Chapitre 68

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Brendon ne donna plus de nouvelles.

Bien que cette situation eût arrangé Lily au moment où Mitch et lui l'avaient reconduit sur le campus sans même lui dire au revoir, trois jours auparavant. Là, ça commençait à être inquiétant. Ce fut pour cette raison que ce soir-là, elle se trouvait sur le balcon de chez sa mère, téléphone portable contre l'oreille duquel elle n'entendait que les sonneries entre lesquelles de longs silences lui indiquait que le blond ne répondait pas... et qu'il ne répondrait pas.

Lily jura une centième fois en raccrochant, persistant à se convaincre que l'éloignement de Brendon était entièrement sa faute et que plus jamais il lui serait donné de lui parler sans que tout parte en vrille.

Lorsque vint le temps de retourner à l'intérieur, elle tourna le dos au jardin, et en voulant attraper la poignée, elle tomba face à face avec Cathy qui l'attendait avec impatience comme à chaque fois qu'elle s'éclipsait pour téléphoner. Elle avait dû l'avoir fait une demi-douzaine de fois, ce soir-là.

— Allez. Rentre mon pou, fit Lily en entraînant sa petite sœur dans la maison. Tu vas attraper froid.

Cathy retira ses bottes à la hâte.

— Papa et maman ont fermé les lumières ! Ça veut dire que le gâteau arrive ! hurla-t-elle de joie avant de traverser le couloir en courant.

Lily soupira en accrochant son manteau au tableau de crochets qui jonchait contre le mur du hall. Cela venait de lui rappeler une fois encore que Brendon avait omis de lui souhaiter un joyeux anniversaire. L'unique personne qui avait daigné lui écrire un mot, c'était Lucas. Néanmoins, il y avait James, son père, qui s'était appliqué à concocter un souper délicieux auquel elle n'avait pas voulu toucher. Il y avait aussi le gâteau orné de fleurs en sucre-glace que Louise avait commandé dans une pâtisserie du centre-ville.

Morose, Lily rejoignit la salle à manger avec une boule dans son estomac qu'elle ne sentait plus vide.

Pas vide du tout, ça, c'est sûr.

— Attendez-moi là ! indiqua Louise alors que ses deux filles s'asseyaient côte à côte.

Celle-ci accourra à la cuisine, donc dans la pièce d'à côté. Leur père, qui n'avait pas bougé de la table, sortit son smartphone. Il pointa la caméra en direction de Lily dont l'air renfrogné ne semblait pas vouloir s'illuminer et ce, depuis le début de la veillée, et vers Cathy qui sautillait avec entrain sur sa chaise. Sans plus attendre, James attira l'attention de sa fille aînée :

— Psst.

Lily leva les yeux du napperon jaune qui accueillait son assiette vide et qui n'attendait plus que sa part de gâteau.

— Souris un peu, ajouta-t-il avec de lui faire un clin-d'œil.

Elle leva les yeux au ciel, bougonne, ce qui le fit soupirer. Louise revint avec le gâteau dans les mains, brisant le malaise. Les flammèches et les chants de bonne fête ne tardèrent pas à arriver, rendant Lily très mal à l'aise. Cathy, se retrouvant face à l'énorme gâteau au chocolat, ne pouvait que sourire.

— Bonne fête Lily et Cathy ! chanta Louise avant de se mettre à les applaudir.

James répéta son geste d'une seule main puisqu'il tenait son téléphone de l'autre. Impatiente, Cathy enlaça le bras de sa grande sœur et elle marmonna :

— Un, deux, trois !

Elle souffla sur les bougies du gâteau avant de s'étonner de constater que Lily ne l'avait pas suivie.

— Lily ! geint la petite fille alors que la fumée du feu éteint envahissait la pièce. Tu devais souffler et faire un vœu avec moi !

Au même moment, Louise se pencha pour retirer les bougies avant que leur cire ne coule sur le glaçage.

— Ce n'est pas grave, ma chérie ! la rassura sa mère. Profite de ton vœu, d'accord ?

Ce fut plus ou moins convaincue que Cathy haussa les épaules. Sa mère lui embrassa le front avant de lancer un regard contrarié en direction de la plus vieille. Lily se contenta de l'ignorer comme elle ignorait bien des choses, aussi essentielles qu'elles soient.

Louise coupa quatre parts de gâteau dans ses assiettes en porcelaine blanche qu'elle ne sortait que lors de grandes occasions et reprit place sur sa chaise près de son mari. Tout le monde se ruèrent sur leur part et Lily resta immobile en continuant d'observer les roses en sucre rouge. Et alors qu'elle pensait enfin avoir la paix durant le dessert, la fourchette garnie de chocolat de Cathy passa tout près de son visage et la petite lui badigeonna le bout du nez avant de mettre à ricaner.

— Merde, Cathy ! s'époumonna-t-elle avant de s'essuyer avec sa serviette, de la rouler en boule et de la balancer au milieu de la table. Arrête avec tes enfantillages, ce n'est vraiment pas drôle !

La petite fille perdit son sourire et se cala dans sa chaise, le regard désormais attristé.

— Franchement, Lily ! s'exclama Louise, hors d'elle. C'est bon, là ? Tu es fière de toi ? Si tu passes une mauvaise journée et que tu n'es pas capable de te t'abstenir, tu n'as qu'à monter dans ta chambre ou partir !

— Non, je ne passe pas du tout une bonne journée ! rouspéta Lily d'une voix grinçante.

— Ce n'est pas une raison de gâcher celle de ta sœur !

La brune s'adossa dans sa chaise sans dire un mot, contrairement aux attentes de Louise qui persistait à la réprimander du regard. Lily tourna la tête vers sa gauche et au moment où elle allait grommeler des excuses à sa petite sœur, elle sembla oublier comment articuler. Cathy la fixait en silence avec de grands yeux ronds, l'interloquant. Là, Lily ne savait plus quoi faire ni quoi dire. À cet instant précis, ce fut comme si une crevasse se refermait sur les deux sœurs en un si petit espace. Pourtant, une lueur d'espoir semblait toujours illuminer les yeux de Cathy. Du moins, ce fut tout ce que pouvait percevoir Lily dans cet endroit si sombre. Une étincelle, peut-être ? Lorsqu'elle mit toute son attention dans les prunelles claires de la gamine, elle se raidit.

Ses yeux semblaient parler.

Ses yeux parlent.

Ils me parlent et me disent :

« Tu as perdu toutes tes valeurs. Tu les as laissé tomber dans la crevasse que tu as excavée de tes propres mains jour après jour.

Tu es centrée sur toi-même.

Tu ne crois plus en rien.

Tu ne crois même plus en toi. »

La vision de Lily devint trouble ; les larmes montaient. Elles se mirent à dévaler ses joues qui, jadis, une année auparavant, étaient rondes et roses. Elle renifla et alors que sa mère allait intervenir et insister pour qu'elle lui demande pardon, la brune se leva précipitamment de sa chaise, mais ne s'en alla pas. Elle contempla le gâteau au centre de la table à manger et frotta son nez qui coulait malgré elle. Elle se pencha et trempa son index dans le glaçage qui recouvrait le gâteau et se tourna vers Cathy avant de lui étendre sur le nez à son tour. Amusée, la petite fille rit et reprit son geste et elles se retrouvèrent toutes les deux hilares en se lançant du gâteau l'une sur l'autre. Elles attaquèrent même leurs parents – qui n'avaient pas osés intervenir jusque-là – de pâtisseries en s'esclaffant.

— Du calme les filles, voyons ! ricana James, comblé de voir que Lily fournissait enfin un effort. Le gâteau doit être mangé, pas lancé par terre !

Les deux sœurs retrouvèrent leurs places en échangeant un regard complice. De son côté, Cathy se remit à dévorer son assiette tandis que Lily chipotait en tentant de garder son visage coincé sur ce sourire qu'elle n'avait daigné afficher depuis longtemps. Ce mélange de pleurs et de rires dont elle avait aussi eu besoin depuis longtemps. Elle se serait menti en se disant que la mélancolie de ce moment ne laisserait pas de traces, mais elle essayerait d'apprendre à les aimer.

L'Alpha - Volume 1 : Le Clan O'ConnellOù les histoires vivent. Découvrez maintenant