Rachele
Mon cerveau n'a pas le temps de percuter que mon cœur rate un battement. Sans voix, je reste coite quelques secondes. Stressée, déboussolée, je m'apprête à tourner sa demande en dérision, mais je me rends vite compte de son sérieux. Aussitôt, mon cerveau se ferme à toute discussion. Il est hors de question que j'héberge cet homme chez moi. Jacob est dangereux en plus d'être un vrai poison pour ma santé mentale déjà bien dégradée. Autant que je mette une bombe directement dans mon appartement. Sans parler du défilé de femmes que je risque de subir. Je refuse de me retrouver entourée de ses étranges fréquentations. Jacob lui-même refusera catégoriquement cette idée. J'aime mon amie comme une sœur, mais elle me demande la seule chose que je ne peux pas me résoudre à accepter.
— Non. C'est impossible. Je ne peux pas prendre ton frère chez moi.
Ses larmes menacent à nouveau, ses lèvres tremblent, sa voix se brise.
— Je t'en prie Rachele. Il n'y a personne d'autre en qui je peux avoir confiance ! Je refuse qu'il reste dans la rue, ou pire, qu'il trouve refuge chez ses « amis ». Je sais que Jacob a des secrets, je sais qu'il peut être très dur à vivre, mais je t'en prie Rachele ! C'est seulement pour un temps. Je te promets de tout faire pour trouver une solution le plus rapidement possible.
Je la regarde ne sachant comment réagir. Je ne peux décemment pas laisser mon amie ainsi, mais si jamais j'accepte de partager mon toit avec Jacob, je m'expose à une situation plutôt critique. Suis-je prête à me sacrifier ? J'ai toujours catégorisé cet homme comme un fantasme intouchable et non fréquentable, l'héberger serait de la folie pure et dure. Qui sait ce qu'il risque de m'arriver en vivant avec lui ? Je suis passionnée de criminologie, j'écris des histoires avec des sociopathes, j'ai conscience de leur imprévisibilité.
— Il n'a pas d'économies ? je demande.
Elle secoue négativement la tête. Plus les secondes défilent, plus je sens l'étau se refermer autour de moi. Je ne peux faire ça. Je ne dois pas faire ça.
— Mon père les lui a prises et refuse de les lui rendre. Il veut qu'il paie pour la honte qu'il a infligée à notre famille.
Voir Mina ainsi me déchire le cœur. Nous avons vécu tellement de choses ensemble. Si je refuse, je prends le risque qu'elle l'interprète comme une trahison de ma part. Ce qui serait tout aussi horrible que de loger son diabolique frangin. Si les rôles étaient inversés, elle n'aurait pas hésité une seconde à me répondre un grand oui. Entre raison et amitié, cerveau et cœur. Je mets de longues minutes à réfléchir tandis qu'elle me fixe en tripotant ses doigts. Elle attend ma réponse avec inquiétude. Pire, je vois dans ses yeux la même terreur qui m'habite. Puis-je sauver Jacob ? Si je décide de céder, ça me coûtera cher sans aucun doute, mais ai-je le choix ? Ma respiration s'accélère, mon pouls cogne dans mes tempes. Je suis apeurée du simple fait de l'imaginer dans mon salon, comment vais-je pouvoir survivre à cette cohabitation forcée ? Pourtant, devant ses suppliques déchirantes, j'ai conscience de n'avoir d'autre choix que d'accepter. Alors, la gorge nouée, le front humide, j'acquiesce.
— D'accord.
Son regard de chien battu s'agrandit sous la stupeur et la joie.
— C'est vrai, tu acceptes ?
À contrecœur, je confirme d'un mouvement de tête. Soulagée, Mina saute sur ses pieds et me serre fort dans ses bras jusqu'à rendre ma respiration encore plus difficile qu'elle ne l'est. Je m'en veux de penser cela, mais tous mes espoirs pour fuir cette situation reposent à présent sur le refus de Jacob. Je vais devoir implorer suffisamment fort pour que le ciel m'épargne. Pourtant, mon instinct me dit que toutes les prières du monde ne serviront à rien. J'ai scellé mon destin. J'ai invité le loup dans la bergerie. Jacob Natan n'est pas un homme, mais un démon qui avale les âmes sans pitié et je viens de lui livrer la mienne.
Rassurée, mon amie me relâche pour essuyer ses joues puis jette un coup d'œil à sa montre connectée.
— Zut ! Le chauffeur doit déjà m'attendre.
Elle se penche et dépose un baiser sur ma pommette.
— Je suis désolée de filer comme ça, mais j'ai écoulé tout mon temps de liberté. Garde ton téléphone près de toi, je te tiens au courant, déclare-t-elle la voix plus légère.
Sur ces mots, elle s'évapore en me faisant un dernier signe amical de la main.
Je prends ma tête dans mes paumes en soupirant de frustration. Malgré l'odeur agréable de thé qui flotte autour de moi, la tension contracte tous mes muscles.
Qu'ai-je fait ? Je regrette avant même d'être confrontée aux conséquences.
Épuisée par cette histoire qui n'a décidément aucun sens, je laisse un pourboire au serveur, puis sors à mon tour du café. Cette journée épuisante se termine sur une note noire. Ma meilleure amie vient de me demander d'héberger son criminel de frère pour une durée indéterminée. Comme une idiote, j'ai accepté en dépit du mauvais sentiment qui ronge ma poitrine. Moi et ma maudite habitude de faire passer les autres avant mon propre bien ! Cet homme que rien n'effraie et qui passe son temps à jouer avec les gens autour de lui va envahir mon espace vital. Si seulement ce n'était que ça...
Comment vais-je faire pour ne pas sombrer dans la folie ?
L'envie de rentrer au plus vite et de poser mes sentiments sur le papier se fait alors ressentir. Mais comme si ce rendez-vous improvisé ne suffisait pas, la pluie s'intensifie.
— Ça ne pouvait pas être pire, hein ?
Un rire amer s'échappe de ma bouche avant d'être remplacé par un soupir de désespoir. Qu'ai-je fait de si terrible pour me retrouver dans cette situation ? Je suis pourtant le genre de personne à respecter son prochain, à être présente pour aider et j'en passe. Peut-être mon erreur se situe-t-elle dans une vie antérieure ? À deux doigts de la crise de nerfs, je chasse tant bien que mal les dernières heures de mon esprit avant de me mettre à courir jusqu'au métro. C'est le genre de journée où rester au lit n'aurait pas été une mauvaise idée.
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Call Me Monster
KorkuATTENTION ! Cette histoire contient du sexe et de la violence ! Âmes sensibles s'abstenir :) TOUS DROITS RÉSERVÉS. Cette histoire est soumise à un contrat et n'est en aucun cas libre de droit. La plagier est pénalement répréhensible. Le cerveau hu...