Chapitre 1.1 - Jacob

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— Bonjour, Jacob, me salue-t-il d'une voix bien trop douce.

— Richard, je réponds sur le même ton.

Je ne lui prête pas plus attention et regarde par-delà son épaule pour essayer d'apercevoir ma sœur. En me voyant ainsi, impatient, mon père m'offre un sourire sadique. Aussitôt, mon alarme intérieure s'enclenche. A-t-il vraiment pu lui faire du mal comme je le craignais ? Il me déteste, mais irait-il jusqu'à vendre sa propre fille pour tenter de m'anéantir ? J'ai toujours tout fait pour la protéger de ce milieu infernal en espérant qu'elle ne finisse pas comme tant de jeunes filles de son âge qui supplient pour qu'on abrège leurs souffrances. Si la mafia est un enfer difficile pour les hommes, il est invivable pour les femmes. Violées, frappées, torturées, exposées aux yeux de tous comme des animaux de foire. Les marchés aux esclaves sont bien le dernier endroit où j'aimerais qu'elle se trouve. Cependant, je connais Richard et ses ennemis. Mina est belle et riche, en plus d'être la fille d'un grand mafieux. Le profil parfait d'une victime qui rapporte gros. Sans compter sur les nombreux disciples de Reian qui rêvent de nous briser.

Alors que la peur et la rage s'instillent dans mes veines, la porte de la Maserati noire s'ouvre. Ma sœur saute hors de l'habitacle et se précipite dans mes bras. Son parfum de vanille m'enivre et calme instantanément mes craintes.

— Jacob, tu m'as tant manqué ! s'exclame-t-elle en pleurant.

Je la serre contre moi en respirant l'odeur de ses cheveux ondulés. Comme il est bon de la voir saine et sauve après tant de jours, de mois, d'années loin d'elle. Mina est tout le contraire de moi. C'est une jeune fille brillante capable de s'offrir un avenir radieux. Si je devais me sacrifier pour la protéger et lui permettre d'aller loin, je n'aurais aucun mal à le faire pourvu qu'elle garde sa joie de vivre et son innocence. C'est bien l'une des seules choses romanesques dont mon espèce est capable. Mourir pour un sang partagé.

— Je t'ai manqué à ce point ? dis-je sur le ton de la moquerie.

Elle fronce ses sourcils et pointe son index vers moi la mine renfrognée.

— Je te préviens Jacob, tu ne me refais plus jamais ça ou je te tue ! s'écrie-t-elle.

Je m'apprête à lui répondre que je n'ai pas eu le choix, mais je retiens cette remarque. Lui dire que j'ai échappé de peu à la mort pourrait gâcher nos retrouvailles. Ma sortie n'est due qu'à ma capacité à trouver les failles d'un système, mais elle n'a pas besoin de le savoir. Elle est saine et sauve, c'est tout ce qui m'importe.

— J'ai tellement de choses à te raconter ! Il s'est passé tant de choses durant les cinq dernières années !

Son regard marron est empli de joie et de frénésie alors qu'elle tente de me résumer les évènements les plus importants qui se sont passés en mon absence. Mariage, naissance, rupture, box-office, musique, j'en passe. Puis tout en continuant de parler, elle me tire par le bras jusqu'à la voiture avant d'être soudainement stoppée en chemin par Richard.

— Qui y a-t-il ? demande-t-elle, une mine incrédule sur le visage.

— Jacob n'est plus le bienvenu dans notre maison, déclare-t-il.

Mettre son propre fils à la rue sans un tremblement de voix après l'avoir abandonné aux mains des disciples ennemis, Richard Natan m'étonnera toujours. J'ai pensé qu'avec le temps il s'était peut-être assagi, mais, tout comme moi, il reste un monstre dénué de sentiment. C'est d'ailleurs bien lui qui a fait de moi ce que je suis aujourd'hui.

— De quoi parlez-vous enfin ? Père, c'est votre fils ! s'égosille Mina.

Il lui fait les gros yeux, mais loin d'être impressionnée, elle lui rend son regard.

— Ta mère et moi en avons décidé ainsi. Jacob devra se débrouiller seul à partir de maintenant. Il est adulte, c'est à lui de faire sa vie, continue-t-il.

La joie quitte les joues de Mina pour venir se poser avec ironie sur le visage de Richard. Quoi de moins logique ? S'il aime tout autant que moi torturer, son plaisir est plus sournois. La torture psychologique est pour lui bien plus jouissive que la torture physique. Voir ainsi le désespoir se peindre sur les traits de sa fille doit lui provoquer un bienfait des plus agréables. De mon côté, je joue sur les deux tableaux, j'aime varier les joies.

Mina tente une nouvelle fois de plaider ma cause, mais je l'en empêche. Ma sœur ne doit pas souffrir de mes erreurs de jugement. Avoir un toit sous lequel m'abriter n'est pas la priorité du moment qu'elle n'affronte pas Richard pour moi. Si elle venait à me défendre, il la ferait souffrir plus que de mérite. Je ne pourrai pas le tolérer, surtout pas pour moi. Triste, elle me regarde avec tendresse, les yeux pleins de larmes, puis secoue la tête sans un mot.

— Ne t'inquiète pas, Mina, je peux me débrouiller seul. Père n'a pas tort.

Le goût amer de mes derniers mots me reste en bouche. Richard me lance un regard moqueur, satisfait d'avoir gagné cette bataille. Néanmoins, gagner une bataille ne signifie pas gagner la guerre. Ma sœur tente une énième fois de m'empêcher de partir. Je la prends alors dans mes bras prétextant un au revoir tandis que je lui chuchote à l'oreille de surveiller son téléphone. Elle sait que je ne la laisserai pas. Je suis le seul sur qui elle peut compter et malgré son air innocent, cette petite est parfaitement consciente du monde dans lequel elle évolue. Je l'enserre encore quelques secondes, puis elle se détache et repart s'asseoir dans la voiture en pleurs. Mon géniteur se retourne vers moi tandis qu'elle ferme la porte.

— J'allais oublier, reprend-il, ta mère te passe le bonjour.

Il émet un rire gras et entre à son tour dans la voiture. Si un jour j'ai aimé ma mère, aujourd'hui, elle n'est plus qu'une pauvre femme soumise aux caprices de son mari. Elle exécute tous ses ordres de peur d'être abandonnée. Vendue à l'âge de onze ans, elle a longtemps été violentée avant que Richard ne l'épouse.

Pourquoi une prostituée ? Parce que les démons aiment posséder.

Il est bien plus aisé de rendre dépendante une personne déjà détruite. Ma mère a vu en lui un prince bien qu'il n'hésite pas à la prêter à ses plus proches amis afin qu'elle leur montre ses talents. Je me souviendrais toute ma vie de cette fois où j'ai gravement désobéi. Je n'avais que neuf ans et pourtant, ce qui me sert de père m'a forcé à regarder ma mère avec trois hommes. Le choc qui m'a saisi lorsque je l'ai vu mettre tout son cœur à l'ouvrage afin de rendre son mari fier d'elle a achevé le peu de relation et d'amour que je lui portais. Depuis ce jour, je n'ai plus regardé cette femme de la même façon. Aujourd'hui encore, il suffit que je croise ces fameux hommes pour que la scène se rejoue sans cesse dans mon esprit. Elle n'a même pas eu pitié de son propre enfant ce jour-là. Elle n'a pas pris ma défense et a même encouragé mon père en lui expliquant que cela m'apprendrait les bonnes choses.

Perdu dans ces souvenirs houleux, j'entends soudain le ronronnement du moteur qui me ramène sur terre. Sentant le regard de ma sœur sur moi, je relève les yeux juste à temps pour voir la voiture démarrer en trombe. 

Call Me MonsterOù les histoires vivent. Découvrez maintenant