Chapitre 3

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Laura s'était réveillée dans les environs de dix heures dans la chambre du petit motel dans lequel elle avait été contrainte de se réfugier. Elle avait eu du mal à fermer l'œil. Une fois les détails de sa contrariété de la veille dissipés par sa mémoire sélective, Laura s'était enfin permise de s'inquiéter pour sa meilleure amie. Alyson avait bien des défauts, tel que sa non-ponctualité énervante ou alors, sa manie à avoir des fixettes sur certains sujets au point d'en devenir totalement obsédée. Mais bien qu'elles eussent souvent dû gérer leurs personnalités aux penchants dramatiques, jamais elles ne s'étaient jugées ou laissées tomber. De ce fait, qu'Alyson l'ait laissé en plan était loin d'adhérer à ses habitudes et n'était clairement pas normal. En revanche, il s'agissait d'un mystère que Laura allait devoir résoudre plus tard, car les prochaines heures s'avéraient chargées. Sa présence dans la petite bourgade n'avait rien d'anodine. C'était à cet endroit que se trouvait l'Université de Kincardine ainsi que le campus où elle passerait la prochaine année. Celui dans lequel elle allait devoir apprendre à vivre par ses propres moyens en tant que jeune adulte. C'était une première. Surtout en ce qui concernait de diviser son espace de vie avec une autre personne tous les jours. Le dortoir allait devoir être partagé avec une autre étudiante sans possibilité d'un quelconque répit, ce qui la changeait de l'énorme marge d'intimité que lui louait sa grand-mère.

Laura avait toujours vécu dans la sécurité et dans un environnement où, ni même la vieille dame aux cheveux blancs dont ils restaient encore quelques mèches fauves, ne daignait la déranger. Son habitude de gambiller, chanter et danser dans le havre de paix que représentait sa chambre sans les regards indiscrets autour avait sûrement contribué à sa phobie des gens. Il n'y avait pas que depuis la veille que Laura essayait de se convaincre qu'échanger de manière plus fréquente avec un autre être humain pouvait s'avérer thérapeutique. Pas seulement pour apaiser les angoisses qui lui tordaient le ventre avant qu'elle ne sombre dans ses songes la nuit, comme si un grand chêne orné de toutes ses phobies persistait à pousser dans son abdomen. Mais également dans l'espoir de rencontrer des gens qui lui feraient voir la vie sous un tout nouvel angle. Pour elle, cette éventualité était loin d'être réalisable dans le présent. Surtout si elle persistait à laisser sa timidité l'emporter, son besoin de solitude la gagner et le besoin incessant de se prouver indépendante. Elle avait toujours rêvé de s'enfuir, de partir de son repère et d'affronter sa propre destinée, même si l'idée était terrifiante. Elle voulait des couleurs, des sons, des voix et des mélodies que son cerveau prendrait des jours à traiter afin d'y donner un sens. Elle voulait du neuf, que son quotidien brille de choses fraîches et originales.

À treize heures, Laura sortit enfin de la chambre qu'on lui avait attribuée après avoir commandé un taxi. Si elle avait su, elle aurait probablement dormi sous un banc, dehors. Le plancher craquait, les draps du lit lui avaient piqué la peau des jambes toute la nuit, et cerise sur le gâteau, la télévision ne fonctionnait pas. De toute manière, elle savait que jamais elle ne l'aurait ouverte. Sûrement par crainte de tomber sur un film pour adultes, comme ça lui était arrivé quand elle était petite. Comme souvent, sa peur de déranger lui avait dicté de s'y faire plutôt que d'aller s'en plaindre à la ou les personnes responsables, surtout aux petites heures du matin. Cette paranoïa la bouffait de l'intérieur.

Tout comme la veille, le propriétaire portait un peignoir bleu-cyan souillé d'éclaboussures orange s'apparentant à de la sauce tomate. En fait, Laura était certaine qu'il s'agissait bel et bien de cette substance, car le cinquantenaire mangeait un bol de pâtes sans se douter du fait qu'il en mettait partout à chaque bouchée qu'il ingurgitait.

— Merci ! clama l'homme en postillonnant et en récupérant la clé de la chambre dans laquelle Laura avait dormi. Passez une bonne journée !

Laura lui adressa un sourire forcé avant de quitter les lieux, heureuse de constater que son taxi était déjà arrivé et stationné devant l'entrée du motel. Dehors, Laura replaça sa frange d'un geste brusque de la main ; le vent s'était levé. C'était une chose à laquelle elle était habituée après avoir vécu à la campagne si longtemps. Les rafales d'air frais étaient pour elle quelque chose de rassurant. C'était peut-être la grande nuance entre la campagne et la banlieue qui la rendait si nerveuse, après tout ? Entre les champs de blé et les vaches, les rues agitées et les commerces achalandés, il y avait clairement un travail d'adaptation à faire.

L'Alpha - Volume 1 : Le Clan O'ConnellOù les histoires vivent. Découvrez maintenant