3.
Haru et Matthew sont hilarants.
Ils s'intègrent à la classe comme s'ils en avaient toujours fait partie et, très vite, sont devenus la nouvelle cible des profs les plus lourds, ces derniers leur réclamant toujours un silence vain. J'ai appris que Haru avait quitté la Corée du Sud à trois ans pour rejoindre la Californie avec sa sœur et ses parents, où Matthew avait débarqué quelques mois plus tard. Leurs pères bossent dans la même boîte et ont été mutés en même temps ici, en Floride, ce qui explique leur arrivée à la Allison Academy en plein milieu de cursus.
Je ne vais pas dire que j'ai dû mal à me rapprocher d'eux, je dirais même qu'ils apprécient ma présence autant que j'apprécie la leur, mais il y a un truc qui me turlupine.
Haru fait le pitre et lâche bombe sur bombe avec les autres, mais devant moi il n'arrive pas à aligner trois mots sans s'emmêler les pinceaux. Je vois qu'il essaye pourtant, comme si ce soudain manque d'éloquence le perturbait autant que moi. Mercredi, je me suis même surpris à m'observer devant le miroir des toilettes, en me demandant s'il n'y avait pas la trace d'un troisième œil quelque part sur mon front, et qu'il ne sort de sa tanière que pour croiser le regard de Haru.
Puis, j'ai pensé que je l'avais vexé le premier jour, en me tordant de rire quand il m'a parlé de ses haricots mutants. Du coup, je suis allé le voir pour lui présenter mes excuses et lui assurer que je ne m'étais absolument pas foutu de lui. Il m'a regardé, m'a souri pour me rassurer et a levé la main comme pour signifier que ce n'était rien du tout :
— Tas de souris !
Il s'est enfui, je crois qu'il a voulu dire : « Pas de soucis » et que sa langue a fourché.
Le premier week-end, mes amis songent déjà à des sorties à la plage et à quelques tournées fast-food. Ils pensent déjà au break, alors qu'on termine à peine notre semaine. L'idée me fait rire mais honnêtement, vu toutes les responsabilités qui nous attendent cette année, on n'en sortira pas tous vivants.
Je passe mon tour ce samedi. La rentrée m'a toujours assommé, mais aussi, cette année je me sens moins ouvert aux sorties en groupe. Ce n'est plus comme avant. Je passe. Je passe encore. Et je passe. Alors je reste dans ma chambre jusqu'aux coups de dix heures, à flemmarder. Quand je descends les escaliers, ma mère lit dans le salon et mon père suit une émission de cuisine à la télévision. Nous discutons un peu, de broutilles, des actualités, de ce qui passe à la télé au moment même où nous n'avons plus de fil conducteur. Je sais que j'ai la conversation facile, et je sais surtout que si je l'ai, c'est parce que je n'aime pas les vides.
Lorsque je me sers un bol de céréales dans la cuisine, par réflexe je sors mon portable et me balade sur Instagram. La story de Ioane retranscrit de manière très fidèle la virée de la moitié de la classe à Haulover Beach, où évidemment, tout le monde les prend pour des touristes.
Ioane voit que je suis connecté et je suppose que malgré la bonne ambiance, il s'ennuie un peu. Il m'envoie rapidement un message :
Ioane à 10h32 :
Tu te reposes ?
Moi à 10h32 :
Yep, les retombées de la rentrée
Ioane sait que malgré les apparences, j'ai besoin de plus de temps pour me recharger.
Il me surprend avec un appel vidéo auquel je réponds presque par réflexe. Ma mère passe la tête dans le chambranle, me faisant un clin d'œil et lui envoie un bonjour en avance.
Le visage de Ioane apparaît en gros plan sans prévenir, j'ai vue sur son nez et j'ai l'impression d'être face à un poisson.
— Recule le vieux, je l'embête en mâchant mes céréales.
Il obtempère mais ses paupières se plissent à cause de la luminosité. Nous avons le même âge, c'est juste que ses manières me font penser à ces protagonistes de téléfilms des années quatre-vingt-dix.
— Tiens mon portable, je vais chercher mes lunettes, dit-il à quelqu'un à côté de lui.
J'entends un « Hein ? » perdu et pendant quelques secondes, je n'ai vue que sur le ciel bleu qui se dégrade dans la mer. Ensuite, l'écran pivote et je tombe sur un visage humide d'eau salé, devinant des clavicules nues à la limite de mon portable, des cheveux noirs trempés et des yeux aussi plissés que l'étaient ceux de Ioane. Je crois que la personne ne me voit pas non plus, elle se rapproche et j'ai un spectacle similaire : un nez en premier plan cette fois agrémenté de crème solaire.
— C'est qui ? ronchonne la voix.
Je souris, amusé.
— Salut Haru.
Le portable de Ioane tombe par terre.
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Oops, my bad
Teen FictionÀ la Allison Academy, un établissement scolaire de North Miami Beach où se mêlent les cultures des quatre coins du monde, Reino se prépare à vivre sa dernière année comme toutes les précédentes. Mais ça, c'était sans compter l'arrivée d'un nouveau d...