Call Me Monster

Chapitre 17 - Rachele

Rachele

Réveillée en sursaut, je me redresse avec vivacité en regardant partout autour de moi. Mon cœur palpite, ma respiration est chamboulée. Il fait nuit, mais la lueur de la Lune éclaire mon salon. Je remarque alors Jacob, toujours vêtu de sa veste en cuir, au sol. Une de ses paumes tient sa tête, l'autre tente d'arrêter le saignement de son nez. Il semble souffrir le martyre. Aussitôt, l'inquiétude remplace l'hébétude et la colère. Sans poser de question, j'attrape la boîte de mouchoirs et me précipite pour l'aider.

⸻ Jacob ? Est-ce que ça va ?! Qu'est-ce qui t'est arrivé ?

Lui toujours si fier semble totalement décontenancé. Mon cœur se serre alors qu'il tente de se remettre debout.

⸻ Est-ce que tu t'es battu ? Tu as pris de la drogue ?

Consciente de sa faiblesse, je l'aide à s'asseoir sur le canapé. Petit à petit mon inquiétude se transforme en angoisse face à son silence.

⸻ Jacob ! Je ne joue pas là ! Si c'est une de tes blagues pourries, ce n'est pas drôle ! Dis-moi ce qui se passe !

Il ricane devant mon énervement, enlève le mouchoir et renifle.

⸻ Tu es touchante quand tu es inquiète, se moque-t-il.

Sa suffisance finit de me faire péter les plombs. J'ai ruminé toute la journée son comportement du matin et j'ai dû manger deux mousses au chocolat ce midi pour tenter de m'apaiser. Ce qui n'a pas eu l'effet escompté ! Une puissante décharge de rage me fait perdre le contrôle sur mes émotions. Sans même réfléchir à qui j'ai en face de moi, je l'attrape par le col. La peur me murmure que je ne devrais pas faire ça, mais ma fureur et mon exaspération la font taire.

⸻ Écoute moi bien Jacob Natan. Tu te crois chez ton pote ? J'ai promis à Mina de te remettre sur le droit chemin et tu te comportes comme le pire des idiots ?! C'est ça la vie que tu veux mener ? Tout ce que tu vas gagner c'est de finir dans la tombe plus tôt que prévu ou de briser le cœur de ta sœur ! Quand tu es parti en prison, je l'ai ramassée à la petite cuillère ! Est-ce que tu as une seule idée de ce qu'elle a traversé ?! Quand est-ce que tu vas te reprendre ?!

L'éclat sauvage qui traverse ses pupilles m'alerte que j'ai dépassé la ligne rouge, mais je n'ai pas le temps de réagir. Vif, il me fait tomber sur le canapé et recouvre mon corps du sien, un genou entre mes jambes pour m'empêcher de m'enfuir. À l'instar d'un serpent, sa main vient s'enrouler autour de mon cou pour me forcer à le regarder. Sa bouche n'est qu'à quelques centimètres de la mienne. Ces paroles sont semblables à une roulette russe.

⸻ Si tu étais mon pote, tu serais déjà morte.

Le ton doux et mielleux qu'il emploie amplifie la peur de sa menace. Je ne doute pas que si un autre que moi avait osé lever la main sur lui, il ne serait déjà plus de ce monde. Pourtant, ses doigts restent doux sur ma peau. J'ai souffert avec ma meilleure amie de son emprisonnement. Je l'ai vu pleurer, cauchemarder. J'ai moi-même rejeté les souvenirs et le vide. J'ai compris que j'avais sous-estimé mon attachement à cet homme lorsque son manque m'a explosé à la figure. La preuve, il y a encore quelques minutes, je rêvais de ses mains sur moi. Je ne l'accepte pas, mais mon cœur palpite lorsqu'il est près de moi. Cela dit, ma colère ne peut pas être annihilée aussi facilement.

⸻ Alors je suis quoi ? je réponds piquante. Ton jouet favori ? Une pute parmi tant d'autres ? La seule chose qui t'empêche de me faire du mal, c'est que je sois l'amie de ta sœur ?

Je ne sais pas ce que j'attends de cette question, mais mon estomac se contracte déjà de sa réponse.

⸻ Arrête de parler de Mina, grogne-t-il. Ne cache pas ton attirance malsaine pour moi derrière votre amitié. Tu dissimules ta vraie question derrière celles qui te font peur.

Je dois faire un effort surhumain pour ne pas craquer, mais je ravale mes larmes.

⸻ Tu serres les dents, tu retiens tes larmes, tes sous-vêtements sont trempés. Tu veux vraiment savoir ce que tu es pour moi, Rachele ? Je doute qu'une de mes réponses te convienne.

⸻ Sors de chez moi.

C'est ma dernière carte. Je refuse qu'il soit témoin de mon mal-être. Je refuse d'abdiquer. Je ne sais pas moi-même ce que je veux être pour lui. Il y a deux jours, je refusais même de le voir. Mais je comprends que ce rejet total venait d'une peur plus profonde : celle de me rendre compte que la seule chose qui nous lie, c'est Mina. Le voir m'a forcé à avouer que cinq ans et quelques relations futiles n'ont jamais soigné mon cœur de ce poison qu'est Jacob. À croire que son antidote, c'est la mort elle-même. Le diable s'est infiltré dans mes veines et il fait souffrir mon cœur à chaque battement. Si je veux éviter de me perdre encore une fois, je dois l'éloigner. Je veux qu'il parte avant que la folie ne m'enivre. Je ne dois pas craquer face à ce démon qui se nourrira de mes larmes. C'est impensable.

⸻ Ce n'est pas ce que tu veux, murmure-t-il à mon oreille.

Je préfère souffrir d'une absence, m'imaginer une vie qui me convient, plutôt que de maudire une présence qui me rappelle combien je suis faible.

⸻ Dégage de cet appartement. Je ne peux pas te sauver de toi-même et je refuse d'être un dommage collatéral.

Un ricanement désabusé s'échappe de ses lèvres.

⸻ Bien mademoiselle.

Sans faire d'histoire, il se lève. Sa chaleur qui me quitte est un énième coup de poignard dans ma poitrine et j'essuie rapidement une larme traîtresse qui dévale ma joue. N'ayant pas la force de me lever complètement, je me redresse sur le canapé, la tête embrumée par toutes les émotions qui me tiraillent. Alors que sa silhouette commence à disparaître, je l'entends me répondre :

⸻ Je te laisse décider ce dont tu souffriras le plus : remords ou regrets ?

Il n'a pas besoin d'utiliser la violence physique, ses mots sont faits de ronces empoisonnées. Cette dernière phrase finit de m'achever et le barrage de mes larmes cède à son attaque.