Chapitre 2 - Rachele

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Rachele

— Voici une représentation 3D d'une ségestrie florentine. Comme on peut le voir, cette magnifique araignée possède des reflets vert métallique sur les paturons de ses chélicères, dis-je en désignant l'animal du doigt. On la trouve surtout en Europe. Sa taille est assez immense pour ce type d'espèce. Les femelles peuvent atteindre vingt-deux millimètres tandis que les mâles tournent plus autour de quinze.

Après une longue journée à arpenter le musée, je termine ma visite dans la salle que j'affectionne le plus, celle des arachnides. Ces petites bêtes, souvent effrayantes, sont pourtant d'une réelle beauté lorsqu'on y regarde de plus près. Et c'est ça que j'aime dans mon métier : observer le regard intéressé et étonné de mes visiteurs pendant que je les instruis sur chaque exposition. Mon métier me permet de transmettre mon savoir avec fierté, de changer les mentalités et les regards. Je pense nécessaire de sensibiliser les populations sur le monde qui les entoure. La peur est souvent fondée sur l'imagination bien plus que sur les faits eux-mêmes.

Mon discours achevé, je raccompagne mon groupe jusqu'à la sortie en n'oubliant pas de passer par la boutique souvenir. Rares sont les personnes qui repartent d'une visite sans un petit quelque chose. On est tous accros aux peluches et aux stylos. Quant aux fonds récoltés, ils sont nécessaires si l'on veut pouvoir continuer notre travail. On peut nous reprocher de vendre des babioles hors de prix et même de faire de l'argent sur le dos des visiteurs, mais la vérité est qu'il est coûteux d'entretenir les dizaines de salles qui composent notre patrimoine. Sans compter les salaires des différents intervenants.

Épuisée, je prends la direction du vestiaire pour me changer. La tenue professionnelle que je porte est très confortable, cela dit, je préfère mon pull bien chaud et mes bottes à cette robe verte peu propice au temps actuel. Sans parler des talons noirs qui, même s'ils ne sont pas très grands, sont assez contraignants à porter toute une journée. Une fois mes vêtements normaux enfilés, je prends mon sac, ma veste en cuir et sors du bâtiment. Le gardien de nuit étant déjà présent, je n'ai donc pas besoin de fermer derrière moi. Cela m'arrange, je n'ai pas envie de m'attarder sous cette pluie infernale. Déjà que je vais devoir marcher jusqu'au métro ! Mon appartement n'étant qu'à trois stations de mon travail, je n'ai pas l'utilité de prendre ma voiture. L'essence coûte cher, les bouchons incarnent l'enfer sur Terre. Toutefois, je regrette de ne pas avoir une protection et un siège bien douillet en ces temps orageux.

Tandis que je dévale les marches du bâtiment, j'accélère le pas afin de ne pas finir frigorifiée. La dernière chose que je souhaite c'est mourir d'une pneumonie à cause d'habits trempés. Tout à coup, je sursaute en sentant une main se poser violemment sur mon épaule. Un cri strident m'échappe alors que je fais volte-face pour d'identifier mon agresseur. De longs cheveux marron ondulés, un visage fin, de grands yeux bruns :

— Mina ? Mais que fais-tu là ?! Tu m'as fait une de ces peurs ! je m'exclame.

Au premier coup d'œil, en dépit des battements effrénés de mon cœur effrayé, je comprends qu'il est arrivé quelque chose. Sa présence n'est pas un hasard. Encore moins une visite de courtoisie. Elle semble préoccupée et regarde partout autour d'elle comme pour être sûre que personne ne nous entend. Ses yeux sont rougis, son visage trahit ses pleurs.

— Rachele, il faut que je te parle.

Sur ces paroles peu rassurantes, elle me fait signe de la suivre discrètement puis m'emmène un peu plus loin dans un café calme pour discuter. L'inquiétude déforme mes traits. Mina n'est pas du genre à pleurer ni à avoir peur sans raison. Si elle est dans cet état, c'est que le problème est loin d'être négligeable. Installées au fond dans un coin chaud à l'abri des regards, elle nous commande deux thés blancs et deux parts de gâteau matcha d'une voix nasillarde. Qu'a-t-il bien pu se passer ? Richard aurait-il un lien avec son état ? Cet homme n'est père que de sang, mais n'a jamais vraiment pris soin de ses enfants. Pire encore, du temps où je venais rendre visite à Mina, je le voyais régulièrement violenter son fils.

— Je t'avoue que tu me fais un peu peur, dis-je les sourcils froncés d'inquiétude.

À nouveau, elle regarde tout autour de nous. Piquée par sa paranoïa, je vérifie à mon tour les environs en essayant de comprendre ce qui peut la rendre si fébrile. A-t-elle été violentée par quelqu'un ? A-t-elle contracté une dette ? Est-elle en danger à cause des activités illégales de son frère ? Plus les secondes s'écoulent, plus mon angoisse augmente. Ma respiration est rapide, mon pouls démesuré, je ne cesse de gigoter les jambes.

« Ce n'est pas comme si quelqu'un était mort », me dis-je pour me rassurer.

Après avoir sillonné une énième fois les alentours des yeux, Mina finit par se concentrer sur moi. Elle inspire une grande bouffée d'air pour se donner de l'assurance puis prononce des mots qui me font l'effet d'une bombe.

— Mon frère est sorti de prison.

Call Me MonsterOù les histoires vivent. Découvrez maintenant