d'énervement conséquent. Je ne sais pas pourquoi les dieux me punissent, mais mon erreur doit être impardonnable ! La tâche d'arabica sur mon tee-shirt blanc colle de façon désagréable à ma peau brûlée. La prochaine fois qu'un homme prend le métro avec son café, je change de wagon. Il a suffi d'un brusque coup de frein pour que la boisson se renverse sur la personne qui était assise en face de lui : moi.

Exaspérée, je continue de pester en arrivant devant le grand bâtiment aux pierres beige et à la toiture gris foncé. J'entre avec précipitation, puis cours jusqu'aux vestiaires. Par chance, mon uniforme m'attend. Faire un second aller-retour pour changer mes vêtements m'aurait sans doute mise en retard pour les visites. Or, avec tout ce qui me tombe dessus, je ne veux pas avoir à supporter les remarques piquantes de ma supérieure. Je vais déjà avoir à faire à un idiot, évitons-nous un dragon en plus !

La poitrine à vif, je pénètre dans les toilettes en enlevant tant bien que mal mon sac en bandoulière et mon tee-shirt. Je m'empresse ensuite de passer un peu d'eau fraîche sur ma peau meurtrie pour apaiser la brûlure et examiner les dégâts. La douleur persistera durant plusieurs jours le temps de la cicatrisation bien que ça ne soit pas très grave. Devant mon reflet, un soupir de frustration m'échappe. Ajouter à cet accident les nœuds musculaires et l'angoisse de revoir Jacob ce soir, cette journée s'annonce épique.

Une fois l'irritation diminuée, je termine de m'habiller en nouant le petit nœud en soie autour de mon cou. La robe turquoise aux manches mi-longues et au textile léger est beaucoup moins désagréable sur mon épiderme abîmé. J'enfile ensuite mes chaussures noires à petits talons avant de rejoindre ma place derrière le comptoir de la réception. Aussitôt, ma collègue écarquille les yeux.

— Toi, tu as mal dormi ! s'exclame-t-elle.

Je me serais bien passée de cette réflexion, mais j'affiche tout de même un sourire forcé sur mon visage. Sophie a été embauchée quelques mois avant moi et gère l'accueil du musée, ainsi que les visites côté égyptologie. J'avoue être passionnée par les momies, les tablettes gravées de hiéroglyphes et les histoires autour des dieux, toutefois, elle en sait beaucoup plus que moi. Outre ses connaissances, c'est aussi une femme assez belle, brune aux yeux bleus, un mètre soixante-cinq, toujours tirée à quatre épingles. Elle pourrait facilement jouer dans « Une Nuit au Musée » avec ses longs cils et sa bouche en cœur.

— Un imbécile a renversé son café sur moi.

Sa bouche forme un « o » choqué.

— Et vu ton état, je suppose qu'il n'a pas proposé de payer le détachant ?

— Si au moins il s'était excusé...

— Quel gougeât ! s'écrie-t-elle. Les hommes d'aujourd'hui sont tellement mal élevés !

Je ne peux m'empêcher de rire intérieurement face à sa remarque. Depuis son divorce, Sophie a perdu foi en l'être humain, surtout dans la gent masculine. Elle se méfie énormément d'eux, surtout des mots qu'ils prononcent. Elle les considère plutôt comme des donneurs d'orgasmes que comme des relations sérieuses. Néanmoins, elle ne se prive pas pour reluquer le moindre joli garçon et rêver devant sa liseuse.

— J'ose espérer qu'ils ne sont pas tous pareils.

Sophie me glisse un regard navré sous-entendant mon innocence.

— Désolée, je ne crois que ce que je vois, renchérit-elle.

Quelque part, j'ai de la peine pour mon amie. Elle fait semblant d'aller bien, mais sa séparation l'a affectée bien plus qu'elle ne veut l'avouer. Même si l'amour peut être donné de mille et une façons, il y a certaines choses qui ne peuvent être substituées. Avec ses enfants et ses proches, Sophie n'est pas en reste, pourtant, je suis convaincue que ça ne remplace pas une main tendre, un baiser amoureux ni même une soirée romantique.

Notre conversation s'achève avec l'arrivée des visiteurs. Sophie prend le premier groupe de la journée et entame le rappel des règles de bienséance. On a beau être au vingt-et-unième siècle, certains se permettent encore de coller des chewing-gums sous les tables, d'aller au-delà des périmètres de sécurité et de mettre leurs doigts sales sur les vitres et objets. Il faut croire que l'évolution n'a pas touché tout le monde.

Tandis que je m'assois à la place de Sophie pour vérifier le planning, je sens mon téléphone s'agiter dans ma poche. Avec discrétion, cachée derrière le comptoir, je le sors pour lire le texto. J'ai l'impression d'être une lycéenne rebelle, mais mon rendez-vous de ce soir fait naître un tel tumulte en moi. La moindre vibration de mon portable peut me libérer ou m'enchaîner un peu plus. Comment l'ignorer ?

« J'ai hâte de te revoir après tant de temps. Il paraît que tu es devenue encore plus belle qu'avant.»

Je n'ai pas fini la phrase que mon souffle devient court et qu'un frisson d'angoisse parcourt ma nuque. Jacob. Pires que des chaînes, ces mots m'indiquent que celui qui jouait avec mes hormones n'a pas changé. Séducteur, vicieux, dangereux. Malgré moi, des images de nos brefs échanges s'imposent à mon esprit. Son corps à quelques centimètres du mien, sa main contre le mur derrière moi, ses doigts cajoleurs le long de ma carotide. Quelle idiote ! L'univers a tenté de m'avertir, mais j'ai fait la sourde oreille. Dire que mon ego n'est pas flatté serait mentir. Mais autant que ces mots m'excitent, ils m'effraient. Dès l'instant où Mina m'a proposé ce plan, j'ai su que c'était une erreur. À présent, il est trop tard pour faire demi-tour, c'est une voie à sens unique. Je n'ai plus qu'à prier pour que mon amie trouve une solution. Vite.

Loin de me laisser impressionner, je serre les dents et lui réponds les mains moites :

« Un bonjour aurait suffi, mais je te remercie du compliment. Tu préfères les sushis au thon ou au saumon? »

Est-ce que je m'inquiète vraiment de ses goûts? Clairement pas. Mon message veut plutôt dire : «Pas plus loin, mon lapin». Néanmoins, j'ai conscience que si je veux éviter d'utiliser le spray au poivre caché sous mon oreiller, il va falloir que je m'entende avec mon nouveau colocataire. Être sur les nerfs ne m'aidera pas à faire face à la situation. Quant à l'hystérie, elle n'a jamais aidé personne. Il faut que j'aie les idées claires pour anticiper ses attaques.

«J'hésite entre être vexé parce que tu ne t'en souviens pas ou touché parce que tu demandes.»

«D'accord, je prendrai les deux. Merci de ta réponse. A +»

Oui, ma réplique n'a rien à voir avec la sienne, mais si je ne pose pas les limites maintenant, Jacob s'engouffrera dans la première brèche à sa portée. Les souvenirs de ses regards embrasés ont déjà laissé une marque indélébile dans mon âme. Cette colocation sera ma perte si je cède à cette attirance malsaine.

Lassée et déstabilisée par son comportementtaquin, je range mon téléphone dans ma poche avant de plaquer un faux sourire surmon visage pour accueillir les nouveaux visiteurs. Soyons positive

Call Me MonsterOù les histoires vivent. Découvrez maintenant