Chapitre 12

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« En prévision de l'ouragan Dorian faisant des ravages aux Bahamas, la plupart des établissements scolaires de Floride annuleront leurs cours pour le reste de la semaine. »

La sonnette d'alarme a été déclenchée quelques heures plus tôt, mais c'est à la suite de l'annonce générale que nous nous concertons les uns les autres. Le temps n'est pas clément, car une tempête tropicale se dirige vers nous.

Nous avons passé une bonne partie de nos matinées à suivre l'évolution de l'ouragan Dorian le long de l'Atlantique nord. Au début, nous étions bien plus attristés par les dégâts qu'il engendrait dans les pays voisins qu'inquiets de l'imaginer nous atteindre. Puis, lorsque le vent a commencé à se lever un matin, j'ai vu sur les visages des autres la même ride de contrariété. Je devais sûrement avoir la même.

Et c'est un mercredi après-midi que la sentence est tombée : la Allison Academy fermera jusqu'à lundi prochain.

Je n'ai pas eu beaucoup de temps pour faire un point avec mes amis. J'ai su que Ioane serait à l'abri avec sa famille dans la maison de son oncle, une propriété que ce dernier a tenu à construire en suivant les critères paracycloniques. Blanca, Faisal et quelques autres camarades m'ont aussi assuré qu'ils s'étaient consciencieusement parés aux potentielles bourrasques qui allaient nous tomber dessus.

— Et toi, ça va aller ? la voix interrompt mes pensées.

Haru me devance avant que je ne lui pose la question. Nous sommes en train d'attendre parmi les élèves agités, comme les seuls pions qui ne jouent pas sur un énorme échiquier. Tout s'organise et se désorganise autour, tout frétille, et nous nous tenons là.

— Je crois.

Mon ton laisse paraître que je ne suis pas sûr de moi.

— J'ai entendu dire qu'il se sera beaucoup calmé avant de nous atteindre, on aura au pire une tempête un peu vilaine.

J'apprécie son effort pour me rassurer, et si j'avais été un peu plus attentif, j'aurais compris que ça lui coûtait de venir à moi comme ça. J'aurais compris qu'il avait ses propres tracas mais que je n'étais pas assez alerte pour les voir et les panser comme il le fait.

— J'espère.

— Dans quelques jours ça reviendra à la normale, continue-t-il.

— T'as raison, t'as raison.

— Hé, Reino.

Je ne sais pas pourquoi, mais je reviens toujours bien plus vite à moi quand il prononce mon nom. Quand il le prononce à sa façon, avec paix et lenteur, quelque chose qui le fait sonner différemment sur ses lèvres à lui.

— Quoi ? lui demandé-je.

— Passe-moi ton portable.

J'obtempère en fronçant les sourcils, pensant qu'il a un appel à passer.

La pluie commence à tomber, et je crois sentir mon cœur se serrer.

Je crois que je commence à avoir peur.

Quand il me le rend, je baisse les yeux vers son nom dans mes contacts. Pouf, apparu comme par magie ! Je dois avoir un air plutôt confus car il s'empresse de m'expliquer :

— Ça t'engage à rien, mais si t'as besoin de faire passer le temps ou si t'es pas bien... bah tu peux m'appeler ou m'envoyer un message.

Il pèse ses mots pour ne pas que je me fasse d'idées. Je ne lis aucune arrière-pensée dans son expression, juste l'envie d'aider.

— Merci, Haru, je lui réponds sincèrement.

Je ne sais pas quand il a décidé de se comporter comme un ami, simplement. Je crois qu'il y a des non-dits depuis cette nuit au skate-park, quand nos conversations s'ébruitent sur qui je suis à ses yeux, et sur qui il est dans les miens





Une autre chose que j'ai longuement appréhendé, était la réaction de ma mère lorsque le gouverneur Ron DeSantis aurait déclaré l'état d'urgence dans tout l'État. Telle n'était pas ma surprise de la voir blanche comme un linge en venant me chercher au lycée. Directement, nous avons foncé à plusieurs supermarchés pour faire des provisions.

Il m'est arrivé de penser qu'elle en faisait trop dans ces moments, puis je me suis rappelé que ses parents ont grandi pendant la guerre et les épisodes de famine qui ont suivi. Ça peut paraître difficile à concevoir car ma mère est encore relativement jeune, mais elle est la dernière de sa fratrie, mes grands-parents l'ont eue très tard. Mon oncle le plus âgé est de dix-huit ans son aîné. Elle a été élevée au chevet des mémoires sinistres de 39-45, et je crois qu'elle m'a elle aussi, inconsciemment, transmis la peur de la catastrophe. Alors je l'ai accompagnée du début à la fin sans râler. Sur le retour à la maison, j'ai vu mon père en train de placarder les fenêtres pour éviter que les rafales de vent ne fassent exploser le verre. Je l'ai aidé, silencieux. Mes parents ont montré de tout le long qu'ils étaient à bout de nerfs. Moi, je me suis retenu.

Il est vingt-et-une heures passées. J'entends les rouages de la mer et l'averse qui claque avec hargne sur la toiture. À travers les fines lacunes de ma fenêtre, j'aperçois les ombres des arbres, qui se secouent de gauche à droite. Le poids dans mon ventre ne part pas. La peur, elle reste aussi.

J'envoie des messages à tout le monde. Je leur demande s'ils vont bien.

Heureusement, ils me répondent tous dans les minutes qui suivent et m'assurent qu'ils sont en sécurité. Presque tous.

Je n'ai pas ajouté Haru à ma liste, pour les textos groupés. Je décide alors de le contacter à part, et au lieu de lui demander comment il va, je cherche à savoir ce qu'il fait.

Puis je lui demande ce qu'il a mangé.

S'il y a les mêmes tâtonnements de ferraille dans les cloisons de chez lui, donnant l'impression que la maison va s'effondrer.

Je lui demande si ça se voit à ce point, que je suis effrayé.

Mais dans l'heure qui suit, il ne m'a pas répondu.

Il est vingt-deux heures passées.

Ma mère surveille l'unique fissure qu'on a depuis des années sur le mur du salon. Elle n'arrête pas de dire qu'elle s'agrandit, et mon père lui assure que non. Ils débattent dessus et je sais que si je les rejoins, je risque de perdre la tête.

Mon portable sonne et mon corps réagit comme une automate. C'est en un bond que je l'attrape, mais mes yeux se plissent sur le nom de Matthew qui s'affiche.

— Allô ?

J'entends aussi le chaos de la nuit, chez lui. Mais le véritable tonnerre, il sonne dans sa voix :

— C'est Haru et sa sœur, ils sont introuvables.

Oops, my badOù les histoires vivent. Découvrez maintenant