Chapitre 9 -Rachele

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Rachele

Je chois sur le banc des vestiaires, à bout de force. Les dernières heures ont été épuisantes. J'ai mal aux pieds, ma tête me lance. Le message de Jacob ce matin m'a hantée toute la journée et je redoute la confrontation avec son auteur. Je ne peux m'empêcher de me questionner sur le sens de son geste. À l'époque, il aimait me taquiner, me terroriser. Combien de fois ai-je reçu un message du grand méchant loup me demandant de jouer avec lui ? Mais aujourd'hui nous ne sommes plus des enfants.

En enlevant mes chaussures, la fête qu'il a organisée un an avant son arrestation me revient en mémoire. J'avais dix-sept ans, mais je m'en souviens comme si c'était hier. Cette nuit-là a été l'une des plus terrifiantes que j'ai pu vivre. Outre l'instant de honte qui m'a parfois hanté, j'ai fait un bad trip qui m'a terrorisée au point de ne plus pouvoir dormir correctement pendant plusieurs jours. Je sursautais à chaque courant d'air. Je criais à la vue de chaque insecte. Mais surtout, à chaque fois que je croisais Jacob, je voyais son visage blanchir, ses yeux rougir. Je ne sais pas quel type de drogue j'ai ingéré cette nuit-là, mais j'ai appris que laisser son verre sans surveillance était une grave erreur, surtout dans ce genre de soirée. Pas besoin d'un exposé pour savoir ce qui tournait pendant que nous dansions. Quand on y repense, Jacob et moi c'est une vieille histoire. Je nous ai parfois comparés à Tom et Jerry. Si loin et pourtant si proches.

D'autres souvenirs m'assaillent sans prévenir comme ma première fois chez Mina où je me suis retrouvée par inadvertance dans la chambre de son frère. J'avais pu expérimenter toute la définition du mot séducteur. Prise au piège, j'avais malgré moi reluqué ses abdos alors qu'il sortait de la douche. Je me souviens encore de ses mots : « Toi, tu aimes le chocolat ». Trop abasourdie, je n'avais pas compris tout de suite le double sens de ses paroles. Il y a aussi ce jour où je l'avais vu se battre devant notre lycée. Il avait mis K.O son adversaire en quelques secondes. Le pauvre bougre n'était plus jamais retourné en cours après ça. Jacob n'était pas le genre à se casser les phalanges sans raison, mais lorsqu'il utilisait ses poings, il devenait terrifiant. En plus d'être sportif, il maîtrisait bon nombre d'arts martiaux, ce qui le rendait particulièrement féroce. D'après Mina, c'était la seule chose qui parvenait à le canaliser. Il n'était pas impulsif, mais caractériel. Si on s'en tient à son message de ce matin, je doute qu'il ait changé.

Jouer avec Jacob Natan revient à jouer avec le feu et dans le pire des cas mourir sous ses assauts. Je ne veux pas lui donner l'opportunité de m'atteindre et je prie pour que cette situation dure le moins possible. Soyons honnêtes, cet homme m'a toujours fascinée. Il y a cinq ans en arrière, j'aurais été stressée de l'accueillir chez moi, mais je n'aurais pas eu peur comme maintenant. Si à l'époque je savais à quoi m'en tenir, aujourd'hui, je ne sais pas qui je vais héberger. Malgré ce qu'il était, je n'aurais jamais pensé qu'il prendrait cinq ans de prison pour une agression aussi violente. Les hommes qu'il a battus ont frôlé la mort. Tout ça pour quoi ? Un mot de travers et quelques billets. Jacob a toujours été un homme sombre entouré de mystères. Si mon innocence adolescente romantisait ce prince des ténèbres, aujourd'hui je m'inquiète des problèmes qu'il risque de m'apporter. Même si disons-le, il ne lui suffirait de pas grand-chose pour m'envoûter de nouveau. C'est toute la dualité de ma relation avec lui. Un aller-retour entre le chaud et le froid qui fait frémir mes hormones et trembler mon cœur.

Consciente que l'heure tourne, je jette un œil à l'horloge. Il commence à être tard. Je dois encore passer chercher les plateaux que j'ai commandés.

Avant de partir, je passe une dernière fois devant mon tableau préféré, situé non loin de l'entrée. Il représente un lion au sommet d'une falaise, fier devant le soleil levant. Il m'inspire beaucoup dans ma vie de tous les jours. Je vais devoir être comme ce lion : assez fort pour ne pas flancher face aux épreuves qui m'attendent. Je ne peux pas remonter le temps et j'ai fait un choix. Je dois être courageuse pour mon amie, elle qui m'est si souvent venue en aide dans les périodes sombres que j'ai vécues.

À nouveau, je suis la dernière à sortir. J'ai fui mes collègues toute la journée et j'apprécie ce moment de solitude sans chercher à cacher mes émotions toutes aussi contradictoires les unes que les autres. Je sors en robe malgré le froid extérieur, mes habits normaux étant couverts de café. Néanmoins, à cet instant, je me fiche bien de ce à quoi je ressemble. Je détache mon chignon et enfile ma veste. Au moins, cela me protégera quelque peu du vent mordant.

Je marche tel un automate jusqu'au métro, perdue dans mes pensées. Je ne fais pas attention aux gens qui gravitent autour de moi, tout me semble loin, aussi irréel qu'inintéressant. J'ai l'impression que mon esprit se cache dans un endroit sombre, en refusant de m'avouer l'horrible vérité. Je vais certainement souffrir de bien des manières, mais surtout, j'ai peur de ne pas être de taille à lutter contre lui. Je n'arrête pas de me répéter qu'il n'est absolument pas quelqu'un de bien, mais outre l'appréhension qui pique mon estomac, un autre genre de papillons se mêle à la danse. Le fait que je sois si retournée ne vient pas seulement du fait que cet homme a failli en tuer d'autres, mais bien parce que malgré son acte, une partie de moi crie sa joie de le revoir. J'ai peur que cette partie malsaine de moi-même gagne en puissance, qu'elle prenne le pas sur ma raison et qu'elle dépasse les limites que je me suis fixées.

Soudain, des cris et des hurlements me ramènent à la réalité. Je lève la tête en sursautant, cherchant d'où peut bien venir cette agitation. Je découvre alors avec horreur la scène qui se joue à seulement quelques pas, dans une des rues longeant l'entrée du métro. Une immense foule est rassemblée près d'une façade d'immeuble. La police sécurise le périmètre tandis que des dizaines de CRS couvrent la zone. Des parents tentent de cacher les yeux de leurs enfants alors que d'autres regardent le spectacle avec effroi. Je ne sais dire laquelle des deux scènes est la plus morbide, les passants qui s'arrêtent pour contempler le massacre, ou bien le cadavre dépecé accrocher au mur. Pas besoin d'être devin pour savoir que l'homme a dû terriblement souffrir. La liste des sévices qui lui ont été infligés dépasse l'entendement, sans compter ceux que l'on ne peut voir à l'œil nu. Son sexe et ses testicules ont été sectionnés, sa peau lentement arrachée, ses yeux crevés. Quelle pulsion peut pousser un humain à en écharper un autre de cette façon ? La vengeance ? La colère ? La folie ? Un mélange des trois ? Devant l'horreur volontairement exposée, je reste choquée, sans pouvoir bouger. Les battements de mon cœur résonnent dans mes tempes, cognent contre ma poitrine. Des gouttes de sueur perlent sur mon front alors que mon estomac tente de renvoyer le peu de nourriture que j'ai réussi à avaler dans la journée. Il faut que je rentre chez moi. Je ne peux pas rester ici dans cet état. Je suis au bord du malaise. 

Call Me MonsterOù les histoires vivent. Découvrez maintenant