Chapitre 9.1 - Rachele

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La force mentale qu'il me faut pour arriver à faire bouger mes jambes est telle que je dois faire plusieurs essais avant d'obtenir une réponse de mon corps. Avec précipitation, je descends dans la bouche de métro et suis machinalement mon trajet habituel jusqu'au quai. Sans faire attention, je pousse les passants qui me barrent le chemin en déclenchant des réactions de mécontentement sur mon passage.

Je m'en moque.

Je n'ai qu'une idée en tête : rentrer, prendre une douche et tenter d'oublier cette macabre découverte. L'image du corps déchiqueté fait écho au cauchemar que j'ai fait cette nuit sous stupéfiants. Mon épiderme se souvient encore des caresses illusoires du démon imaginaire.

J'arrive de justesse avant la fermeture des portes et me glisse dans le métro bondé. Mon sentiment d'urgence est accentué lorsque je m'aperçois que je suis la seule femme à bord du wagon. Étrangement, ce n'est pas la peur d'être agressée sexuellement que je ressens en premier, mais celle de savoir qu'un meurtrier capable du pire se promène dans la ville. La paranoïa s'installant petit à petit, je me dis qu'il se trouve peut-être dans ce train, repérant dès à présent sa prochaine victime. Un frisson glacé remonte le long de ma colonne vertébrale rien que de l'imaginer ici. Mon cœur tambourine dans mes tempes en entraînant un mal de tête conséquent. Il faut vraiment que je respire avant de sombrer dans la panique, mais ma peur est instinctive. Apercevoir ces horreurs à la télé est une chose, les avoir à quelques mètres de vous en est une autre.

Lorsque le métro s'arrête à ma station, j'appuie de façon frénétique sur le bouton d'ouverture des portes. Les passagers à côté de moi me regardent d'un air incrédule, mais je fais semblant de ne pas les voir. Je veux juste avoir accès à l'air libre.

À peine l'obstacle écarté, je me précipite dehors. Le besoin d'oxygène étreint de plus en plus ma poitrine et je commence à suffoquer. Je suis clairement en train de faire une crise de panique. Rendue maladroite par ma réaction disproportionnée, je manque de tomber plusieurs fois dans les escaliers en voulant atteindre au plus vite la sortie. Une fois à l'extérieur, je ne tiens plus et m'arrête sur le trottoir devant la gare. Si j'ai réussi à me contenir jusque-là, une soudaine nausée me prend au dépourvu, anéantissant mes efforts pour me calmer. Ma respiration est beaucoup trop rapide, ma gorge me brûle à cause de la bile. Certains passants me regardent étrangement, mais aucun ne prend la peine de venir à mon secours.

Vive la solidarité.

Épuisée, je m'assieds à même le sol sale et froid. Le vent s'infiltre sous ma robe et glace chacune de mes cellules. Je tremble comme une feuille. Je ne sais plus où je suis ni ce que j'étais censé faire. Je ne sais même pas combien de temps je reste ainsi, à tenter de recouvrer mes esprits pendant que les minutes défilent sans logique. Mon cerveau ne répond plus à rien. Je revois sans cesse des images du corps mutilé en m'imaginant à sa place.

Pourquoi cette réaction si vive ? Un seul souvenir peut-il me mettre dans cet état ? C'est ridicule !

Consciente de l'absurdité de la situation, je tente de me relever, mais flageolante, incapable de tenir sur mes jambes, je retombe au sol. Sans douceur, mes genoux heurtent le béton, le sang quitte mon visage, mes mains s'engourdissent, des larmes se mettent à dévaler mes joues. Je connais ces sensations, je les ai déjà vécues. Pourtant, leur violence est toujours aussi incontrôlable. L'angoisse qui me noue les tripes empoisonne tout mon être. Je dois trouver quelque chose auquel me raccrocher si je veux sortir de ce tourbillon infernal.

Au même moment, une voiture de sport noire arrive à vive allure et s'arrête brusquement devant moi dans un crissement de pneus. La seconde d'après, une fine silhouette sort du bolide et accourt en criant. Lorsque je comprends qu'il s'agit de Mina, une vague de questions idiotes me traverse l'esprit. Que fait-elle là ? Pourquoi crie-t-elle ? Sa voix raisonne dans ma tête douloureuse si bien que je n'arrive pas à lui répondre. Elle ne m'en laisse pas le temps. Ses paroles sont un flot incompréhensible. Elle parle si vite que mon cerveau n'arrive pas à donner le moindre sens à ses mots. Inquiète, elle me secoue, puis se retourne vers la voiture en appelant à l'aide. Pourquoi panique-t-elle comme ça ? Le conducteur sort alors à son tour du véhicule et mon cœur rate un battement.

Jacob.

Aussitôt, mes yeux se raccrochent à cet ange démoniaque, celui que j'ai tant redouté de revoir. Fidèle à mon souvenir, les rumeurs sur sa beauté ne lui rendent pas hommage. Devenu homme, il a troqué ses sweats d'adolescent contre un costume noir sur mesure. Quant à sa chemise légèrement entrouverte, elle suggère les pensées les plus perverses. À ses poignets, des bracelets en argent et des bagues au style épuré finissent de compléter sa tenue. Comme à l'époque où je l'ai rencontré, son aura écrase celle de toutes les autres personnes présentes. Ses iris hypnotiques captent l'attention, évaluent leur environnement. Comme toutes les fois où son corps a frôlé le mien, son regard est celui d'un prédateur. On pourrait le confondre avec une divinité tant il resplendit.

Devant mon silence, Mina me secoue à nouveau, mais je ne lui réponds toujours pas. Envoûtée par le ténébreux Jacob Natan, je m'accroche à lui sans même penser aux conséquences. Dans ce monde froid et terrifiant, c'est lui que mon esprit a choisi comme rocher. Pas Mina, pas cette vieille femme qui me regarde d'un air inquiet. Non. Lui. À l'instar d'un démon qui s'empare de mon âme, celui qui m'effrayait il y a encore quelques minutes devient le centre de mon monde. Il n'y a aucune logique à cela, mais c'est bien la définition des émotions que me fait ressentir cet homme.

Qui d'autre que le diable peut vous mettre en transe à ce point ? 

Call Me MonsterOù les histoires vivent. Découvrez maintenant